L’identité nationale, quel sens? Quelle portée?

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L’identité nationale, quel sens? Quelle portée?

L’identité nationale, qui, accolée à l’immigration, a figuré parmi les compétences d’un ministère pendant le quinquennat Sarkozy et a fait, en 2009, l’objet d’un « grand débat » riche de dérapages xénophobes et racistes, revient aujourd’hui dans le débat politique. Que signifient ces mots ?

Si l’on s’attache plus à la « nation » et moins à l’identité, on peut y voir l’appartenance à une communauté fondée sur des valeurs et sur la solidarité entre ses membres. La plupart des Français adhéreraient alors sans doute à l’expression. L’histoire et la philosophie nous y entraineraient : à la différence de Fichte, qui considérait en Allemagne le peuple et la langue comme des éléments constitutifs d’une nation, ce qui confère à la notion une valeur charnelle proche du « droit du sang », la nation est en France une construction politique : elle est largement assimilée à la République, aux droits de l’homme, à l’éducation pour tous, à la loi commune, au progrès. Dans « Qu’est-ce qu’une Nation ? », Ernest Renan évoquait en 1882 « le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis » : la nation signifiait le partage d’un idéal commun.

Pourtant, déjà, nait une certaine méfiance : la référence à la nation peut recouvrir aujourd’hui autre chose qu’un idéal partagé, le regret d’une France archaïque, d’un passé idéalisé, rural, où l’autorité était respectée, la délinquance faible et bien réprimée par une police non contestée, sans même parler des « racines chrétiennes » du pays. Elle recouvre la préférence pour une France fermée : certains combattants de la laïcité souhaitent ainsi revenir à une France si étroitement chevillée à ses valeurs traditionnelles qu’elle en devient rigide, fermée, obscurantiste. D’autres encore s’opposent à la volonté de relire l’histoire, de condamner le colonialisme, voire même de modifier le nom des rues, comme si l’histoire devait se figer…Un tel nationalisme est alors le reflet d’une France âgée, aigrie, fermée sur le monde et peu généreuse.

Le malaise croît quand il est question d’identité plus que de nation. D’abord à cause du singulier. Les individus ont tous plusieurs identités parce qu’ils ont des héritages divers. Il peut s’agir des liens avec un pays d’origine, avec une région, avec une classe sociale, avec un groupe. Nous n’avons pas tous les mêmes traditions familiales et ne vivons pas tous à l’identique l’ouverture au monde. Les liens privilégiés de certains avec le Maghreb, Israël ou l’Afrique sont légitimes, de même que les religions sont plurielles.

Or, la référence à l’identité nationale est souvent un prétexte pour exclure l’étranger, même quand il ne l’est plus, et pour imposer une conception univoque de la langue, des coutumes, de l’habillement. Quand un ministre de l’Intérieur regrette la présence de rayons hallal dans les supermarchés, c’est insupportable. Quand on exige des immigrés non pas seulement un effort de connaissance de la langue et des valeurs (ce qui est légitime) mais une assimilation complète, quand on dénonce leur « difficulté à s’insérer » (sans comprendre que l’insertion  doit relever d’un effort des deux côtés), quand on demande aux musulmans de se montrer « discrets » dans l’espace public (conseil de J-P Chevènement donné publiquement en 2016, avec le soutien appuyé de Manuel Valls), quand on  dénonce le « communautarisme » sans même savoir exactement ce que l’on met sous ce terme (faire prévaloir sa communauté ethnique ou spirituelle sur ses choix propres, ce qui n’est pas si fréquent), comment ne pas voir que l’identité nationale n’est plus un choix positif mais recouvre purement et simplement un rejet ? Le Français « « de souche » n’est pas loin, alors même qu’on peine à le définir, dans un pays largement constitué par une immigration ancienne où plus de 20 % des citoyens ont un parent ou un grand parent né étranger…

Surtout, nous avons des doutes désormais sur la pérennité des États nations traditionnels, qui contrôlent leur population, leurs choix politiques, le droit applicable. Toutes les grandes questions que nous devons affronter aujourd’hui, la lutte contre le dérèglement climatique, la protection de la biodiversité, celle du système bancaire, la lutte pour l’harmonisation fiscale sur l’activité des multinationales, la régulation d’Internet, la lutte contre le terrorisme et la cybercriminalité, les règles applicables aux migrations, tous ces domaines nécessitent un dépassement des règles nationales, une coopération avec le monde, voire un effort de construction d’une gouvernance mondiale. Notre actuel différend avec la Pologne et avec d’autres « PECO » porte sur l’acceptation d’un droit partagé, défini par des décisions prises en commun par l’Union européenne et surveillé par des Cours européennes. La nation n’est certes pas morte : elle garde une valeur émotionnelle forte, peut-être davantage vécue comme un attachement au « pays ». Un souverainiste, Régis Debray, évoquait naguère, s’agissant d’identité nationale, son attachement aux paysages français : de fait, nous savons quand nous sommes chez nous et quand nous sommes à l’étranger. Mais cet attachement n’exclut pas la lucidité : ce qui se construit depuis un siècle, imparfaitement, avec des reculs nationalistes brutaux et cyniques, c’est un ordre international, utile et protecteur. L’identité nationale n’a plus alors grand sens, sauf à relever du plaisir intime de se sentir chez soi.