Déserts médicaux, le retour

Service public de la petite enfance : une promesse électorale ou un engagement ferme ?
19 janvier 2022
Chômage : retour à l’avant-crise ou avancée vers le plein emploi?
8 février 2022

Déserts médicaux, le retour

La campagne des élections présidentielles ramène à la surface une des inégalités les moins bien supportées sur le territoire, celle des difficultés d’accès aux soins dans un pays qui dépense près de 210 Mds pour la santé, somme dont la collectivité prend en charge près de 80 %. Le problème est récurrent : il a donné lieu à un ensemble impressionnant de plans de lutte (le dernier date de 2017) et il s’est pourtant continûment aggravé.

En 2017, un géographe spécialiste des difficultés territoriales d’accès aux soins, Emmanuel Vigneron, a établi, en fonction de la densité des spécialistes (mesurée par département) et de celle des généralistes, chirurgiens-dentistes et kinésithérapeutes (mesurée par canton, car il s’agit d’une médecine de proximité), une carte des territoires « abandonnés ». Il en résultait alors que 3,9 millions de Français vivaient dans des territoires où la situation était alarmante et 4,8 millions dans des territoires « délaissés », où l’accès était moins problématique mais restait malaisé.  L’apport de l’étude était de montrer combien l’écart s’était creusé entre territoires depuis 2010 : des régions entières étaient désormais touchées, comme le Centre, ainsi que des pans de département comme en Manche ou en Vendée. Il ne s’agissait pas (il ne s’agit toujours pas) d’une pénurie de médecins, qui n’ont jamais été aussi nombreux, mais d’une diminution des généralistes et d’une concentration de l’offre dans les villes, qui concerne tous les professionnels de santé. Constat complémentaire, connu depuis longtemps, tous les établissements de santé, hormis les CHU, sont touchés par les vacances de poste, particulièrement dans certaines régions déjà peu dotées en praticiens libéraux, comme le Centre, le Limousin, la Bourgogne ou la Basse Normandie. La conclusion est claire : les dispositifs incitatifs à l’installation mis en place par les pouvoirs publics ont sans doute limité l’ampleur de la désertification médicale, de même que l’installation de maisons de santé, mais ne l’ont pas empêchée.

Un  rapport récent de l’Assemblée nationale (Pour une santé accessible à tous et contre la désertification médicale, Commission des affaires sociales, novembre 2021) refait un point sur l’aggravation des données : le nombre des médecins généralistes a baissé depuis 2012 de 5,6 % et le nombre des spécialistes augmenté de 6,4 %. La densité des généralistes baisse partout, de 153 pour 100 000 habitants en 2012 à 140 en 2021. Les inégalités se creusent et la pénurie touche particulièrement les communes rurales des grands pôles et la périphérie des petits et moyens pôles : le taux de généralistes est de 110 dans la région Centre, 116 en Picardie et 121 en Haute-Normandie, régions dans lesquelles il a nettement diminué depuis 2012. Le taux de vacances des praticiens hospitaliers (31,6 % au niveau national, jusqu’à 39 % dans certaines régions) augmente les difficultés.

Malgré le desserrement du numérus clausus, les projections, établies toutes choses égales par ailleurs, montrent que le nombre de généralistes va continuer à baisser jusqu’en 2026 et que, compte tenu du vieillissement et de l’augmentation de la population, la densité se dégradera jusqu’en 2035. Bien évidemment, les écarts s’accentueront alors entre territoires.

L’échec des mesures incitatives prises jusqu’à maintenant (offre de contrats d’engagement de service public comportant des avantages pour les médecins qui s’installent dans certaines zones, aides conventionnelles de l’assurance maladie, recrutement de médecins salariés ou d’assistants médicaux), de même que le constat selon lequel le  développement de la télémédecine ne peut constituer une réponse adaptée dans tous les cas conduisent l’Assemblée nationale à proposer des mesures plus coercitives. Déjà, la Cour des comptes, de précédents rapports des Assemblées parlementaires et la Direction du Trésor avaient proposé un conventionnement sélectif fondé sur la situation territoriale.  La proposition de loi s’y rallie, en y joignant l’augmentation des capacités d’accueil des universités dans les territoires sous-dotés et la généralisation des contrats d’engagement du service public.

Les programmes de certains candidats suivent cette voie (F. Roussel pour le parti communiste, J-L Mélanchon pour la France insoumise) mais ce ne sont pas ceux qui sont les plus susceptibles d’être élus. Valérie Pécresse propose d’augmenter la rémunération des médecins dans les zones sous-dotées (c’est déjà fait) et de prolonger les études pour envoyer davantage d’étudiants sur place, réponse bien tiède. Emmanuel Macron est plus flou : il reconnaît la gravité de la question, « n’exclut rien », tout en soulignant qu’il est difficile de contraindre une profession. Il est douteux que la question soit vigoureusement traitée dans un proche avenir, même si l’on peut tabler sans doute sur un nième plan. Les questions non ou mal traitées sont comme les plaies mal soignées : elles s’enveniment et finissent par être handicapantes. C’est sans doute ce qui se produira avec cette question sans réponse.