Projet de loi sur la gestion de la crise sanitaire : quelle vigilance?

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Projet de loi sur la gestion de la crise sanitaire : quelle vigilance?

Le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire a été voté vendredi 23 juillet 2021 par l’Assemblée nationale après des heures de débat très tendus. Le Sénat l’a fortement modifié. Le texte est accusé de « fracturer le pays », d’être « incohérent », voire « absurde ».

La possibilité d’instituer l’obligation d’un passe sanitaire (preuve de test négatif, de rétablissement après test positif ou de vaccination) a été prévue pour certaines activités dès la loi du 31 mai 2021. En juin, le passe était obligatoire pour participer à des rassemblements d’une certaine taille (dont le seuil a été abaissé à 50 personnes depuis le 20 juillet 2021, ce qui inclut donc les cinémas et lieux culturels) comme pour voyager en provenance ou à destination de l’hexagone, de la Corse et des DOM. A l’époque, le fait que ce passe et, nécessairement, l’identité de la personne soient contrôlés par les organisateurs de rassemblements privés n’a pas posé de problèmes : l’avis du Conseil d’Etat sur le projet n’évoque même pas ce point et les débats parlementaires n’ont guère mis en cause le passe : il est vrai que dominait alors l’espoir d’une sortie de crise et que le mouvement de protestation contre la vaccination n’était pas engagé.

Le projet actuellement en discussion au Parlement prolonge jusqu’à fin décembre 2021 le « régime de sortie de crise » défini par la loi du 31 mai 2021 (qui en fixait la fin au 30 septembre).

Il l’aménage en étendant l’obligation du passe sanitaire aux bars et restaurants, aux grands magasins et centres commerciaux au-delà d’un certain seuil, aux transports publics « longs », aux établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux sauf pour les entrées en urgence. Les personnels travaillant dans les établissements concernés sont soumis à la même obligation.

Certains professionnels sont, sauf contre-indication médicale, soumis, à compter du 15 septembre 2021, à une obligation de vaccination : il s’agit des personnels de santé libéraux ou travaillant dans des établissements sanitaires, sociaux ou médico-sociaux, des pompiers, des personnes qui s’occupent à domicile de personnes âgées vulnérables, des personnels des transports sanitaires ou de la sécurité civile.

Le texte prévoit enfin le placement en isolement, dans le lieu de son choix, de toute personne contaminée pour 10 jours, placement soumis au contrôle du juge des libertés et de la détention et comportant des contraintes, par exemple sur les heures de sortie. Les personnes pourront être contrôlées sauf la nuit.

Dans un contexte où les manifestations, certes minoritaires mais bruyantes et agressives, ont démarré, les débats parlementaires ont reflété cette agressivité.  Ils ont opposé ceux qui veulent généraliser l’obligation de vaccination (socialistes), ceux qui jugent le projet liberticide et diviseur, selon lesquels il vaut mieux convaincre qu’obliger (communistes,  insoumis, Rassemblement national), ceux (Les Républicains) qui souhaitent réduire le champ couvert par le passe (ni les hôpitaux ni les centres commerciaux ni les terrasses ni les mineurs), adoucir les dispositions concernant l’isolement des personnes contaminées et exempter des mesures les territoires davantage épargnés par l’épidémie.

Certains points ont focalisé l’attention, notamment les mesures prises à l’égard d’un salarié soumis à obligation vaccinale et qui ne la remplit pas. Le texte d’origine prévoit que le salarié verrait son activité suspendue sans salaire, serait convoqué à un entretien et, au bout de 2 mois, pourrait être licencié ; le texte amendé par l’Assemblée nationale prévoit qu’il peut demander à être affecté à des services autres dans lesquels il n’est pas en contact avec des patients ou des personnes vulnérables ; le Sénat s’orienterait vers le maintien de la suspension, sans possibilité de licenciement. Le débat mérite-t-il tant de précautions ? Que penser d’un soignant ou d’un ambulancier qui « prend le risque » sans raison, parce qu’il ne souhaite pas personnellement être vacciné, de contaminer une personne vulnérable ?

Les débats parlementaires mettent en réalité mal à l’aise, par la prévalence des libertés individuelles sur la nécessité de protéger la santé collective, ce qui reprend l’antienne des manifestants.

Il est légitime de critiquer l’urgence avec laquelle le gouvernement fait travailler le législateur. Le projet de loi est mené de manière précipitée (même si la technique de dépôt de multiples amendements quasi-semblables est une méthode de retardement inadmissible) et l’aggravation de la situation sanitaire aurait pu être mieux anticipée.

Sur le plan des principes, il serait infiniment préférable que la vaccination soit un choix volontaire. L’on peut regretter une culture française de la contrainte et du contrôle, là où l’appel au civisme et à la solidarité serait une bien meilleure solution. Restent que, en l’occurrence, la vaccination marquait le pas de manière inquiétante : l’enjeu est bien de protéger la population le plus rapidement possible, y compris les jeunes puisque désormais le variant s’attaque à eux.

Sur le fond enfin, il est certain qu’à vouloir éviter la généralisation de l’obligation de vaccination, de crainte qu’elle n’enflamme la partie de la population hostile aux vaccins, le texte est contraignant, compliqué à appliquer et parfois contestable. Ainsi, l’accès aux centres commerciaux pose une vraie difficulté : il peut mettre en cause l’accès aux biens de première nécessité.

Reste que les débats parlementaires, par leur virulence et leurs débordements, donnent le sentiment de soutenir les manifestations qui se déroulent dans le pays contre le texte. Or, si on met à part les frappadingues qui affirment vivre sous une dictature nazie, les manifestants expliquent avec rage que leur choix personnel doit prévaloir sur l’intérêt collectif. Ils acceptent ainsi la solidarité du système de soins dont ils bénéficient, sans admettre qu’ils doivent aussi y contribuer en acceptant une « obligation » qui est, en réalité, quand on la compare au désespoir des habitants des pays pauvres, une chance. Une telle perte de repère peut s’expliquer pour un citoyen exaspéré d’être constamment contraint par des règlements multiformes, qui trouve cette manière d’exprimer sa haine des gouvernants voire des élites qui auraient mal géré la crise sanitaire. Mais pour des parlementaires ? Est-ce leur rôle ?

Dans ce contexte, une des rares interventions dignes a été l’audition de la présidente de la CNIL, Marie-Laure Denis, devant la commission des lois du Sénat. Elle a d’abord rappelé les exigences de la CNIL : l’obligation du passe doit être limitée dans le temps et à certains lieux précis (c’est le cas) ; la présentation du passe à un contrôleur ne doit donner accès qu’à des informations limitées ; les textes doivent veiller à ce que les données du contrôle ne soient pas conservées et le code source de l’application de contrôle doit être publié.

Au-delà, la présidente de la CNIL a rappelé que le passe n’était pas qu’une question sanitaire mais éthique et mettait en cause l’extension du contrôle social ; qu’une telle mesure avait un « effet cliquet » et accoutumait la population à certains contrôles, ce qui n’est pas anodin en dehors de la nécessité créée par une crise sanitaire ; qu’il est compliqué d’assimiler les cinémas, où le port du masque est obligatoire et où des règles de distanciation peuvent être établies, aux bars et restaurants ; que les contraintes du passe seront sans doute excessives pour les personnes qui ne peuvent être vaccinées pour des raisons médicales ; enfin, qu’une bonne évaluation du dispositif mis en place est impérative pour alléger au mieux les contraintes si celles-ci s’avèrent redondantes ou faiblement efficaces.

La présidente conclut en disant qu’elle se pose beaucoup de questions sur le texte sans avoir les réponses. L’on pourrait, dit-elle, être tenté de refuser celui-ci mais serait-ce opportun, alors que l’absence de contrôle de l’épidémie conduirait à des altérations de liberté sans doute pires ? Pour autant, faut-il admettre le projet sans réserve et sans vigilance ? L’Etat doit en tout état de cause circonscrire la mesure au strict nécessaire. Des aménagements pourraient donc être débattus lors du débat parlementaire, pour respecter cet objectif.

L’approche est impeccable. Au final, peut-être certains amendements votés par le Parlement rejoignent-ils l’objectif défini par la Présidence de la CNIL. Peut-être faudrait-il accepter l’exemption des cinémas et des centres commerciaux, avec des jauges et des masques. Mais pour en arriver là, on pourrait s’épargner les insultes, les déclarations à l’emporte-pièce et les positions excessives en tout ou rien et se souvenir que laisser l’épidémie courir, c’est accepter des morts et de la souffrance. Certains propos tenus dans les manifestations sont irrationnels et inquiétants : face à la montée du complotisme (nous avons nos trumpistes), les parlementaires devraient se comporter autrement.