Les Républicains et l’action publique : une radicalité de façade

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Les Républicains et l’action publique : une radicalité de façade

La Convention des Républicains sur l’efficacité de l’action publique a accouché, le 31 mars dernier, de 12 mesures prioritaires, afin de préparer le « discours sur l’Etat » des militants (et des candidats ?) aux prochaines élections. Ces mesures se veulent décoiffantes. Si, de fait, les réponses sont radicales, les thèmes sont connus : redressement des finances publiques, fin progressive du statut de la fonction publique, engagement d’équilibre des comptes sociaux, suppression de l’aide médicale d’Etat destinée aux immigrés en situation irrégulière, affirmation de l’autonomie des collectivités dans le domaine fiscal mais aussi pour la mise en œuvre des politiques publiques qui leur sont confiées, accès à tous les services publics dans toutes les communes, renforcements des pouvoirs des préfets, fin de l’interdiction du cumul des mandats.

Nul ne sait si les contradictions internes de ce programme ont été identifiées et sont assumées : sacraliser les communes (l’on comprend que chaque citoyen devra trouver dans toutes, même les plus petites, la réponse à ses besoins d’éducation, de santé, de transports), prôner le renforcement de l’autonomie fiscale des collectivités et en même temps maîtriser les dépenses publiques, ce n’est pas facile. Renforcer les pouvoirs du préfet en tant que dépositaire de l’autorité de l’Etat et donner aux collectivités le droit d’appliquer comme elles l’entendent les politiques publiques qui leur sont confiées, ce n’est pas pleinement cohérent, sauf à réduire l’Etat aux compétences des ministères et à admettre la coexistence en France de pouvoirs publics de légitimité équivalente agissant dans un certain désordre. Ces propositions sont destinées à frapper l’opinion : sont-elles pour autant crédibles ?

Certaines autres sont faciles à édicter, difficiles à mettre en œuvre : l’on se demande si les Républicains ont mesuré leur complexité. La suppression de l’AME est difficile à appliquer dans un Etat qui garde des valeurs humanistes, sauf à la vider de sa portée en la maintenant pour les enfants, les femmes enceintes, les personnes atteintes de maladies graves et celles qui souffrent. Les réformes restrictives des retraites, de l’assurance maladie et de l’assurance chômage sont faciles à promettre quand on est dans l’opposition, surtout quand on promet qu’elles seront « justes » : il est en réalité difficile de garantir la compatibilité entre le retour rapide à l’équilibre financier des régimes sociaux et la justice sociale. Quand le rééquilibrage de l’assurance maladie imposera des restrictions aux hôpitaux, la non revalorisation des honoraires des médecins libéraux ou l’augmentation de la participation financière des patients, les électeurs de droite seront-ils toujours d’accord ?

D’autres mesures enfin témoignent de choix idéologiques un peu naïfs : la distinction, dans le budget de l’Etat, entre dépenses de fonctionnement et d’investissement part d’un bon sentiment. L’on admet en général que les budgets de fonctionnement doivent être équilibrés alors que les dépenses d’investissement peuvent être financées par l’emprunt, puisque les investissement correspondent à des biens durables. L’Etat néglige cette distinction et fabrique simplement du déficit, très probablement, pour l’essentiel, un déficit de fonctionnement. Il faudrait donc le ramener à des choix plus orthodoxes. De plus, « le fonctionnement » est connoté comme glouton, répétitif et surtout moins noble que l’investissement, qui préparerait l’avenir. Pourtant, à y bien réfléchir, ce sont parfois (souvent ?) les dépenses de fonctionnement qui jouent le rôle d’un « investissement d’avenir » (Education, recherche, voire dépenses de santé) et les dépenses d’investissement qui sont inutiles (les ronds-points) ou contestées (aéroports surdimentionnés).

Sur la fonction publique, l’on aurait envie, de même, de demander aux Républicains de mieux travailler leur copie. La proposition vise à réserver le statut de la fonction publique aux fonctions régaliennes et, dans les autres métiers, de prévoir un « contrat public » au moins pour les jeunes « entrants ». L’objectif est de « remplacer l’emploi à vie », autrement dit de pouvoir licencier un fonctionnaire. Pourquoi pas ? Pour autant, le statut de la fonction publique permet parfaitement le licenciement des fonctionnaires et « l’emploi à vie », réalité non niable, est une habitude culturelle sans être pour autant inscrit dans le droit. Dans un passé récent (c’est moins vrai désormais il est vrai mais cela reste encore largement exact), cette habitude d’emploi à vie existait aussi dans certaines entreprises privées, les banques par exemple, ou dans certains services publics sans « statut » et de droit privé, comme les organismes de protection sociale, où les salariés signent des contrats de droit privé tout en bénéficiant de « l’emploi à vie » comme les fonctionnaires. La culture d’entreprise domine le droit…

La généralisation d’un « contrat public » pour les nouveaux agents de la fonction publique risque donc de ne pas changer grand-chose, voire rien du tout, surtout si le statut est remplacé par une convention collective protectrice qui lui ressemblera, ce qui sera très probablement le cas. Bref, faire du statut un chiffon rouge empêche une analyse lucide…

Quant à la séparation entre fonctions régaliennes (qui continueraient à bénéficier du statut) et autres fonctions (qui n’en bénéficieraient pas), il faut regarder le bilan qu’en tirent les pays qui l’ont mise en place, comme l’Allemagne, où les diplomates sont fonctionnaires et les enseignants contractuels de droit public. Le risque existe :  c’est un cloisonnement plus net des métiers, une moindre mobilité, des différences de traitement.

Surtout, pourquoi envisager de tels bouleversements ? Si le but est de mettre fin à la traditionnelle distinction entre les salariés du public et ceux du privé, au motif que les premiers seraient trop protégés, la seule solution efficace est de banaliser l’occupation des emplois publics. Mais alors la spécificité des emplois publics disparaît et des personnes sans formation spécifique s’occupent du service public avant de repartir travailler en entreprise. Si le but est d’améliorer la gestion des salariés du secteur public, il faut alors modifier les habitudes, instituer un véritable management, assouplir certaines rigidités…et préserver la spécificité des emplois publics. Dans ce cas l’on peut substituer au statut un contrat de droit public, pour mettre fin à certaines rigidités pénalisantes, mais il faut aussi élargir les corps, rendre la mobilité obligatoire, responsabiliser davantage les fonctionnaires… et leur donner les moyens de travailler. C’est plus dur que de crier haro sur le statut mais c’est une vraie réforme. Un peu d’audace, camarades !