Protection sociale et santé dans l’après COVID

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Protection sociale et santé dans l’après COVID

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022 vient d’être publié : l’on y mesure le déséquilibre des comptes sociaux, du moins pour les régimes de base de sécurité sociale couverts par la loi, et l’on y voit les choix du gouvernement, largement consacrés en 2022 aux surcoûts COVID et à la mise en œuvre des mesures du Ségur pour la santé. C’est l’occasion d’une réflexion sur les perspectives financières des régimes, sur l’évolution du système de santé après l’épidémie et sur la réforme du système de retraites et la politique du vieillissement.

Les comptes : après le choc, un lent reflux des déficits

Les prévisions très pessimistes de la LFSS de l’année dernière sur l’impact de la crise en 2020 sur les régimes de sécurité sociale ne se sont pas réalisées. Le déficit du Régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), prévu à 49 Mds, s’est finalement réduit à 39 Mds, 40 si l’on tient compte de l’ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale : le PIB s’est moins contracté qu’attendu et les recettes ont été de ce fait supérieures aux prévisions.

Dans cet ensemble, compte tenu des dépenses supplémentaires engagées, le déficit de la branche maladie a dominé, dépassant 30 Mds, suivi de loin par la branche vieillesse (- 6,2 en additionnant Régime général et FSV). En 2021, la branche maladie connaîtra sans doute encore un déficit du même ordre, puis, en 2022, de 20 Mds. Il faut dire que les surcoûts liés à la crise sanitaire ont dépassé 18 Mds en 2020 et approchent encore 15 Mds en 2021, dont 6 Mds pour le financement des tests, gratuits jusqu’en octobre. 5 Mds sont encore prévus en 2022, notamment pour financer la vaccination. Même sans tenir compte de ces dépenses conjoncturelles, l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) a bondi à des niveaux rarement atteints (6,7 % en 2021, 3,8 % en 2022) mais ces pourcentages intègrent les mesures du Ségur de la santé et ne sont donc pas significatifs.

 Reste que les déficits d’ensemble prévus jusqu’en 2025 sont énormes: la baisse de 2021 devrait être modeste (- 35 Mds tous régimes et toutes branches confondus) ; celle de 2022, plus prononcée, amènera le déficit d’ensemble à 23 Mds. Le déficit devrait rester légèrement supérieur à 15 Mds à horizon 2025.

Pilotage des finances sociales, quel avenir ?

Pour l’instant, les décideurs en restent à l’application de la loi relative à la dette sociale du 7 août 2020 qui a organisé un transfert de dette de 136 Mds à la CADES (Caisse d’amortissement de la dette sociale) à plusieurs titres : la prise en charge des déficits d’avant 2020 (près de 31 Mds) ; celle des déficits 2020-2023 liés à la crise et aux investissements hospitaliers décidés dans le cadre du Ségur de la santé, à hauteur maximale de 92 Mds ; enfin la prise en charge d’un tiers de la dette hospitalière (13 Mds) décidée fin 2019 dans le cadre du Plan d’urgence pour l’hôpital.  Il est prévu que la CADES, avec les recettes fiscales qui lui sont attribuées, amortisse ces dettes à horizon 2033. 60 Mds ont déjà été transférés en 2020 et 2021 à cet organisme mais l’on ne sait si les dépenses supplémentaires liés au COVID et aux investissements hospitaliers tiendront dans l’enveloppe accordée à cette fin. En outre, le dispositif imposerait que les régimes sociaux soient à l’équilibre à l’horizon 2023, ce qui est impossible : que faire alors ? Comment et à quel horizon dessiner un retour à l’équilibre, dans un contexte où il sera difficile de prendre en charge de nouveaux déficits ?

Les deux propositions de loi organique et ordinaire relatives aux lois de financement de la sécurité sociale actuellement soumises à l’examen du Parlement (l’Assemblée nationale les a adoptées en première lecture en juillet dernier) sont parfois présentées comme de nature à mieux assurer la maîtrise de l’évolution des finances sociales. C’est pourtant très douteux. Certes, l’information du Parlement est complétée et améliorée et l’examen des LFSS sera plus approndi : présentation de la situation financière et des trajectoires prévisionnelles des hôpitaux et des régimes jusqu’ici non couverts par les LFSS, tels les régimes complémentaires de retraite et le régime d’assurance chômage, information détaillée sur le mode de calcul de l’ONDAM proposé au vote du Parlement, allongement de la durée de l’examen du projet, vote d’une loi de règlement pour mieux comprendre l’écart entre les prévisions et les réalisations. Les propositions ont été suspectées par les partenaires sociaux de vouloir englober dans le champ de contrôle du Parlement des domaines de la protection sociale qui n’y sont aujourd’hui pas soumis. La tentation est manifeste mais, telles quelles, les propositions actuelles n’y suffiront pas. Surtout, elles ne répondent pas à ce qui devrait être les préoccupations principales : mieux évaluer la qualité de la protection sociale et mieux piloter son équilibre financier.

Le Haut conseil du financement de la protection sociale a publié, en novembre 2019, une étude sur les LFSS (Les lois de financement de la sécurité sociale, bilan et perspectives) qui consacre 150 pages à la description de tout ce que ces lois ont apporté au débat public et 50 à proposer des changements radicaux. Il en ressort que compte tenu du faible temps dont ils disposent et surtout de la complexité des sujets, les débats parlementaires se focalisent sur quelques points, souvent éloignés des enjeux globaux, et évoquent peu le pilotage financier global. Le rapport juge nécessaire d’élargir le périmètre des LFSS, pour prendre une vision d’ensemble de l’assurance vieillesse ou, en intégrant les hôpitaux en tant que tels, du système de santé financé par l’assurance maladie. Il insiste sur l’évaluation des politiques de protection sociale : alors que l’application de la LOLF n’a pas permis de construire un système d’indicateurs pertinents sur l’action de l’Etat, les annexes des LFSS (PQE, Programmes de qualité et d’efficience) regroupent un ensemble d’indicateurs très instructifs sur les résultats des politiques sociales. Pour autant, ces documents, disponibles tardivement, sont sous-utilisés. Surtout les LFSS se sont montrées incapables d’assurer l’équilibre financier, alors qu’il s’agissait de leur mission historique : dans les périodes de reprise économique, les comptes reviennent à peine à l’équilibre et, dès que la conjoncture se dégrade, ils replongent durablement, sans que l’on y apporte des solutions pérennes. L’étude propose donc de donner beaucoup plus de place à l’évaluation des résultats obtenus (l’espoir est sans doute de débattre, lors de l’examen des LFSS, du contenu des politiques et pas seulement des comptes) ; de doter le système d’un fonds de lissage conjoncturel disposant de réserves pour compenser l’impact des périodes difficiles ; enfin, en cas de déficit, de prévoir une trajectoire de retour à l’équilibre sur 4 ou 5 ans, ce qui oblige à une démarche pluriannuelle de construction des LFSS  plus rigoureuse et plus cohérente.

Aucune suite n’a été donnée à ce rapport. Il est vrai que la pandémie, survenue quelques mois après, a polarisé toute l’attention. Reste que l’on perçoit mal pourquoi des propositions anodines qui ne règlent rien sur l’essentiel sont aujourd’hui soumises au vote du Parlement, tandis que les questions cruciales d’évolution des politiques sociales et de rééquilibrage financier ne sont pas traitées : la question du financement se posera tôt ou tard. Pourquoi ne pas la préparer ?

Le système de santé après la COVID

 Le Ségur de la santé de 2020 témoignait d’une ambition certaine, qui allait au-delà de la revalorisation des métiers hospitaliers et médico-sociaux et du développement des investissements : réorganisation de la gouvernance interne et de l’organisation hospitalière, en augmentant les responsabilités des services pour favoriser la proximité, ouverture de lits à la demande, création de services d’accès aux soins pour réguler les appels des patients et les renvoyer vers la médecine de ville ou le service d’urgences hospitalières, accélération de la réduction de la tarification à l’activité, lancement d’une réflexion sur l’ONDAM pour en faire un objectif de la politique de santé sur le long terme, développement du nombre des infirmiers « en pratique avancée », réforme du statut de praticien hospitalier…

Signe très positif, le ministère a établi, en juillet 2021, un bilan de l’avancée des mesures prévues par le Ségur :  les projets sont tous en cours, même si certains n’en sont qu’au stade des études ou de l’expérimentation.

Restent des craintes : il faudra vérifier que les freins qui ont joué depuis des années contre certaines transformations (trajectoire pluriannuelle de l’ONDAM portant des objectifs qualitatifs, transformation du métier infirmier, amorce de collaboration entre médecine hospitalière et médecine de ville…) seront durablement desserrés. Il est à craindre que le nouveau quinquennat ne revienne à des choix d’évolution normée des dépenses et à une centralisation des décisions que le Ségur s’est efforcé d’assouplir. De plus, la transformation du système de santé que voulait engager la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé reste incertaine : certains domaines demeurent sacrifiés, santé mentale et prévention, et l’exercice médical coordonné en ville se développe mais lentement. Enfin, la pandémie a fatigué les soignants hospitaliers : les attentes les plus insistantes se sont portées sur les revalorisations financières alors que, peut-être, l’essentiel est ailleurs, dans le laxisme dont les pouvoirs publics font preuve à l’égard de la médecine libérale et, à l’inverse, dans l’extrême centralisation des décisions qu’ils ont longtemps imposée aux établissements de santé publics. Avant la pandémie, les hôpitaux ne décidaient de rien. Le Ségur a promis de leur laisser davantage de marges de manœuvre. Mais le renversement des pesanteurs actuelles, unifier le système de santé, faire collaborer les acteurs et territorialiser les décisions, semblent encore relever de l’utopie. Tout sera long…

Assurance vieillesse : le débat qui vient

 La question de la réforme de l’assurance vieillesse sera très probablement posée au début du prochain quinquennat.

Le rapport annuel du COR ne se positionne pas, bien évidemment, sur ce débat. Il reprend son analyse et ses projections là où il les avait laissées l’année précédente, avec mention, cependant, du déficit exceptionnellement élevé du système de retraites en 2020 (18 Mds). Il souligne que l’indexation des pensions sur les prix va inéluctablement, à législation constante, faire baisser à terme le pourcentage que représentent les retraites dans le PIB, avec pour contrepartie la baisse du niveau de vie des retraités : les retraites ont représenté 14,7 % du PIB en 2020 (mais l’année n’était pas représentative), le pourcentage baissera en moyenne à 13,7 % de 2022 à 2030 puis davantage ensuite, avec des différences en fonction des scénarios économiques.

Quant au solde prévisionnel du système, il dépend moins, à législation constante, d’une l’évolution des dépenses orientée à la baisse que des choix de financement (maintenir ou pas l’effort actuel en pourcentage du PIB) et des scénarios économiques de croissance de la productivité (évolution des revenus des actifs). Ainsi, si l’on ne fait rien, le solde deviendra positif en 2030 dans presque toutes les hypothèses économiques si l’effort de financement actuel est maintenu en points de PIB.

De ces projections, les organisations syndicales tirent la conclusion que la réforme des retraites n’est pas une urgence, surtout dans un contexte de baisse tendancielle des dépenses.

Le COR souligne qu’il reste loisible d’en juger autrement, que ce soit pour renforcer la population active, alléger un système ressenti comme trop coûteux ou le rendre plus juste.

De fait, la récente Commission Blanchard-Tirole plaide pour une réforme des retraites : le financement actuel pèse lourdement sur les actifs, à hauteur de 28 à 30 % (cotisations salariales et patronales) ; les scénarios économiques du COR reposent, pour les plus optimistes, sur une hausse de la productivité à un niveau très improbable ; le talon d’Achille de l’économie française est le faible  pourcentage des actifs dans la population et un meilleur taux d’activité des seniors permettrait de le redresser ; la baisse prévue du niveau de vie des retraités risque d’être mal tolérée, surtout compte tenu des inégalités du système ; celles-ci enfin suscitent un sentiment d’injustice auquel il faut répondre. Bref, il faut agir…

Au final, la Commission recommande d’accompagner le recul de l’âge de la retraite de mesures qui devraient en faciliter l’acceptabilité : une formation continue qui concerne tous les âges de la vie, un aménagement des conditions de travail en fin de vie active, une meilleure prise en charge des problèmes de santé liés au vieillissement.

Les arguments en faveur d’une réforme doivent être pris en compte mais les mesures d’accompagnement sont plus importantes (et plus longues à mettre en place) que la Commission ne le dit. Les conditions de ce que les pays scandinaves appellent « un vieillissement actif » ne sont pas réunies en France. Le constat explique en partie les résistances à une réforme des retraites plus focalisée sur le gain financier attendu que sur le bien-être des travailleurs âgés. Dans ces conditions, le débat sur l’équité sociale d’un recul de l’âge sera vif et justifié.

 Vieillissement : les ambitions amoindries

 Le PLFSS 2022 comporte un volet financier sur la dépendance : la progression du « sous-Ondam » destiné aux établissements pour personnes âgées est importante (+ 4,2 %), ce qui permettra des revalorisations salariales et une augmentation du taux d’encadrement, notamment la nuit et les week-ends. Le montant de la prestation d’aide à domicile (APA, allocation personnalisée d’autonomie) prise en charge par les départements est réévalué  : son niveau actuel est dispersé et insuffisant (le tarif horaire médian est en 2021 de 20,45 euros). Un tarif plancher de 22 euros s’appliquera donc en 2022, le surcoût étant pris en charge par la branche « Autonomie » de la sécurité sociale. En 2023, la tarification des services infirmiers à domicile tiendra compte de la lourdeur des cas pris en charge et la création de « services unifiés d’aide à domicile » sera encouragée.

Il s’agit là de vieux projets, à la fois importants et modestes, dont la mise en œuvre a été réclamée maintes fois.

Leur inscription dans la LFSS signe en fait le renoncement à la « grande loi » promise par le Président de la République depuis 2018 sur le vieillissement. De multiples travaux ont été engagés depuis cette date pour donner à cette politique une véritable ambition : amélioration décisive des métiers du grand-âge ; maintien de l’autonomie grâce à des activités poursuivies le plus longtemps possible ; recherche d’un modèle d’établissement nouveau, celui des EPHAD ne correspondant pas au souhait des personnes âgées qui y entrent à contre cœur et s’y sentent parfois abandonnées : a été évoquée la création de nouvelles structures ouvertes sur la ville,  pratiquant à la fois l’aide à domicile et l’accueil temporaire ou permanent, proposant des formules intermédiaires entre le domicile et l’hébergement complet, et ne recourant à cette dernière formule que lorsqu’elle est inévitable. Tous ces projets sont oubliés. Certes, l’APA augmentera en 2022 mais l’amélioration d’une prestation ne fait pas la qualité d’une politique.

Pergama, le 27 septembre 2021.