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Logement social : une crise sans fin

En mai 2021, le premier ministre, prenant acte du ralentissement de la construction, a annoncé un plan de relance de 1 milliard. Cette somme permettait d’abonder le « fonds friches », qui aide à la reconversion de ces espaces pour qu’ils puissent servir de terrains aux constructeurs. En outre, l’aide aux maires destinée à financer les équipements publics nécessaires à l’accueil de nouveaux habitants était augmentée quand celui-ci accompagnait une opération de transformation de bureaux en logements.

S’agissant du logement social proprement dit, la ministre du logement a signé en mars 2021 avec les fédérations d’organismes HLM un nouveau protocole pour relancer la construction de logements sociaux, après celui de 2019.

Enfin, en septembre 2021, au congrès de l’USH, Union sociale pour l’habitat, le Premier ministre a annoncé de nouvelles mesures de relance.

Pourquoi cet effort ?

 Le bilan 2020 de la construction est, selon le Premier ministre, préoccupant. Selon les statistiques du ministère, 381 600 logements ont été autorisés, soit 65 800 de moins qu’en 2019 (- 14,7 %).

Pour ce qui est des logements sociaux, les résultats (Bilan 2020 des logements aidés, Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, août 2021) ne sont pas bons non plus. Alors que le pacte d’investissement pour le logement social signé en avril 2019 entre l’Etat et les bailleurs sociaux prévoyait pour les années 2020-2022 l’agrément de 110 000 logements sociaux, dont 40 000 PLAI (logements très sociaux réservés à des ménages à bas revenus), le chiffre des réalisations est de 87 500 logements, dont 27 750 PLAI.

Sur le premier semestre 2021, les statistiques marquent une nette remontée (de juillet 2020 à juin 2021, 433 400 logements ont été autorisés à la construction, soit 21 400 de plus qu’au cours des douze mois précédents (+ 5,2 %) et 387 600 logements ont été mis en chantier, soit 30 600 de plus (+ 8,6 %) que pendant les douze mois précédents. Il est toutefois très difficile d’interpréter ces chiffres, l’évolution 2021 étant calculée par rapport à une période de fort recul et incluant, à l’évidence, une part de rattrapage.

En réalité, il est inévitable que les confinements de 2020 aient conduit à une baisse des constructions. L’inquiétude ne vient pas seulement de là mais d’un constat moins attendu :  la baisse a commencé avant 2020. Certes, le rythme des autorisations de logements en France est irrégulier, même si on peut identifier quelques grandes périodes : dans les années 80, 400 000 logements annuels ont été autorisés en moyenne. De 1990 à 2002, le rythme annuel moyen a baissé à 365 000. Sur la période 2003-2017, il a augmenté à environ 475 000. Il est vrai que, depuis les années 2000, la part des logements sociaux a beaucoup fluctué dans cet ensemble, plutôt à la hausse d’abord, de 72 978 en 2005 à 143 342 en 2010, puis de manière irrégulière. Depuis 2016, ce nombre baisse doucement.  C’est cette baisse tendancielle qui inquiète.

Répondre à une crise du logement générale ou spécifique ?

Les premières conclusions du rapport Rebsamen (Commission pour la relance durable de la construction de logements, 2021) commandé par le Premier ministre en mai 2021, repose sur l’analyse qu’il existe une « crise de l’offre », concentrée dans les zones tendues, qui concerne le logement en général.

Pour démontrer cette assertion, le rapport s’appuie sur deux types de données : en premier lieu, l’évolution du prix des logements à la vente dans les métropoles, soit, de 2007 à 2020, + 61 % à Paris et + 36 % dans les 10 plus grandes métropoles, alors que la hausse sur l’ensemble du territoire n’est, sur la période, que de 11 % ; en second lieu, le nombre des personnes mal logées ou de celles dont le taux d’effort (pourcentage des ressources consacrées au logement) est excessif. Il y aurait donc pénurie : les prix augmentent, la demande aussi.

Cette démonstration doit être recentrée. Le prix à la vente des logements anciens dans les métropoles n’est pas le signe d’un besoin de logement. Il obéit à un raisonnement spéculatif (le prix devrait continuer à grimper), doublé de la recherche d’un placement considéré comme bon marché, compte tenu des faibles taux d’intérêt. L’évolution des prix à la vente est au demeurant dissociée de celle des loyers, beaucoup plus raisonnable. Selon une étude du 13 septembre 2021 du CGEDD (Conseil général de l’environnement et du développement durable), en Ile de France, l’évolution de l’indice des prix de vente des logements rapporté au revenu disponible des ménages est passé de 0,9 en 1998 à 2,7 en 2020, tandis que, dans le même temps, le même indice appliqué à l’évolution des loyers passait de 1 à 1,05.

Si l’on veut mesurer le besoin en logement, il faut sans doute s’appuyer davantage sur le second indicateur utilisé par le rapport Rebsamen, notamment le nombre de personnes non ou mal logées. Les chiffres fiables manquent : une étude non publiée du ministère en charge du logement estimerait ce nombre entre 1,8 et 3 millions tandis que le rapport annuel de la fondation Abbé Pierre, sur le fondement d’études certes anciennes (2013) que les pouvoirs publics ne réactualisent pas, les chiffre à 4,1 millions.

Pour ce qui est des taux d’effort, l’Insee indique (Revenus et patrimoines, 2021) que près de 2 millions de personnes, qui relèvent du quartile le plus modeste et sont locataires du secteur libre, consacrent 45 % de leurs revenus au logement, ce qui est disproportionné. La statistique se recoupe sans doute en partie avec celles du mal logement.

Ces données indiquent bien un besoin, très élevé au demeurant, mais un besoin de logements accessibles à des personnes très modestes, essentiellement en zones tendues, et non pas un besoin de logements en général.

Pourtant, Nicolas Sarkozy puis François Hollande ont tous deux annoncé un besoin de logements estimé à 500 000 logements neufs annuels, dont 110 000 à 150 000 logements sociaux selon les années, sans que ces chiffres soient solidement étayés. L’actuel Président, sans retenir le chiffre de 500 000, tablait en 2017 sur un « choc d’offre » dans les secteurs tendus, dont il attendait une baisse des prix et une résorption de la demande non satisfaite. Le choc promis, lié à une promesse oubliée d’« assouplissement des normes »,  n’a pas eu lieu. Aurait-il eu lieu dans le secteur libre qu’il n’aurait pas eu l’effet escompté : à l’achat, dans les zones tendues, la rareté du foncier rend l’offre inélastique à la demande et, de toute façon, les demandeurs ne pourraient y avoir accès. Seule une intervention publique peut alors avoir une efficacité sur un marché du logement très cloisonné et satisfaire la demande : dans le secteur social, elle consiste en l’attribution de prêts bonifiés et d’allègements fiscaux pour construire une offre spécifique ; dans le secteur privé, l’ANAH pourrait mettre sur le marché davantage de logements réhabilités, les collectivités pourraient plus systématiquement imposer aux promoteurs d’inclure, dans tout programme, quelques logements sociaux ; elles pourraient aussi acquérir des réserves foncières pour faire baisser les prix du logement social, voire du logement intermédiaire.

Quelle politique mener ?  

Dès lors que les besoins sont identifiés, il faut, comme le fait le rapport Rebsamen, s’interroger sur les freins à la construction et renforcer les incitations.

Le rapport pointe une réticence des élus devant la densification, la crainte des habitants de voir altéré un entre-soi confortable, voire la mise en avant de préoccupations écologiques, compte tenu des engagements figurant dans la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021 (réduction en 10 ans de l’augmentation des zones artificialisées, avec à terme en 2050, un objectif de zéro artificialisation nette).

Sur les encouragements financiers aux communes, le rapport Rebsamen propose une amélioration des aides de l’Etat, un meilleur ciblage sur les zones tendues de « l’aide à la relance de la construction nouvelle » prévue par le plan de relance de 2020, une accélération de la cession du foncier public pour le logement qui, prévue depuis 2005, s’avère lente et laborieuse, enfin l’abandon des incitations fiscales à la rétention foncière (augmenter la fiscalité sur les stocks, la réduire sur les flux). Seuls ont été décidés la compensation par l’Etat de l’exonération de la taxe foncière sur les logements sociaux et le recentrage, par contrat, des aides à la relance sur les zones tendues. Si l’on voulait être efficace, il faudrait retenir toutes les mesures proposées mais en les réorientant vers le développement de l’offre de logement social. Au demeurant, refuser de réformer la fiscalité pour décourager la rétention foncière est une incohérence : les pouvoirs publics incitent d’un côté et désincitent de l’autre…

Il faut s’interroger par ailleurs sur les outils permettant de concilier les objectifs de construction neuve et le gel de l’artificialisation. Sur ce sujet, un rapport sénatorial (Objectif de « zéro artificialisation nette » à l’épreuve du territoire, mai 2021) mérite la palme de l’ambivalence : tout en reconnaissant les conséquences néfastes de l’artificialisation diffuse et la nécessité d’une « sobriété foncière », il brandit le risque de « 100 000 constructions de logements annuelles de moins » et réclame le droit des zones rurales ou peu denses à se réindustrialiser et à se développer. A écouter les sénateurs, la politique, ce n’est pas choisir ses priorités, c’est vouloir concilier le blanc et le noir et s’étonner ensuite d’avoir du gris…

Le risque est, de fait, que nombre d’élus s’abritent derrière cette difficulté, comme ils l’ont déjà fait dans le passé, quand ils expliquaient qu’ils ne pouvaient pas construire de logement social faute de foncier.

Reste donc à promouvoir le recyclage foncier des friches ou des terrains publics inutilisés, la densification des zones déjà bâties, la réhabilitation des parcelles, pour pouvoir construire sans que la ville morde sur les surfaces agricoles ou naturelles. L’ambition implique d’agir sur un territoire suffisamment large, donc de confier aux intercommunalités la politique d’habitat, d’urbanisme et d’aménagement et de l’enlever aux petits maires, souvent arc-boutés sur le statu quo.  Le rapport Rebsamen n’en dit pas un mot : pourtant, le contrat qu’il préconise entre l’Etat et les collectivités ne devrait pas porter seulement sur l’attribution d’aides à la construction de nouveaux logements mais sur les principes de la politique locale de construction et d’habitat, réduction de l’artificialisation et réponse aux besoins réels de logements.

Enfin, il faut dire et répéter que, si la construction doit répondre aux besoins, elle doit porter sur les logements sociaux financés sur « PLAI », réservés aux plus modestes. L’on sait que l’étiquette de « logement social » couvre des réalités très différentes. Sont encore décomptés comme des logements sociaux des logements dits PLS (prêt locatif social) qui, malgré leur nom, sont des logements intermédiaires ouverts aux classes moyennes. Or, la demande est autre. Dans le cadre de son congrès de l’automne 2021, l’USH, Union sociale pour l’habitat, a publié une analyse statistique sur le volume de celle-ci et sur les caractéristiques des demandeurs : depuis 2013, la file d’attente (2,2 millions aujourd’hui, dont un tiers de demandes émanant de personnes déjà résidentes) a augmenté de 20 %. Si l’on met à part les demandes de mutation, 24 % des demandes émanent de familles monoparentales et 70 % d’un demandeur isolé, avec ou sans enfant. Deux demandeurs sur trois ont des ressources inférieures au seuil de pauvreté et trois sur quatre peuvent prétendre à un logement PLAI (les conditions de ressources sont basses : 13 268 euros annuels à Paris en 2021 pour une personne seule). Enfin, l’intensité de la demande (nombre de demandeurs/population) est très forte en Ile de France (14 %), en PACA (8 %), dans les Hauts de France (7 %), plus faible ailleurs. L’ancienneté moyenne des demandes est de 23 mois mais varie selon les régions entre 2 et 38 mois.

Inévitablement, les caractéristiques des demandeurs pèsent sur les attributions : selon les données de l’ANCOLS, Agence nationale de contrôle des organismes de logement social, en 2019, 65 % des attributaires avaient des ressources qui les auraient rendus éligibles au logement « très social » (PLAI), alors que celui-ci ne représente que 6 % des logements attribués, « illustration éclatante du déficit de cette catégorie » que personne jusqu’ici n’a voulu corriger. Les personnes accueillies dans le logement social sont donc de plus en plus modestes. Mais cette évolution ne suffit pas : le flux (420 000 admissions/an, en intégrant les mutations) est trop limité et certaines demandes, même lorsqu’elles émanent de personnes qui devraient être reconnues prioritaires, risquent de n’être jamais satisfaites.

Une mixité sociale instrumentalisée aujourd’hui, qui reste à promouvoir

La Cour des comptes s’est irritée, dans un récent rapport (Une stratégie de finances publiques pour la sortie de crise, juin 2021), de voir ces réalités méconnues : elle soulignait alors que les logements sociaux ne remplissaient plus leur mission d’intérêt général, à savoir loger les plus précaires. Malgré l’évidente vérité de cette affirmation, le monde du logement social s’en est offusqué, soulignant d’une part que le parc social accueille des publics de plus en plus défavorisés (ce qui est exact), rejetant d’autre part le « modèle anglais » d’un logement social réservé aux pauvres et lui préférant un modèle français qui serait axé sur la mixité sociale. Or, si le logement social est en France ouvert aux classes moyennes voire aisées, les diverses catégories sociales accueillies ne se retrouvent ni dans les mêmes immeubles ni dans les mêmes quartiers. La mixité sociale est peu fréquente et, en réalité, sert d’alibi à des organismes sociaux soucieux d’équilibrer leurs comptes en accueillant aussi des publics solvables et qui n’ont nulle envie d’adapter l’offre aux besoins constatés.

Si la mixité sociale était un objectif, elle devrait passer par des outils différents : il serait ainsi plus efficace, pour mêler les populations, de permettre aux aides personnelles de mieux couvrir la charge des loyers, alors qu’elles sont aujourd’hui calculées sur un loyer plafonné relativement bas, ce qui concentre nécessairement les populations très modestes dans des immeubles aux loyers peu élevés. Il serait en outre nécessaires d’accroître considérablement l’offre sociale, de manière à ne pas avoir à choisir, lors des attributions, entre des publics prioritaires et des publics plus aisés ou les “petites classes moyennes”. Un système de cotation des demandes, tel que prévu par la loi Elan, pourrait servir à établir la mixité. Aujourd’hui, compte tenu des caractéristiques de la demande et de l’insuffisance des logements disponibles, la cotation ne viserait qu’à améliorer la lisibilité des multiples critères de priorité. Un prochain projet de loi logement devrait d’ailleurs reculer la date de mise en place de ce dispositif, prévu à l’origine à la fin 2021 : personne ne s’en émeut, sachant que les commissions d’admission sont de toute façon maîtresses, in fine, des décisions et que la cotation ne sera qu’une clarification marginale.

 

Parce que les chiffres de construction stagnent ou baissent ces dernières années, la politique du logement évolue…mais sans regarder en face les réalités sociales. Depuis 20 ans, les pouvoirs publics, tout en reconnaissant verbalement la nécessité de développer le logement social, s’y attachent peu. Le quinquennat Macron s’est particulièrement distingué en ce domaine : au départ, il a nié l’utilité des aides personnelles au logement, les rendant responsables de l’augmentation des prix ; il a ensuite altéré les marges financières des organismes HLM en baissant le « loyer de solidarité » qui constitue une de leurs ressources, pour diminuer les aides personnelles au logement à la charge de l’Etat ; le plan de relance de 2020 ne comporte pas d’objectif de développement du logement social, alors que les manques sont patents ; certes, le protocole d’avril 2021 signé par l’Etat et les bailleurs sociaux affirme l’ambition de financer sur 2 ans 250 000 logements nouveaux, soit un niveau supérieur aux objectifs traditionnellement fixés, mais l’on peut craindre qu’il ne s’agisse là que d’une déclaration d’intention. Les seuls points positifs du quinquennat ont été le soutien à la politique « Logement d’abord » destiné aux sans-abri (mais le dispositif ne peut fonctionner pleinement que si l’accès aux logements sociaux devient moins difficile) et l’encouragement apporté désormais à l’encadrement des loyers, que plusieurs grandes agglomérations ont mis en place. La vérité est que, pendant ce quinquennat, la crise du logement social s’est accrue, à un niveau encore jamais atteint, à ne pas confondre avec une crise du logement en général.