Six scénarios pour atteindre la neutralité carbone

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Six scénarios pour atteindre la neutralité carbone

En 2019, à la suite de la publication du PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie), l’entreprise RTE, Réseau de transport d’électricité, qui gère en France le réseau de transport de l’électricité et donc l’alimentation en électricité des entreprises et des ménages, a lancé une étude sur l’évolution du système électrique et, plus généralement du système énergétique qui rendrait possible l’atteinte de la neutralité carbone en 2050. Ce type d’études fait partie de ses missions (RTE doit établir des bilans prévisionnels) mais l’entreprise se positionne ainsi en institut de prospective sur l’énergie : elle entend fournir au gouvernement non pas un choix figé mais des scénarios divers qui permettent tous d’atteindre les buts poursuivis.

L’étude, appelée « Futurs énergétiques 2050 », a obéi à une méthodologie particulière : RTE l’a voulu collective et y a associé une centaine d’organismes et d’institutions, associations environnementales et de lutte contre la dégradation climatique, organismes techniques spécialisés, associations caritatives et partenaires sociaux. Le travail est placé sous le contrôle d’un Conseil scientifique où siègent des économistes mais aussi un climatologue et un philosophe.

La première phase a été consacrée au cadrage collectif des scénarios envisageables et à la rédaction d’un rapport conjoint de RTE et de l’Agence internationale de l’énergie sur les conditions techniques à satisfaire pour rendre crédible et fiable un scénario à forte proportion d’énergies renouvelables.

Une consultation publique a ensuite été organisée sur les scénarios proposés qui a permis de les infléchir et, en juin 2021, la synthèse de la consultation et les 6 scénarios retenus ont été publiés. Il reste ensuite, d’ici l’automne, à évaluer ces scénarios sur un plan technique (quelle capacité de résistance aux scénarios climatiques du GIEC ?), économique (quel coût ?), environnemental (empreinte carbone, bilan matières, déchets…) et sociétal (implications sur les modes de vie, sobriété imposée, flexibilité des solutions).

L’étude a été cadrée par certaines hypothèses communes : une consommation moindre d’énergie, une forte réindustrialisation, une efficacité énergétique qui se dégrade toutefois (les hypothèses inverses ne se vérifient pas), une augmentation de la part de l’électricité et un développement de la filière hydrogène.

Outre la diminution de la consommation et l’augmentation de l’électricité, les 6 scénarios ont des traits communs : ils impliquent tous un fort développement des énergies renouvelables même en cas de relance du nucléaire. L’étude doit en outre se confronter à la fermeture massive des réacteurs en activité entre 2030 et 2060. Deux types de scénarios ont été bâtis, ceux qui reposent sur une production électrique entièrement liée aux ENR et ceux qui reposent sur un mix ENR /nouveaux réacteurs.  Chaque type de scénario a des conditions de réussite spécifiques : maîtrise de solutions non encore testées en vraie grandeur dans les scénarios 100 % ENR, capacité à construire de nouveaux réacteurs fiables et à coûts maîtrisés pour les scénarios mixtes.

Un des enjeux communs aux divers scénarios est aussi de limiter les « fuites de carbone » liées à la délocalisation des industries. Dans les scénarios les plus vertueux en termes d’empreinte carbone, l’appareil productif est donc reconstruit avec des solutions « bas carbone ».

Les trois premiers scénarios sont 100 % ENR, les trois suivants reposent sur des mix.

Le premier scénario envisage une sortie totale du nucléaire dès 1950, avec une accélération des fermetures de réacteurs à compter de 2030 et une prise de relais par tous les types d’ ENR poussés à leur maximum.  Le second (variante « répartition diffuse ») prévoit un 100 % ENR en 2060 avec un développement particulier des installations solaires sur tout le territoire.  Le troisième (variante « grands parcs ») mise plutôt sur les grands parcs d’éoliennes terrestres et marines et les grandes centrales solaires, pour un 100 % ENR en 2060.

Le quatrième scénario prévoit le lancement d’un programme minimum de réacteurs nucléaires de troisième génération à partir de 2035 afin d’atteindre une part de nucléaire de 27 % en 2050 (dont 13 % venant de nouveaux réacteurs). Le 5e prévoit un renforcement de l’offre nouvelle plus important (38 % de nucléaire en 2050 avec 24 % de « nouveau nucléaire ») et le 6e un mix 50/50 entre le nucléaire et les ENR à cet horizon.

La démarche de prospective ainsi menée ne présente que des avantages : elle évite la « politisation » des choix qui exaspère les clivages et les conflits dans le domaine énergétique, notamment quand les choix sont affichés par idéologie, sans études techniques, économiques et sociétales. Le PPE adopté en 2019 n’a pas évité ce défaut, les déclarations du Président de la République sur l’avenir du nucléaire non plus, qui tranchent en faveur du nucléaire sans études de coût, sans réflexion sur la nécessaire flexibilité de l’offre future, sans méfiance devant la difficulté de définir un nucléaire « troisième génération ». Dans l’étude RTE, l’effort pour objectiver les conséquences des scénarios est manifeste. La volonté d’associer de nombreux partenaires à l’étude et d’écouter leurs remarques permet d’ouvrir au moins des discussions. Enfin, l’étude rappelle des vérités simples : il faudra baisser la consommation, pas seulement remplacer les énergies fossiles par l’électrique ; il faudra un effort de réindustrialisation pour éviter une programmation en trompe l’œil ; aucun scénario ne s’impose d’avance et tous doivent être construits, préparés très en amont, avec, pour chacun des difficultés fortes, qu’elles soient techniques ou sociétales. Mais commencer à construire un consensus sur une prospective à 25 ou 30 ans et montrer les conséquences concrètes des choix à faire sont indispensables, sachant toutefois que le premier problème à résoudre, comme le montre le 3e rapport du Haut Conseil pour le climat, c’est de rattraper les retards sur les engagements pris à horizon 2030…

Au final, ce sont les organismes techniques qui donnent des leçons de management de projet à des politiques qui ne s’y intéressent pas assez, sans doute parce que leurs préjugés l’emportent trop souvent sur leur réflexion mais aussi parce qu’ils ont beaucoup de mal à raisonner sur le long terme.