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Force publique : retour sur les dysfonctionnements

La Cour des comptes publie en cette fin d’année des notes sur les enjeux structurels du pays. Parmi eux, la police ou, plus précisément, la gestion des effectifs policiers. La note (La gestion des ressources humaines au cœur des difficultés de la police nationale, novembre 2021) souligne que les performances, mesurées à l’aune de la présence sur le terrain ou du taux d’élucidation des crimes et délits, ne s’améliorent pas, voire diminuent, malgré l’importance de l’augmentation des moyens budgétaires consentis.

Les effectifs, malgré plusieurs plans de renfort, n’ont que peu progressé, de leur point bas en 2015 (144 000) à celui de 2020 (146 000). Certaines fonctions, police des étrangers, police judiciaire et gestion administrative ont été fortement confortées tandis que le maintien de l’ordre et de la paix publique ainsi que la sécurité routière ont perdu des effectifs. Depuis 2012, le taux de présence sur le terrain a plutôt baissé, de 39,5 % à 37 % des effectifs. La police judiciaire, moins attractive surtout à Paris, est en difficulté. Les services spécialisés ne prennent en charge qu’un pourcentage infime (2 %) des escroqueries et infractions économiques et financières, ce qui fait planer un doute sur la qualité de la plupart des enquêtes, menées par des personnels sans grande formation. Les taux d’élucidation, sans nécessairement baisser (c’est le cas pour les homicides, pas pour les vols avec violences (15 %) ou les cambriolages (10 %), ne sont pas bons.

En réalité, les efforts budgétaires ont été captés par une augmentation des salaires (le coût d’un ETP a augmenté de 20 %) liés à des protocoles (2016 et 2018) accordés sans contrepartie et sans grande réflexion (augmentation des primes, accélération des avancements, augmentation des effectifs dans les grades élevés). La gamme des rythmes de travail est trop large et ceux-ci ne coïncident pas toujours avec les besoins du service, ce qui génère des heures supplémentaires inutiles et des repos supplémentaires non pris, sources de nouvelles difficultés. Le dispositif, déjà modifié en 2020, mérite une réforme plus ample. Quant aux moyens de fonctionnement et d’équipement, ils font toujours défaut (parc automobile trop vétuste, entretien insuffisant des locaux…).

La police nationale devrait donc réfléchir à construire un effectif de référence décliné territorialement (en tenant compte d’indicateurs précis, notamment de délinquance), avec le souci de conforter un encadrement de terrain (corps des officiers) d’autant plus nécessaire que les jeunes recrues sont nombreuses ; les régimes de temps de travail devraient être revus, la formation confortée (le Beauvau de la Sécurité a prévu de revenir à une formation initiale de 12 mois) et la formation continue devenir effective. La police doit enfin réfléchir à la qualité de son recrutement, qui a manifestement baissé.

Au final, l’augmentation des effectifs, présenté comme l’horizon à atteindre par les discours politiques, n’est pas la réponse prioritaire : la gestion du temps des policiers, la bonne répartition des effectifs et la formation sont plus importantes.

Autre constat très interrogatif sur les performances de la police, le rapport établi par un collectif d’universitaires, à la demande de la Défenseure des droits, sur les techniques du maintien de l’ordre en France comparées à celles de pays étrangers. Le rapport oppose radicalement deux conceptions de la gestion des manifestations : l’une (Allemagne, Suède, Belgique) qui recherche le dialogue et une gestion négociée, avec la désescalade comme objectif, l’autre (pour l’essentiel la France) qui considère la foule comme une meute hostile qu’il faut dompter, même si la distinction est faite entre les manifestations pacifiques et celles qui engendrent des désordres. L’on peut aussi évoquer le recours, en France, à des armes qui peuvent s’avérer létales ou causer des blessures graves qui sont interdites dans la plupart des pays européens.

S’ajoute en France le recours de plus en plus courant, pour gérer les manifestations, à des forces moins spécialisées, par exemple les BAC, ce qui accroît souvent la violence envers les manifestants. La presse, les badauds, les observateurs de la manifestation ne sont pas alors les bienvenus et la police s’irrite de ne pas avoir le monopole du récit.

La violence des manifestations en France justifie-t-elle ces différences ? Les policiers le pensent tandis que certains experts soutiennent que la violence de certains manifestants existe partout : seul le traitement n’est pas partout identique.

En tout état de cause, la France n’est sans doute pas près d’abandonner son modèle : quatre dispositions du nouveau Schéma national du maintien de l’ordre ont été annulées par la justice administrative en 2021, celle qui portait sur la technique de la nasse, qui consiste à coincer les manifestants sur un espace dont ils ne peuvent s’extraire et celle qui portaient sur les signes distinctifs des journalistes, leur obligation de quitter la manifestation à un moment donné  ou qui réservait certaines informations aux journalistes accrédités. Les autorités ont pris acte des annulations concernant les journalistes mais, dans la nouvelle mouture du schéma, la technique de la nasse reste autorisée, à la condition que soit ménagé un point de sortie. Les débats sur la responsabilité des violences commises lors des manifestations ont de beaux jours devant eux…