Repenser l’héritage

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Repenser l’héritage

La note du CAE de décembre 2021, Repenser l’héritage, souligne d’abord l’importance du patrimoine et du patrimoine hérité  dans l’augmentation des inégalités : contrairement à la période des trente glorieuses, où les inégalités en ce domaine se sont atténuées, depuis 1970, la valeur du patrimoine détenu a fortement augmenté, la concentration de sa détention s’est accentuée (1 % des détenteurs en possédaient 15 % en 1985, pourcentage passé à 25 % aujourd’hui) et la fortune héritée, qui représentait 35 % du patrimoine en 1970 en représente désormais 60 %. Le patrimoine hérité est lui aussi fortement concentré : travaillant par cohortes pour connaître l’ensemble des héritages dont a bénéficié la population, une étude associée à la note du CAE montre que 50 % des individus héritent de moins de 70 000 euros et moins de 10 % de plus de 500 000, le 1 % le plus favorisé recevant en moyenne 4,2 millions. Ce constat augure d’une société d’héritiers où les inégalités sociales se solidifient sans que la mobilité sociale liée au travail permette de les corriger. Il faut donc augmenter la fiscalité sur l’héritage, les effets pervers induits (émigration, changement des comportements d’épargne) paraissant faibles. De plus, la grande impopularité de l’augmentation des droits de succession s’explique par une mauvaise connaissance de la situation : dans la réalité, les droits sont progressifs, le seuil d’exonération est élevé et le poids des droits sur les classes populaires et moyennes est très surestimé.

La première proposition est de mettre fin à l’opacité des données : il n’existe pas de bonne information sur les successions ni d’étude sur l’optimisation des transmissions (pacte Dutreil pour l’exonération de la transmission d’une entreprise, recours à l’assurance-vie, au démembrement de propriété, effet de l’effacement des plus-values latentes à la succession…).

Au-delà de cette volonté de meilleure transparence, les propositions de réforme proprement dite du système consistent à prendre en compte les flux successoraux dont une même personne bénéficie tout au long de sa vie, au lieu d’appliquer des barèmes succession par succession :  les successions en ligne directe et indirecte, aujourd’hui très différemment taxées, seraient désormais traitées à l’identique. On sait par ailleurs que, en France, les taux sont élevés mais les assiettes « mitées » par des exemptions et des exonérations généreuses, qui bénéficient plutôt aux grosses transmissions. Le barème (45 % au-delà de 1,8 million) n’a ainsi pas de rapport avec le taux pratiqué (10 % en moyenne pour les 0,1 % de la population qui touchent 13 millions). La note considère que les exonérations liées à l’assurance vie, au démembrement de propriété ou à la transmission d’entreprises ne sont pas justifiées. Dans ce dernier cas, les effets d’une taxation sont faibles ou nuls sur l’investissement ou l’emploi et l’intérêt d’un « capitalisme d’héritiers » n’est pas démontré.  En contrepartie, le paiement des droits pourrait être davantage étalé.

La note a été attaquée par certains (Gilbert Cette et Elie Cohen dans un article de Télos) parce que la fiscalité sur le patrimoine est déjà plus lourde que celle des pays scandinaves plus égalitaires, parce qu’on se ficherait un peu des inégalités mesurées sur le 1 % ou le 0,1 % de la population d’ensemble, parce qu’il faut protéger les PME « patrimoniales », enfin, parce que la priorité pour réduire les inégalités serait de réformer l’école et pas la fiscalité.

Certes, l’égalité des chances passe par d’autres voies que l’alourdissement de la fiscalité sur les très riches, qui ne ferait au demeurant que réduire modestement des écarts très forts dans les inégalités patrimoniales. Mais un récent rapport de l’OCDE sur les successions s’inquiète également de la concentration des richesses et plaide aussi pour augmenter les droits afin de réduire les inégalités. De plus, on sait que ce sont les niches fiscales qui alimentent la méfiance contre la fiscalité : il faut s’émouvoir de la disproportion entre l’affichage d’un barème à 45 % pour les grosses successions et la réalité du taux qui les frappe (10 %). L’équité existe et les 1 % les plus riches n’ont pas à y échapper.