La tenue d’un « Beauvau de la sécurité » a été annoncée en décembre 2020. A l’origine, il s’agissait certes d’améliorer les conditions d’exercice du métier de policier mais surtout de consolider les liens entre la police et les citoyens, à la suite du tabassage insupportable d’un citoyen noir par des policiers. Dans la foulée de l’incident, le Président de la République avait tenu, auprès d’un média « jeune » (Brut), des propos sur « les violences de certains policiers » et sur les contrôles au faciès. Il reconnaissait que, « quand on a une couleur de peau qui n’est pas blanche, on est beaucoup plus contrôlé ». Les syndicats policiers avaient alors vivement réagi, menaçant d’interrompre tous les contrôles et accusant les autorités de les affaiblir face aux gangs et à l’islamisme. D’où la décision de réunir des « Etats généraux de la police ». De la préoccupation d’origine (améliorer la confiance des citoyens), un glissement s’est opéré vers une sorte de deal passé entre les pouvoirs publics et les organisations syndicales sur les revendications policières. Le Beauvau relève au final, pour beaucoup, du dialogue social entre l’Etat et sa police et d’un exercice de catharsis policière.
Les thèmes traités ont été apparemment riches : ils ont porté d’abord sur le recrutement, la formation et le fonctionnement de la police, mais aussi sur les rapports avec la justice, les relations avec la population et (un peu) sur le maintien de l’ordre.
Le premier thème est de loin le plus fourni : c’est celui du rattrapage financier (1,5 Mds supplémentaires dès le budget 2022) et de la promesse d’équipements plus modernes et de recrutements supplémentaires. Ceux-ci seraient prioritairement destinés au « terrain » (l’objectif est d’y doubler le nombre de policiers) pour compenser le constat fâcheux selon lequel les policiers ne lui consacreraient qu’une part insuffisante de leur temps. La question est ancienne : dès 2011, la Cour des comptes (in L’organisation et la gestion des forces de sécurité publique, rapport public thématique) soulignait que les heures de présence sur la voie publique n’absorbaient qu’un tiers seulement du potentiel disponible. En 2018 le ministre de l’époque, Gérard Collomb promettait déjà une réforme de la procédure pénale « pour alléger la paperasse ». Mauvaise organisation des cycles de travail, lourdeurs procédurales (accueil, enregistrement des plaintes et des indicateurs d’activité), la question est manifestement posée (et non résolue) depuis des années.
Des décisions ont été annoncées sur la formation initiale (qui passera de 8 à 12 mois) et continue (appelée à augmenter de 50 %). Pour autant, la formation ne doit pas seulement s’apprécier sur sa durée mais sur son contenu. Or, le débat s’est plutôt orienté sur l’opposition théorie/pratique, qui n’est sans doute pas le seul angle d’évaluation possible. Quant à la formation continue, pourtant obligatoire, le taux de recours en est faible aujourd’hui et c’est un des signes d’une mauvaise qualité du management, problème sans doute insuffisamment abordé.
Le suivi de ces promesses ne pourra être apprécié qu’à terme, sachant que la loi de programmation promise ne sera discutée que dans le prochain quinquennat.
Les autres questions au programme ont été bâclées, de manière plus ou moins démagogique.
La réunion avec le Ministre de la Justice a été surréaliste, témoignant d’exigences de contrôle par la police de la sévérité des peines. Ces demandes ont été jugées malvenues, non pas au nom de l’indépendance des juges, mais parce que la justice a déjà la main fort lourde. La suppression des rappels à la loi est sans doute un progrès, sachant pourtant qu’il sera difficile de recourir à d’autres procédures plus consommatrices de moyens. La promesse de réécriture du Code de procédure pénale en 4 mois laisse rêveur : c’est le Ministère de la Justice qui en a la charge et les juges ne se soumettront pas facilement à cette exigence. Il existe bien des propositions en ce sens (rapport Beaume /Natali de 2018) mais les simplifications alors envisagées (développement des amendes forfaitaires, plainte en ligne, fusion de procédures proches comme la transaction et la composition pénales…) répondront-elles à la demande, dont on pressent qu’elle repose sur la volonté d’être simplement plus expéditif et moins regardant sur certains droits.
De même, le thème des relations avec la population a été esquivé. La présentation d’un sondage IFOP sur « le regard des Français sur la police » réalisé en janvier 2021 n’a pas suffi à ébranler les certitudes : le pourcentage de Français qui éprouvent confiance et sympathie à son égard est nettement majoritaire (60 %) mais a baissé de 15 points en 20 ans. Chez les 35 ans et moins, il n’est que de 45 %, talonné par le pourcentage des personnes qui éprouvent inquiétude et hostilité. La France est très partagée sur les accusations de violences policières (42 % pensent qu’elles correspondent à la vérité et 42 % qu’elles correspondent à des faits marginaux ou inexistants). Là encore, 51 % des jeunes de 35 ans au plus croient à la réalité des accusations, davantage que la moyenne. La police a un problème avec la violence (moins, selon l’enquête, avec le racisme) et ne veut pas le voir. Les Français vous aiment, a conclu le Président. C’est un peu plus compliqué.
Les réponses données aux questions qui fâchent, (les contrôles ou le manque d’indépendance de l’IGPN censée contrôler la police) sont, au regard des enjeux, pathétiques : caméras individuelles ou institution d’une délégation parlementaire de contrôle des forces de l’ordre, les réponses sont formelles sans analyser les questions posées.
Le Beauvau est, au final, un ratage, même s’il a rassuré les policiers et leur promet davantage de moyens. Comme le disent tous les experts (qui n’y ont pas été conviés) et, en particulier Sebastian Roché, il aurait fallu se demander ce que la Nation attend de sa police et quels résultats elle en espère : veut-elle une police dont le rôle essentiel est de faire peur, de contrôler et de réprimer ou une police qui, au moins pour une part, prévient, aide et sécurise ? L’organisation n’est pas la même. Quelles sont les techniques efficaces ? Les contrôles au faciès le sont-ils et même les contrôles d’identité en général ? Comment réduire les heurts lors des manifestations ? Peut-on éviter les blessés ? Quelles méthodes contre les différentes formes de délinquance ? Comment regagner la confiance de la population, en voie de s’étioler ? Non traitées, ces questions surgiront à nouveau dans le débat public.