Quel bilan écologique du quinquennat Macron?

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Quel bilan écologique du quinquennat Macron?

Le think tank Terra Nova vient de publier une note de Marine Braud, ancienne conseillère de ministres en charge de la transition écologique d’Emmanuel Macron, intitulée « Le bilan écologique du quinquennat ». La note commence par expliquer le contexte difficile dans lequel l’action s’est située, entre ceux « qui en demandent toujours plus » et ceux qui « ont manifesté leurs réticences au changement » : cet élément expliquerait le « compromis permanent » entre positions irréconciliables que le gouvernement aurait été contraint d’adopter, définition plutôt désespérante de l’action politique. L’auteur explique ensuite sa volonté de nourrir « un débat plus pesé », c’est-à-dire plus équilibré, sur les avancées et les insuffisances de la politique écologique, affirmant d’abord que le quinquennat Macron est « sans conteste celui qui a le plus agi en faveur de la transition écologique », pour concéder ensuite que tout cela n’a pas été suffisant. Elle appelle enfin à un bilan « fin » des échecs et des réussites pour désormais mieux corriger les uns et s’inspirer des autres lors du quinquennat qui vient, probablement avec le même président et peut-être avec les mêmes ministres.

Il est tout à fait légitime de vouloir sortir des caricatures qui opposent les partis ou les clans politiques, bilans triomphalistes d’un côté et refus entêté de constater le moindre progrès de l’autre. Il est normal de mentionner les points sur lesquels la politique écologique a permis des progrès depuis 5 ans. Mais un bilan doit obéir à des règles un peu plus subtiles, que le bilan publié par Terra nova ne respecte pas bien. Au demeurant, une politique écologique est beaucoup plus difficile à évaluer que d’autres : la question de la cohérence et du dépassement de points « critiques » se posent de manière beaucoup plus exigeante que dans d’autres domaines.

Pourquoi le bilan de Terra nova ne va pas 

 Le document se donne pour but de faire reconnaître que le quinquennat a été riche de mesures et d’actions diverses en ce qui concerne l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique. La note est nourrie de références à un ensemble fourni de lois, plans, stratégies, feuilles de route, chiffrages et outils divers qui permettent d’affirmer que de nombreuses actions ont été menées, que la réglementation a évolué et plutôt dans le bon sens, que les financements consacrés à la transition écologique ont augmenté. Cependant, personne ne doute que des actions ont été menées et qu’il y a eu des progrès. Le président, comme ses premiers ministres successifs, ont parfaitement eu conscience, dès 2017, que se déclarer attentifs à l’écologie était une impérieuse obligation politique, quelle que soit leur ligne personnelle, qui en était très éloignée. Mais la liste des textes et déclarations publiés (et surtout de leurs bonnes intentions) ne construit pas un bilan.

Pour établir un bilan, il faut apprécier si les actions menées ont été efficaces et proportionnées aux enjeux, lesquels était d’autant plus incontestables que les pouvoirs publics les ont définis eux-mêmes et se sont engagés à les atteindre (baisse des GES à tel ou tel horizon, pourcentage de logements isolés et gain attendu, maintien de la biodiversité…). La question des résultats obtenus ou projetables est cruciale : comment se contenter de dire que l’on a agi si cela n’a servi à rien et si la situation empire ? Au-delà et peut-être surtout, se pose la question de la cohérence des politiques menées : une politique écologique réussie conduit inévitablement à prendre des mesures contraignantes pour certains secteurs économiques. La question est alors de définir le bon chemin à suivre et, le cas échéant, des politiques d’accompagnement pour faciliter les transitions. Si on ne touche pas à la PAC parce que c’est trop dur de définir les modalités de transition vers une agriculture verte, la politique écologique sombre. Au final, ce n’est pas la profusion des mesures et l’activité du ministère concerné qui compte : c’est de savoir si les choix faits ont été « intelligents », embrassant les questions dans leur complexité, ou s’ils se sont contentés de les traiter partiellement, pour des raisons politiques ou sous la pression du lobbying.

Les « réussites » du quinquennat

 Sur la protection des territoires, la note met ainsi en valeur trois actions : l’objectif de zéro artificialisation nette à horizon 2050 ; la décision de placer 30 % du territoire terrestre et maritime sous protection, dont un tiers sous protection forte, protection qui prend pour l’essentiel la forme de création de parcs nationaux ou régionaux.

La mesure tendant à limiter l’artificialisation des sols dans la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021 est à saluer. Après plusieurs lois qui n’ont contenu que des dispositions inopérantes, c’est le premier texte qui, pour diviser par deux, sur la décennie 2021-2031, le rythme d’artificialisation observé entre 2011 et 2021, impose d’inscrire dans les documents d’urbanisme (SRADDET au niveau régional, SCOT au niveau intercommunal, PLU au niveau communal) des objectifs différenciés selon les territoires. La mesure soulève toutefois trois inquiétudes : la première porte sur les réticences des collectivités territoriales, premières concernées, qui demandent dès aujourd’hui un recul du calendrier qu’elles ont une forte chance d’obtenir, avec le risque qui pointe d’une application peu loyale de la disposition. La deuxième, c’est précisément le calendrier : en comptant les délais de modification en cascade des documents d’urbanisme, la mesure ne sera pas opposable avant 2027 : cela risque d’être trop tardif pour atteindre le résultat escompté. La troisième inquiétude porte sur la capacité des pouvoirs publics à accompagner les changements nécessaires à la réussite, l’acceptation de la densité et des logements collectifs, l’abandon des lotissements et des maisons individuelles, la lutte contre le renchérissement des terrains qu’entrainera la mesure.

Quant à la mise sous protection de 30 % du territoire terrestre et maritime, elle relève, pour l’instant, de la fumisterie : comme le dit la note du Conseil d’analyse économique de septembre 2020 (Biodiversité, quelle réponse économique ?), avant d’augmenter les espaces protégés, il faut s’assurer de la qualité de la protection. Celle-ci n’est pas assurée dans les parcs régionaux. Pour les espaces sous protection forte, la stratégie définie en 2011 prévoyait d’y placer 2 % du territoire métropolitain : le bilan est de 1,29 %. Le Conseil national de la biodiversité déplore aujourd’hui l’absence d’évaluation de la protection des espèces et des habitats qui est censée y être à l’œuvre.  Il demande, avant de décréter l’extension de la protection, que l’on en définisse les moyens, condition du caractère effectif des « aires protégées ». Ce serait une réussite que ne pas prêter attention à cette mise en garde ?

La note de Terra nova mentionne également dans les réussites des décisions capitales, mais inopérantes, parce qu’elles reposent, pour l’essentiel, sur des recommandations.

 C’est le cas du plan Ecophyto, dont le bilan, selon la note de Terra nova, ne ferait pas l’objet d’une vision consensuelle : elle en reconnaît toutefois l’échec, tout en indiquant qu’il n’est pas limité au quinquennat Macron, ce qui est vrai. Il s’agit là, selon un référé de la Cour des comptes de novembre 2019, d’un gaspillage de fonds publics : il serait nécessaire de conditionner les aides accordées aux exploitations agricoles à la réduction de l’usage des produits phytosanitaires, pesticides et herbicides, tout en accompagnant les agriculteurs dans cette évolution. Et les doutes mentionnés sur la dangerosité de certains produits ne tiennent pas : l’Inserm a publié en juin 2021 une analyse qui mentionne « des présomptions fortes » de liens entre l’exposition et la survenue de pathologies graves et insiste sur la « nécessite de mieux protéger la population ». Quant à la pollution aux nitrates, que dire ?

 La mention de la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée, issue de la Déclaration d’Amsterdam de 2015, n’est pas plus compréhensible : cette stratégie entend lutter contre la déforestation générée dans les pays auxquels nous achetons du soja, de l’huile de palme, du bœuf, des bois tropicaux, du caoutchouc ou du cacao. La note de Terra nova, tout en reconnaissant l’inanité des résultats, considère la seule « mise à l’agenda » d’un tel sujet (« son débroussaillage ») comme un succès. Mais pour l’instant, personne n’est parvenu à imposer un plan efficace contre la déforestation des pays exportateurs : la certification privée est inopérante et le refus pur et simple d’importer des produits venant de zones reconnues comme victimes de déforestation n’est pas accepté. Le règlement que prépare la Commission sur ce thème (qui prévoit que les entreprises doivent « garantir » que les produits qu’elles vendent n’ont pas provoqué de déforestation) va se heurter aux mêmes dilemmes.

L’on pourrait continuer sur d’autres citations : l’action du gouvernement sur la pollution des plastiques est qualifiée de forte et la note parle de « changement systémique ». Elle mentionne, mais sans y répondre, les objections sur un calendrier très étiré, sur l’impossibilité de recycler durablement le plastique, recyclage qui est pourtant la clef de voûte des textes, et les doutes sur l’impact des interdictions édictées. L’exécutif est de même crédité d’avoir interdit certaines chasses (chasse à la glu, chasse à la tourterelle des bois ou à diverses espèces d’oiseau) alors qu’il a simplement fini par céder, parfois après plusieurs années de résistance, à des jurisprudences répétées qui ont considéré illégales ses précédentes décisions d’autorisation.

Quant aux mesures contre le réchauffement climatique, la simplification et le succès des aides à l’isolation des logements sont vantées mais la note reconnaît qu’elles ne parviendront pas à atteindre la cible visée. Un graphique illustre « Des financements sans précédent pour le climat » mais reconnaît ensuite, sans graphique, que les ONG dénoncent les subventions à des secteurs néfastes et que l’Etat lui-même les reconnaît, sans que l’on s’accorde, il est vrai, sur leur montant (cf. l’étude Carbone 4, l’Etat français se donne-t-il les moyens de son ambition climat ? février 2021). De manière plus globale, la note consacre 5 pages à reconnaître justifiée l’injonction du Conseil d’Etat au Premier ministre, en juillet 2021, de prendre toutes les mesures utiles pour rendre compatible la trajectoire des émissions de GES avec les objectifs affichés …et trois lignes de conclusion pour dire que ce jugement  « n’est pas suffisant pour rejeter d’un bloc toute l’action de la majorité présidentielle sur le sujet… ».

La note de Terra nova : une erreur de jugement fondamentale

 Lister sans évaluation conclusive, mentionner les objections sans dire si elles sont décisives ou pas, plaider l’action tout en reconnaissant l’absence de résultats, la démarche intellectuelle de la note de Terra nova, où l’on trouve littéralement tout et son contraire, est plus que confuse. La note accepte une contradiction permanente : elle vante l’action et le courage d’un gouvernement qui s’attaque enfin au problème, puis reconnaît, dans la même page, que la politique menée a été mal orientée, ne s’est pas dépêtrée de contradictions internes ou n’a pu qu’être partielle voire inconsistante. Elle passe sous silence certaines décisions majeures contraires à sa démonstration : la PAC future applicable en France n’est pas analysée. Les nouvelles méthodes de gouvernance (multiplicité des états généraux, assises…) sont appréciées positivement tout comme la création d’institutions consultatives (Haut conseil pour le climat), sans que soit mentionnée l’indifférence des pouvoirs publics à l’égard de leurs propositions.

Au-delà, la méthode de diagnostic n’est sans doute pas la bonne : l’écologie n’est mise à la bonne place. La note mentionne, trop discrètement, que, s’agissant de la biodiversité, devant la faiblesse des résultats obtenus, les recommandations actuelles des écologistes seraient d’abandonner une politique spécifique protégeant certaines zones et certaines espèces, pour privilégier une approche systémique. Certes, les actions menées en faveur d’espèces particulières sont utiles, de même que certaines limitations de pêche. Mais seules les actions amples, portant sur des écosystèmes, des pratiques agricoles ou des choix urbanistiques d’ensemble peuvent constituer une politique efficace de protection et enrayer le déclin constaté des oiseaux ou des insectes.

De même, il ne s’agit pas d’infléchir les impératifs économiques pour faire une place à des préoccupations vertes, ce qui semble être la politique des pouvoirs publics. Il s’agit de changer le modèle de croissance et d’anticiper les conséquences sur les entreprises, les modes de production, les modes de vie. Contrairement à ce que dit la note, le quinquennat Macron ne paye pas les retards qui ont été pris dans les quinquennats précédents, même si, de fait, l’action du quinquennat Sarkozy a été néfaste et celle du quinquennat Hollande faible. Il paye une erreur d’analyse :  il faut qu’il parvienne à concilier les résultats à atteindre dans le domaine écologique, qui ne sont pas négociables, et la croissance, alors que le discours actuel met, au mieux, écologie et croissance sur un pied d’égalité, voire met la croissance en premier. A l’inverse, il faut définir un modèle de production qui entre dans le champ des contraintes de protection écologique. Comme le dit avec intelligence Jean Pisani-Ferry dans une note, publiée également chez Terra Nova en mars 2019 (Transition écologique, choisissons le réalisme), le scénario de base des pouvoirs publics et des citoyens est celui d’une évolution au fil de l’eau qui améliore peu à peu le respect de l’environnement et diminue les facteurs de réchauffement du climat, sans douleur, gentiment, en maintenant quasiment à l’identique l’activité économique et nos modes de vie. La « transition », si elle est menée, sera autre, difficile et sans doute douloureuse. Elle réduira notre consommation et modifiera nos vies. L’extension des parcs nationaux, les champs d’éoliennes en mer, l’interdiction de tel ou tel néonicotinoïde ne suffiront pas. On a besoin d’une vision englobante de l’avenir et que soit défini un cheminement très concret pour y aller. Légiférer en pagaïe, avec des sursauts et des contradictions, puis courir, pour des raisons électorales, derrière une énumération désordonnée des « progrès », cela n’a pas de sens.

Pergama, le 19 janvier 2022.