La loi du 30 juillet 2021 comporte trois types de mesures, relatives au terrorisme, au renseignement et à la déclassification des archives.
Sur la lutte antiterroriste, la loi pérennise les mesures mises en place par la loi du 30 octobre 2017 auxquelles avait été donnée une nature expérimentale : c’est le cas de l’institution de « périmètres de protection » (zones dans lesquelles personnes et voitures peuvent être fouillées), de la possibilité de fermeture des lieux de culte, des « MICAS », mesures individuelles de contrôle et de surveillance, qui ont remplacé les assignations à résidence de l’état d’urgence mais en les assouplissant et en les rendant temporaires, et des « visites domiciliaires » ou perquisitions qui depuis 2017 doivent être autorisées par le Juge des libertés.
Il faut rappeler que ces mesures visent des personnes pour lesquelles « il existe des raisons sérieuses de penser (donc on suppose) que leur comportement (agissements, propos, manière de vivre ) constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics et qui, soit entrent en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutiennent, diffusent, lorsque cette diffusion s’accompagne d’une manifestation d’adhésion à l’idéologie exprimée, ou adhèrent à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes » (en gras les justifications floues ou subjectives). Pour faire bref, on vise des personnes qui n’ont rien fait mais dont on a des raisons de supposer, au vu de leurs habitudes de vie ou des personnes qu’elle rencontre, qu’elles ont adhéré à une idéologie ou à une thèse incitant au terrorisme. Nous sommes là dans le recueil d’indices plus ou moins nets et dont il sera facile, en les exposant avec un peu de conviction, de prétendre qu’ils sont inquiétants. Il serait peut-être plus productif de surveiller de tels « suspects » que de restreindre leurs libertés.
La loi de juillet 2021 ajoute aux mesures décidées en 2017 la possibilité de fermer des lieux qui dépendent d’un lieu de culte lui-même fermé.
Surtout, elle crée pour un an renouvelable dans la limite de 5 ans, pour les personnes condamnées à une peine de 5 ans au moins pour terrorisme ayant effectué leur peine et présentant « une particulière dangerosité et une probabilité élevée de récidive », une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de la réinsertion prononcée à l’issue de la peine par le juge d’application des peines. Le contenu de cette mesure ne se contente pas d’évoquer une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychiatrique. Il évoque la possibilité que la personne soit accueillie dans un établissement adapté, peut l’astreindre à établir sa résidence dans un lieu déterminé ou lui interdire de se livrer à certaines activités. Il est frappant de constater qu’une disposition assez proche, à peine plus dure, qui figurait dans une loi du 10 août 2020, avait été censurée par le Conseil constitutionnel. Au prix de quelques atténuations, la mesure a été cette fois-ci acceptée, alors même que le critère de dangerosité semble malaisé à établir avec certitude.
Sur le renseignement, la loi permet aux services de renseignement d’intercepter les communications satellitaires. Elle pérennise la possibilité de recours au traitement automatisé des données de connexion et de navigation transmises par les fournisseurs d’accès, traitement déjà autorisé par la précédente loi sur le renseignement de 2015. La loi étend cette possibilité de recours aux URL. Elle facilite les échanges entre services de renseignement. Elle fixe la durée de conservation des données (entre 1 et 5 ans) en tenant compte de l’arrêt du Conseil d’Etat du 21 avril 2021 « French data network et autres ». Celui-ci, de manière assez surprenante et qui ne paraît pas respecter parfaitement le droit européen, a en effet jugé que la conservation généralisée des données est acceptable de par les menaces qui pèsent aujourd’hui sur la sécurité nationale et a validé la possibilité pour les autorités pénales d’y accéder dans le cadre de la lutte contre la criminalité grave.
Sur l’accès aux archives publiques, la loi est une loi de régression. Elle affirme le principe de la déclassification automatique des documents après 50 ans mais établit une liste d’exceptions très importante concernant certains domaines où les documents ne pourront être accessibles tant qu’ils gardent « une valeur opérationnelle » (matériels de guerre, certains bâtiments et procédures…). Dans la réalité, les archives des armées, des services de renseignements et du CEA seront difficilement accessibles. C’est l’administration concernée qui décidera de la date à laquelle les documents ainsi protégés pourront être consultés, ce qui éloigne fortement cette perspective, sans doute sine die. Aucun recours ne sera possible puisque le document sera par nature inaccessible.
Au final, l’analyse de la loi soulève des craintes et des doutes : la lutte antiterroriste gagne-t-elle en efficacité en altérant la liberté de condamnés qui ont purgé leur peine ? Les services de renseignement sont-ils vraiment plus efficaces en traitant par intelligence artificielle des montagnes de données ? Un régime démocratique se grandit-il en interdisant pour toujours l’accès des chercheurs et des journalistes à des données sensibles ?