Etats généraux de la justice, piège ou nécessité?

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Etats généraux de la justice, piège ou nécessité?

Les États généraux de la justice ont été décidés lors d’un entretien, en juin dernier, entre le Président de la République, la première présidente de la Cour de cassation et le procureur général de cette même Cour. Ces derniers étaient venus se plaindre des attaques émises par des syndicats de policiers et de la présence de représentants de la classe politique (le ministre de l’Intérieur mais aussi des représentants de presque toute la classe politique, Yannick Jadot, Olivier Faure, Fabien Roussel, Christian Jacob…) à une manifestation policière dont un des slogans était « Le problème de la police, c’est la justice ». Les deux magistrats ont alors souhaité, ou peut-être simplement accepté, le principe de ces États généraux, avec l’objectif de dresser un état des lieux complet et « sans tabou ».

Le risque méritait d’être pris : la justice a besoin de considération. Elle ne pouvait pas ne pas réagir aux accusations émises. Il est à vrai dire estomaquant que le Président, « garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire » en vertu de l’article 64 de la Constitution, n’ait pas lui-même réagi. De plus, les lois adoptées récemment sur la justice (deux pendant le quinquennat Hollande, deux bientôt pendant le quinquennat Macron, dont une loi de programmation 2018-2022 qui prévoit une augmentation des moyens) n’ont corrigé ni son image ni ses résultats.  Un projet d’avenir mérite donc d’être dessiné devant l’opinion publique.

Pour autant, l’acceptation d’États généraux comporte aussi une part de naïveté : l’opinion publique préfère les policiers aux juges et critique, elle aussi, le laxisme de la justice sans croire à son indépendance. De plus, un président qui décide d’États généraux dans une période préélectorale entend avant tout en tirer profit : déjà le site de l’Elysée, annonçant les États généraux sous le titre « Beaucoup a été fait depuis 4 ans pour la justice », cite le durcissement des peines pour certains délinquants et la construction de 15 000 places de prison supplémentaires…ce qui, pour le moins, lance le débat de manière orientée. Enfin, il existe une lassitude des professionnels devant le caractère répétitif de ces exercices de réflexion et de mise à plat : Christiane Taubira avait déjà procédé à une vaste réflexion d’ensemble sur le fonctionnement de la justice et la loi du 23 mars 2019 a été préparée par des « Chantiers de la justice » reposant sur des méthodes comparables, groupes de travail, rapport d’experts…même si les États généraux de 2021 mettent davantage l’accent sur l’association des citoyens.

La difficulté est aussi que les questions à traiter sont nombreuses et très complexes, à la fois pour des raisons techniques et parce qu’elles renvoient à des visions politiques contrastées : responsabilité des juges (les tièdes propositions du Conseil supérieur de la magistrature ne règlent pas la question mais il est difficile de concilier responsabilité et indépendance), rôle et statut du parquet, mise en cause de la responsabilité des ministres, accessibilité financière, lutte contre la délinquance financière, effectivité des peines, peines alternatives à la prison, mission des lieux de détention…sans parler de la faible efficacité des efforts financiers faits en faveur du budget de la justice depuis 10 ans, liée à la part du lion servie à l’administration pénitentiaire.

Dans son discours introductif aux États généraux, le Président a encore chargé davantage la barque, au risque d’aboutir à des conclusions partant dans tous les sens, évoquant l’inflation normative (qui en est responsable ?), l’absence de lisibilité des codes, la réécriture de la procédure pénale promise aux syndicats policiers, la mise en cause de la justice européenne…

Quelle organisation de ces États généraux ?

Outre l’ouverture d’un site de consultation citoyenne, des groupes de travail vont être réunis sur la justice civile, la justice pénale, la justice économique et sociale, la justice de protection, la justice pénitentiaire et de réinsertion, l’organisation judiciaire et la distribution des moyens accordés, enfin l’évolution des missions et des statuts. Des réunions sont prévues entre professionnels et citoyens, notamment pour définir les priorités. Une commission indépendante donnera son avis sur la bonne restitution des résultats. En tout état de cause, si l’on se souvient de la restitution du Grand débat, la principale difficulté sera d’identifier des lignes de force dans un ensemble d’analyses et de suggestions foisonnant. Que privilégier, la parole des experts dans les groupes de travail ou la parole des citoyens, même s’il s’agit en l’occurrence d’une expression individuelle émise sans débat collectif ?

Le quinquennat d’Emmanuel Macron sera décidément celui du verbe : Grand débat national à la suite du mouvement des gilets jaunes, Ségur de la santé, Beauvau de la sécurité, assises de la psychiatrie, autant d’expressions très inégalement productives de décisions sur le fond, qui servent de faire valoir au Président sans nécessairement déboucher sur des propositions nouvelles, opérationnelles et efficaces. Refuser ces débats serait absurde, mais les accepter peut être piégeant.