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Maintien de l’ordre : les libertés protégées

Par décision du 20 mai 2021, le Conseil constitutionnel a annulé, sans grand bruit, le « fameux » article 24 du projet de loi sur la « sécurité globale », devenu par la suite article 52 de la loi. Après plusieurs réécritures, cet article punissait de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende « la provocation, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, à l’identification d’un agent de la police nationale…lorsque ces personnels agissent dans le cadre d’une opération de police (ou) d’un agent des douanes lorsqu’il est en opération ».  Le Conseil considère que la disposition peut viser des agents directement en opération ou ayant, plus largement, « participé » à une opération et n’est donc pas suffisamment précise. Sa portée (« intention manifeste ») ne l’est pas non plus. Les éléments constitutifs de l’infraction ne sont donc pas, selon le Conseil, suffisamment caractérisés et la disposition est annulée. C’est sans doute le bon sens.

La décision censure également deux autres dispositions de la loi, dont l’une concernait la possibilité de soumettre à une surveillance vidéo en continu, sans limitation de temps, des personnes placées en chambres d’isolement dans les centres de rétention et dont l’autre prévoyait la possibilité de filmer par drones des manifestations. Dans l’un et l’autre cas, la conciliation entre la prévention des violences et le respect de la vie privée n’a pas été jugée équilibrée. L’on mesure, à la lecture de la loi même épurée de ces dispositions, combien le texte multiplie les outils de surveillance de la population, sans garantie pour autant quant à la diminution des violences puisqu’il n’est question que de répression. Du moins les articles paranoïaques et liberticides ont-ils disparu, qui auraient permis à tout policier, en pratique, d’interdire qu’on le filme tandis que la population aurait dû se soumettre à une surveillance filmée indue.

La décision du Conseil constitutionnel peut être rapprochée d’un jugement du Conseil d’Etat du 10 juin 2021 relatif au schéma du maintien de l’ordre. On se souvient que ce document, publié par le ministre de l’Intérieur en septembre 2020, définissait le cadre d’exercice du maintien de l’ordre sur le territoire national et représentait la « doctrine » à appliquer. Plusieurs syndicats et associations (notamment de journalistes) avaient déféré ce texte devant le Conseil d’Etat, jugeant qu’il portait atteinte au droit de manifester et aux libertés publiques.

De fait, le Conseil d’Etat annule plusieurs « dispositions-phares » du schéma :  celui-ci prévoyait l’utilisation d’une technique d’encerclement des manifestants utilisée depuis longtemps « aux fins de contrôle, d’interpellation ou de prévention de la suite de troubles », tout en garantissant qu’une possibilité de sortie serait prévue (disposition positive puisque la technique était jusqu’alors utilisée sans prévoir de couloir d’évacuation). Le Conseil considère que l’utilisation de cette technique est possible face à des troubles caractérisés mais que, dans le cas contraire, elle affecte le droit de manifester et la liberté d’aller et de venir (d’autant que la police l’utilise aujourd’hui pendant un temps indéfini, à des fins de « dissuasion »). Trois autres dispositions ont été annulées : l’obligation pour les journalistes de quitter les lieux lorsque la police annonce un ordre de dispersion avant de « charger » (c’est reconnaître que les journalistes exercent une mission d’information, même ou surtout dans les moments violents) ; l’article qui autorisait les journalistes à porter des équipements de protection (c’est interdit aux manifestants) mais qui soumettait cette autorisation à des conditions particulières ; enfin la disposition réservant aux journalistes « accrédités » l’accès au canal d’information dédié par les autorités policières à la profession (cette disposition, qu’utilisait beaucoup Donald Trump pour refuser la présence de journalistes « indésirables » à ses conférence de presse, était inquiétante : elle visait à dissuader des journalistes free-lance ou relevant de certains sites de couvrir les manifestations).

Toutes ces dispositions avaient été largement critiquées par les organisations syndicales et les associations de défense des droits. En l’occurrence, les juges ont rempli leur rôle de protection des libertés. Reste au pouvoir à s’interroger sur la méthode qu’il utilise : tout se passe comme s’il fallait apaiser les policiers avec des textes excessifs et souvent difficilement applicables, quitte ensuite à rendre les juges responsables de leur censure. Les citoyens, qui regardent ces échanges, sont en droit d’espérer des politiques qu’ils agissent pour traiter les problèmes sans rédiger des textes provocateurs qui embrasent l’opinion avant d’être retoqués.