Pas de conséquences de la crise sanitaire sur la pauvreté?

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Pas de conséquences de la crise sanitaire sur la pauvreté?

L’Insee a publié en novembre 2021 sa traditionnelle « estimation avancée du taux de pauvreté monétaire » de l’année immédiatement précédente (en l’occurrence 2020). Depuis quelques années, conscient que l’étude sur les niveaux de vie publiée en N + 2 était trop tardive, l’Institut s’est efforcé de publier plus tôt certains indicateurs, en s’appuyant sur un échantillon représentatif de la population.

L’étude publiée sur 2020 est assortie de réserves qui vont au-delà des réserves d’usage : l’Insee reconnaît que les résultats sont « plus fragiles » que les années précédentes compte tenu des hypothèses et imputations auxquelles il a eu recours dans une année marquée par l’activité partielle et les aides versées aux ménages à bas revenus et aux indépendants.

De fait, les résultats annoncés (« En 2020, les inégalités et le taux de pauvreté monétaire seraient stables ») ont surpris : jusqu’alors, compte tenu des témoignages, reportages et enquêtes diverses, le sentiment inverse prévalait selon lequel la crise avait creusé les inégalités y compris de revenus. Pour ne prendre qu’un exemple, l’Insee publie, ce même mois de novembre 2021, les résultats d’une étude sur les répercussions de la crise sanitaire sur les clients de la banque postale : il en ressort que, si les revenus de la plupart des clients n’ont été affectés que de manière limitée et temporaire, les clients les plus modestes, en particulier les personnes seules bénéficiaires du RSA, ont été affectés par rapport à la tendance pré-crise (-4 %) malgré les aides exceptionnelles qu’ils ont touchées.

Dans « Le Blog de l’Insee », le directeur général de l’Insee s’explique face aux réactions qui mettent en doute l’étude et ses conclusions, la stabilité de la pauvreté en 2020.

Les arguments sont inégalement convaincants.

L’article précise que les données sur lesquelles l’Insee appuie ses études (qu’il s’agisse des estimations avancées ou des études plus tardives et définitives) sont imparfaites, ne serait-ce que parce que certains groupes (les communautés, résidences étudiantes, maisons de retraite, prisons, et les SDF) sont exclus du champ, de même que certains revenus qui n’ont pas à être déclarés, comme les faibles revenus étudiants tirés du travail. De toute façon, dit-il, il n’y a pas de raisons que ces communautés aient eu des revenus plus faibles en 2020, ce qui n’est sans doute pas tout à fait vrai pour les étudiants ou les SDF. Il reconnaît que, s’agissant de la non-prise en compte des tout petits revenus du travail, les conséquences en 2020 ont peut-être été plus fortes, ce qui peut avoir accru la fragilité des données. Pour autant, il ne pense pas que l’impact ait été important. Il relativise également les statistiques de distribution de l’aide alimentaire (+ 7 % d’inscriptions et plus 11 % du volume de distribution) qui ne correspondent pas à une « explosion ». L’étude sur les clients de la banque postale montre par ailleurs qu’il y a eu une diminution des comptes à découvert…notamment pour les personnes à faibles revenus.

Deux arguments pèsent particulièrement dans sa démonstration, qui méritent considération.

La perception de la crise (ou la crainte de la montée de la pauvreté) a peut-être été plus forte que ses conséquences réelles en termes de revenus.  Certes, la pauvreté est loin d’être un phénomène seulement monétaire et l’on sait que, dans le domaine de l’éducation, la crise a creusé les inégalités. Dans d’autres domaines (santé, logement), elle en a révélé l’ampleur : ce constat peut avoir pesé sur notre perception de la pauvreté, que nous avons peut-être surestimée.

Surtout, la pauvreté a pu s’intensifier (le revenu des plus pauvres peut avoir baissé) sans pour autant que le nombre des personnes dépassant le seuil de pauvreté augmente. De fait, le seuil de pauvreté (60 % du revenu médian) est excessivement élevé (plus de 1100 euros pour une personne seule) et ne permet pas de cerner ni la pauvreté « réelle » ni son évolution. Cependant, la note de l’Insee affirme que non seulement le nombre de personnes pauvres n’aurait pas augmenté en 2020 mais que les inégalités elles-mêmes n’auraient pas augmenté : le ratio inter-déciles des revenus serait resté au même niveau que l’année d’avant. La note de l’Insee conduit donc à penser que l’intensité de la pauvreté n’a pas non plus augmenté.

Au final, l’étude comme son commentaire laissent un sentiment de malaise. Certes, l’Etat a versé beaucoup d’aides pour atténuer la perte de revenus professionnels. Pour autant, l’on a du mal à croire que les revenus des plus modestes, intérimaires et CDD devenus chômeurs faute de travail en entreprise, bénéficiaires du RSA sans petits jobs, entrepreneurs individuels sans débouchés n’en aient absolument pas souffert. Mais il faudra attendre un an pour le savoir.