Lutte contre les algues vertes: pourquoi un tel échec?

Projet de loi sur la gestion de la crise sanitaire : quelle vigilance?
25 juillet 2021
Plus de 2 millions de personnes en situation de grande pauvreté
25 juillet 2021

Lutte contre les algues vertes: pourquoi un tel échec?

Un rapport thématique de la Cour des comptes de juillet 2021 évalue la lutte contre les algues vertes en Bretagne (Evaluation de la politique publique de lutte contre la prolifération des Algues vertes en Bretagne, 2010-2019).

La prolifération des algues vertes sur de nombreux sites en Bretagne a des conséquences en termes de santé pour la population (elle a causé plusieurs décès), d’image pour les territoires, d’environnement enfin : elle met la France dans l’incapacité de respecter la directive de l’Union qui impose un bon état des eaux côtières en 2027 au plus tard. Cette prolifération, qui touche surtout deux sites, est essentiellement due à un excès d’azote des eaux littorales, azote qui à 90 % vient de l’agriculture, à cause soit des épandages d’engrais pour fertiliser les sols, soit des déjections animales venant d’élevages intensifs.

Malgré des pics certaines années, la tendance est à une légère baisse des tonnages d’algues récoltés sur les sites sableux mais à une augmentation des échouages sur vases, notamment dans le Morbihan. Quant à la concentration de nitrates dans les rivières bretonnes, qui était passé de 5 mg/l dans les années 60 à 53 mg/l au milieu des années 90, elle a baissé à 31,7 mg/l, taux qui stagne depuis 2014. Il faudrait, semble-t-il, pour obtenir la réduction de 50 % des tonnages d’algues à ramasser, atteindre un taux entre 10 et 25. Ce chiffre devrait être établi de manière plus précise par des études scientifiques…qui restent à commander.

Les deux plans de lutte contre les algues vertes qui se sont succédés de 2010 à 2015 puis de 2017 à 2022 ont défini d’abord des objectifs trop ambitieux (non réalisés) puis, ensuite, au contraire, trop modestes pour que la directive sur la qualité des eaux fluviales soit respectée. C’est encore le cas du projet actuellement préparé pour 2022-2027. Il est difficile d’imputer à ces plans les baisses de concentration de nitrate, compte tenu du fait que les nitrates restent très longtemps dans l’eau et les sols. Sans doute ont-ils joué pour une part. Reste à être enfin efficace : les baisses constatées sont insuffisantes. De plus, la quantité d’azote épandu, qui avait baissé de 2010 à 2015, a recommencé à augmenter depuis lors.

Le constat de la Cour s’élargit donc aux effets de la politique menée sur les exploitations agricoles.

Or, les changements de pratiques souhaités n’ont pas eu lieu, en partie parce que les aides mobilisées pour inciter les agriculteurs à adopter de bonnes pratiques ou à modifier le mode d’exploitation des terres ont été dérisoires. Au final, les sommes consacrées à la prévention des « fuites de nitrate » sont inférieures à celles consacrées au ramassage des algues. Les aides de la PAC ne sont pas faites pour accompagner les évolutions souhaitables. De plus, les politiques suivies ne sont pas cohérentes : l’Etat a accepté d’augmenter le seuil au-delà duquel il examine les dossiers d’extension des élevages, ce qui le prive d’un levier d’action ; il a au demeurant drastiquement baissé le nombre des contrôles sur les exploitations dans les « bassins à algue verte ». Les filières agro-alimentaire n’ont pas été impliquées dans la politique d’amélioration de la qualité environnementale des productions : ainsi, la Région les soutient sans conditionner ses aides à des objectifs environnementaux.

La Cour recommande d’étendre la lutte à tous les sites d’échouage des algues en utilisant un outil de droit commun, les contrats territoriaux de mise en œuvre des SAGE, schémas d’aménagement et de gestion des eaux, qui impliquent notamment les agriculteurs, l’Etat, les collectivités et les agences de l’eau. L’approche à adopter est une action au plus près des acteurs agricoles, en leur demandant des engagements forts en contrepartie d’aides plus incitatives à définir dans le cadre de la prochaine PAC. Il faut également encadrer davantage les mauvaises pratiques, donc édicter des règles plus strictes, et en contrôler l’application.

Bien que technique, la lecture du rapport de la Cour est fluide : l’on comprend très bien que la politique publique en cause a mal défini les objectifs à atteindre, mal analysé la réticence des agriculteurs à changer de pratiques, reposé sur des aides financières trop modestes impuissantes à changer le cours des choses.  La cohérence des politiques menées n’a pas été assurée. Il faut donc rectifier tout cela, c’est tout simple.

Ce dont le rapport ne parle pas, c’est de la résistance tenace de certaines organisations agricoles à la prise en compte de cette urgence environnementale et de la pusillanimité de l’Etat et des collectivités face à ces lobbies. Certains scientifiques nient aujourd’hui le rôle des nitrates. Des journalistes bretons ont subi des intimidations, voire des menaces quand ils dénoncent une agriculture productiviste et polluante. La Cour des comptes, à l’occasion de son rapport, a réalisé un sondage auprès des exploitants des « bassins d’algues vertes ». Les questions portant sur la connaissance des plans de lutte et l’influence qu’ils ont eue sur les pratiques reçoivent des réponses plutôt positives. 76 % des agriculteurs cependant n’entendent désormais plus modifier leurs pratiques (c’est inquiétant) et, s’ils devaient le faire, jugent que l’outil financier serait le plus efficace (ce qui est normal, compte tenu des risques et des incertitudes à affronter). Surtout, quand on demande aux agriculteurs quelle serait le meilleur moyen de réduire les concentrations en nitrates, 41 % considèrent que l’effort doit porter sur les équipements publics d’assainissement, 29% seulement citent l’amélioration des pratiques agricoles et 6 % la réduction du cheptel. Les agriculteurs ne sont pas convaincus de leur responsabilité dans ce désastre. Ces réactions expliquent la faiblesse des responsables publics. Il n’est enfin pas certain que les aides de la nouvelle PAC permettent de privilégier ceux des agriculteurs qui s’engageront sur des pratiques plus protectrices de la nature, au détriment des autres. Au final, le rapport de la Cour des comptes est net et clair mais trop lisse face aux obstacles que rencontrera sa mise en œuvre. L’évaluation des politiques publiques, c’est aussi l’évaluation du rapport des forces en présence. Force est de constater qu’il ne permet pas d’être optimiste.