Quel débat sur les retraites lors des présidentielles?

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Quel débat sur les retraites lors des présidentielles?

Le thème des retraites est l’un des rares thèmes de protection sociale à émerger lors des débats sur la présidentielle. Il fait partie des « thèmes structurels » que la Cour des comptes a choisi de traiter dans un contexte post-COVID et pré-élections présidentielles : elle y étudie les principaux défis que les décideurs publics devront relever dans les années qui viennent.

Sur ce thème, les candidats ont tous des propositions, le plus souvent ponctuelles, catégorielles, sans analyse globale ni vision, tout en étant souvent imprécises et rarement chiffrées. Le rapport de la Cour (Continuer à adapter le système de retraite pour résorber les déficits et améliorer l’équité) a une autre ambition.

Candidats : des propositions le plus souvent ponctuelles

 Valérie Pécresse veut augmenter l’âge d’ouverture des droits pour atteindre 65 ans en 2030, tout en gardant le dispositif actuel des carrières longues (celui-ci permet une ouverture de droits dès 60 ans, voire avant, à condition d’avoir commencé à travailler jeune, d’avoir eu des droits acquis dès 16 ou 20 ans et d’avoir une durée d’assurance donnée, variable en fonction de la date de naissance) ainsi que la possibilité de départ anticipé pour pénibilité (liée au nombre de points acquis sur le compte de prévention en fonction de l’exposition à certains facteurs de risque, comme le travail de nuit ou posté).

La position d’Eric Zemmour est quasi identique : sans grande justification (« il faut travailler plus longtemps »), il plaide pour un recul à 64 ans, mais en modulant la règle pour les personnes qui ont commencé tôt ou ont des métiers pénibles, sans précision sur ce que recouvriraient ces termes.

Valérie Pécresse souhaite porter de 54 % à 75 % le taux des pensions de réversion des conjoints survivants sans droits personnels à pension (sans préciser si les conditions de ressources qui existent aujourd’hui seraient maintenues) et augmenter (sans plus de précision) les pensions de réversion des conjoints collaborateurs d’artisans et de commerçants.

Elle veut surtout garantir une retraite au niveau du SMIC net (1270 euros aujourd’hui) aux personnes qui ont fait une carrière complète : sur le fondement des données de la DREES (cf. Les retraités et leurs retraites, 2021), entre 1,8 et 2 millions de retraités pourraient être concernés, qui perçoivent une pension inférieure à 1000 euros par mois même en y intégrant les bonifications pour enfants. Le coût de la réforme (aucun chiffrage n’est présenté) reste toutefois difficile à estimer compte tenu de la très récente entrée en vigueur des lois du 3 juillet 2020 et 17 décembre 2021 revalorisant les pensions agricoles, qui ont sans doute rapproché les pensions agricoles minimales de 85 % du SMIC. Quant à la disposition du programme de la candidate de LR prévoyant de transférer la charge de points de cotisations salariales vieillesse à l’Etat pour augmenter les salaires jusqu’à 2,2 SMIC, la mesure est étonnante pour une candidate libérale : d’un côté, l’âge de départ en retraite est reculé pour équilibrer le système, de l’autre, les assurés cotisent moins et l’Etat, très endetté et qui doit réduire les dépenses publiques, prendrait le relais. Comprenne qui pourra.

Marine Le Pen a récemment abandonné le retour pour tous de l’âge d’ouverture des droits à 60 ans avec 40 ans d’assurance (qui était pourtant le principal pilier social d’un programme tourné vers les catégories populaires, mesure désormais laissée à J-L Mélanchon et aux candidats d’extrême-gauche) pour se concentrer sur l’amélioration des droits des personnes qui ont commencé à travailler avant 25 ans. Elle propose d’améliorer le système actuel de carrières longues pour les personnes ayant commencé à travailler avant 20 ans (40 années d’assurance demandées, soit 160 trimestres, moins que ce qui est aujourd’hui exigé) et un dispositif en biseau est institué pour ceux qui ont commencé leur vie active de 20 à 24,5 ans. Rien ne changerait pour les autres. Le dispositif est quelque peu paradoxal : au nom de la redistribution, il demande moins de trimestres de cotisation aux actifs à carrière longue, ou du moins à ceux qui ont commencé tôt, en préjugeant qu’il s’agit là de carrières pénibles. Le coût est estimé à 9,7 Mds : mieux vaudrait sans doute cibler tout simplement la pénibilité et définir les critères permettant à certains de partir plus tôt que d’autres.

La candidate porterait également à 1000 euros les petites pensions, proposition déjà avancée cet été par Emmanuel Macron, ce qui, compte tenu des réformes mentionnées supra des carrières agricoles, ne devrait pas être trop coûteux.

Anne Hidalgo, qui pense que le système de retraites n’est pas aujourd’hui menacé, a une vision un peu plus ample. Elle sanctuarise à 62 ans l’âge d’ouverture des droits, tout comme Y. Jadot. La candidate socialiste souhaite de surcroît porter le minimum vieillesse à 1000 euros (il est à l’heure actuelle de 916,78 euros au maximum pour une personne seule) et le montant du minimum contributif à 1200 euros. Cette dernière proposition, dont on voit bien l’esprit, paraît témoigner d’une mauvaise compréhension du dispositif : le montant maximum du minimum contributif, qui ne porte que sur la pension de base, est aujourd’hui de 652 euros ou de 713 euros selon le cas ; le porter à 1200 euros reviendrait à quasiment le doubler avec une augmentation très forte du montant des petites pensions, qui déséquilibrerait complètement la hiérarchie des pensions contributives, pour un coût sans doute élevé qui mériterait calcul ; de plus, à quel niveau serait alors fixé le plafond toutes pensions confondues au-delà duquel le minimum est écrêté et qui est aujourd’hui de 1241 euros ?

La candidate est la seule à vouloir rétablir les 4 facteurs de pénibilité qui ne donnent plus lieu, depuis 2017, à inscription sur le compte de prévention (lequel peut ouvrir droit à avancer l’âge de départ), à savoir la manutention de charges lourdes, les postures pénibles, l’exposition aux vibrations et à des agents chimiques. C’est implicitement montrer que la couverture du risque de pénibilité est notoirement insuffisante, ce qui a le mérite d’évoquer, enfin, ce point.

Et que dit Emmanuel Macron ? Son programme n’existe pas encore mais quelques déclarations sont ambitieuses.  Lui aussi veut une pension minimale à 1000 euros pour les carrières complètes, ce qui, comme mentionné supra, ne devrait pas être éloigné de la réalité actuelle. Surtout, il envisagerait une simplification du système pour avancer vers trois grands régimes (un pour les fonctionnaires, un pour les salariés du privé et un pour les professions indépendantes) et vers la fin de régimes spéciaux éparpillés. Il n’est donc plus question d’un régime universel mais d’une restructuration plus progressive.  Ces régimes en annuités fonctionneront-ils par points ? On ne sait : la tentation doit être grande (la technique par points rend le pilotage de long terme bien plus souple, le montant des droits n’étant plus garanti sur la durée) mais la prudence l’emportera peut-être : la méfiance a augmenté dans l’opinion publique à l’égard des projets de « transformation systémique ». En ce domaine, la survenue de la pandémie a rendu un grand service au pouvoir macroniste, en lui permettant de renoncer sans trop se déjuger à une réforme trop globale, mal préparée, qui s’avérait difficilement applicable et suscitait l’inquiétude.

Surtout, E. Macron est favorable à un recul de l’âge d’ouverture des droits (ou à un âge pivot en dessous duquel les assurés seraient pénalisés), qu’il ne jugeait pas utile il y a 5 ans mais qui, portée par les ministres de droite au gouvernement, représentera sans doute aujourd’hui le cœur de son projet. Il y voit sans aucun doute une manière de maîtriser le déficit mais le présente aussi comme une contribution à la croissance : c’est bien le message porté par la direction du Trésor lors de la récente journée du COR sur l’âge de la retraite (cf. infra), même si d’autres voix en soulignent, au contraire, le risque social. Cependant, pour crédibiliser la nécessité d’une réforme d’allongement de la vie au travail, il faut l’insérer dans des perspectives plus globales : évolution des comptes sociaux, protection des salariés les plus fragiles, efforts d’investissement à faire dans d’autres domaines comme la santé, ce qui implique la construction d’un programme d’ensemble qui n’existe pas aujourd’hui.

Les candidats présentent aujourd’hui des réformes pointillistes, sans poser les questions de fond qui structureraient leur programme: il n’est pas étonnant qu’elles ne retiennent guère l’attention des électeurs. Un vrai débat public sur l’avenir des retraites sera peut-être relancé avant l’élection, sans doute sur le recul de l’âge. Comment mesurer les effets d’une telle mesure?

Recul de l’âge de la retraite, des effets compliqués et un plaidoyer qui ne va pas de soi

En janvier 2022, le Conseil d’orientation des retraites (COR) a consacré un séminaire à l’âge de départ.

Le risque de tout recul de l’âge est fort : aujourd’hui, le taux d’emploi des seniors au-delà de 60 ans est particulièrement faible, 32,7 % en 2020 contre plus de 50 % en moyenne d’ensemble OCDE. Autre manière de mesurer la même réalité, le rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale « retraites » annexé à la LFSS pour 2022 note que 25 % des personnes qui ont pris leur retraite en 2019 n’ont validé aucun trimestre d’activité l’année immédiatement précédente, que 8 % l’ont fait au titre de la maladie ou de l’invalidité et 12 % au titre du chômage, soit 45 % de nouveaux retraités qui n’ont pas travaillé l’année précédant leur retraite.

Comment reculer l’âge de départ alors que tant de travailleurs âgés ne parviennent pas à travailler dès après 60 ans ?

Lors du séminaire du COR, les services d’études des ministères sociaux ont souligné, en se fondant sur l’expérience d’après réforme 2010, les risques d’augmentation du chômage et des autres prestations sociales (RSA, pensions d’invalidité, indemnités maladie, rentes AT) en cas du recul de l’âge d’ouverture des droits, même s’ils reconnaissent que la mesure permet d’augmenter le taux d’emploi des seniors. Ils reconnaissent que le chiffrage des répercussions sur le chômage dépend de la conjoncture économique et de l’ampleur de l’augmentation du taux d’emploi des seniors constatée : il est donc fragile. Sur le fondement des estimations produites en conjoncture 2019, un bilan purement comptable montre que le gain produit par l’augmentation des recettes liée à un recul de départ de 2 ans (environ 15 Mds) serait amoindri par une augmentation des dépenses sociales de près de 5 Mds.

Quant aux répercussions d’ensemble sur l’économie, les modèles qui les mesurent donnent des résultats divers et donc contestables : après la montée en charge, dans 10 ans, de la mesure de recul, la Direction du Trésor prévoit une augmentation de l’emploi et du PIB, l’amélioration du solde des retraites et, malgré une augmentation des dépenses des autres risques (en particulier l’assurance chômage), une amélioration du solde des administrations publiques (+ 0,9 point). Mais d’autres modèles évoquent + 0,4 point et d’autres aucun gain réel. Surtout, avant d’atteindre les résultats visés, dans 10 ans, l’on passerait par une augmentation du chômage, une baisse des revenus, un impact sur le coût du travail et les salaires dont on attend des répercussions positives sur les créations d’emploi. Le degré d’incertitude est fort et les conséquences de court terme risquent d’être pénibles.

Surtout, pour plaider le recul de l’âge, l’on évoque couramment la nécessité de rétablir l’équilibre financier du système menacé par le vieillissement. Or, cet argument est aujourd’hui plus difficile à avancer.

Où en est le système des retraites ?

Dans son rapport d’octobre 2021 sur le système de retraites, la Cour des comptes dresse le bilan d’un ensemble réformé à 5 reprises en 20 ans, complexe, composé de régimes encore très divergents, marqué par des départs anticipés très nombreux et coûteux (un départ sur deux, avec un coût estimé à 14 Mds). Les réformes opérées, qui ont surtout modifié les paramètres du système (taux de cotisation, durée d’assurance, âge d’ouverture des droits) et pas sa structure, ont permis des économies importantes, chiffrées par l’Insee à 3,6 points de PIB en 2020 et 5 en 2030. Néanmoins, les dépenses de retraite dans le PIB restent en France plus élevées que dans nombre d’autres pays, l’âge d’ouverture des droits y est bien plus bas, l’âge moyen de cessation d’activité aussi (61,9 ans en 2017 contre 65,3 ans en Suède et 63,3 ans dans l’Union européenne), le niveau de vie des retraités dépasse en moyenne celui du reste de la population et les réformes (surtout celle de 2010) ont davantage touché les bas salaires et ceux qui sortent précocement de l’emploi. Le système défavorise les femmes à carrière courte et les salariés bas salaires. Malgré la convergence engagée dès 2003, de fortes inégalités de traitement perdurent entre le régime général et les régimes spéciaux. L’ensemble est complexe et difficilement lisible, en particulier pour les polypensionnés.

Financièrement, le système est déséquilibré aujourd’hui (- 7,3 Mds en 2020, – 6,4 Mds en 2021) et pour au moins encore une dizaine d’années. Les projections établies pour l’ensemble des régimes de base et le Fonds de solidarité vieillesse (in Rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale, Retraites, 2022) montrent, entre 2022 et 2025, un déficit annuel allant de 5 à 10 Mds, tandis que le rapport du COR fait état, à partir de 2030, de déficits nettement différenciés en fonction de l’évolution de la productivité.

Cependant, en termes de points de PIB, le rapport du COR constate une baisse du poids des retraites dans le PIB depuis 2014 (point haut à 14,1 %), indicateur qui a atteint 13,5 % en 2019. Une fois dominé le ressaut de cet indicateur en 2020 dû à la baisse d’activité, les projections financières anticipent un maintien aux environs de ce niveau dans la décennie 2020 avant une baisse après 2030. Le constat est important : il signifie que, malgré les perspectives de vieillissement et d’augmentation du nombre des retraités, la charge supportée par les actifs en pourcentage des richesses produites est appelée à baisser sur le long terme. Selon le COR, cette conclusion contre-intuitive est lié à l’évolution des carrières des actifs et à la baisse de la pension moyenne induite par les réformes antérieures.

C’est sur ces projections que les opposants à une éventuelle réforme des retraites s’appuient pour plaider que le système n’est pas en crise : certes il n’est pas équilibré et connaît un déficit qu’il faut combler ; certes, l’on peut également juger que son poids est trop lourd dans une France soumise à obligation d’économies pour dégager des marges de financement pour d’autres urgences et que certaines dépenses ne sont pas justifiées en équité.  Pour autant le système n’est pas en perdition : le plaidoyer traditionnel sur le caractère inévitable d’un recul de l’âge pour faire face au tsunami du vieillissement n’est pas de mise. Si l’âge recule, ce sera par choix politique.

Prendre de la réforme des retraites une vision large

Pour l’avenir, la Cour s’en tient (période électorale oblige) à des recommandations de principe : rétablir l’équilibre financier mais en respectant l’équité intergénérationnelle et en équilibrant les mesures demandées aux actifs et ceux demandés aux retraités. Elle recommande de préserver les plus fragiles de l’une et l’autre catégorie (petites pensions, actifs soumis à pénibilité). Elle voudrait aussi que soit mieux respectée l’équité intra-générationnelle (moins de différences de traitements entre les divers actifs, rapprochement des régimes, réexamen des droits à départ anticipés). Elle insiste (elle a raison) sur le maintien dans l’emploi des salariés âgés et sur la prise en compte de la pénibilité.

Tels sont bien les thèmes qui devraient être débattus : la réforme des retraites n’est pas une question seulement financière. Elle ne peut être étudiée indépendamment des impacts qu’elle aura sur les différentes catégories sociales et les salariés âgés et modestes. Même le rapport Blanchard-Tirole  qui, à l’été 2021, plaidait encore pour la construction d’un système unifié, par points, où la valeur du point évoluerait en fonction d’un ratio de « dépendance démographique » destiné à l’équilibrer le système, insiste sur la nécessité d’élaborer un système ambitieux de prise en compte de la pénibilité : il propose de confier aux partenaires sociaux, par branche, le classement des emplois au regard de ce critère, à charge pour les employeurs de la branche d’en supporter le coût. La méthode responsabilise les employeurs sur la protection de la santé des travailleurs âgés. Elle a ses inconvénients : dans certains secteurs d’activité en difficulté économique, le système risque d’être peu généreux. Du moins a-t-elle le mérite d’exister.

En 2020, les Pouvoirs publics ont d’ailleurs demandé des propositions pour encourager le travail des seniors : sans grande surprise, le rapport Bellon (Favoriser l’emploi des travailleurs expérimentés) insiste sur le droit à la formation des actifs âgés, sur l’organisation de transitions professionnelles permettant le maintien en emploi ou de passages entre vie active et retraites et sur la prévention de « l’usure au travail ». Le rapport évoque « la réussite finlandaise » en ce domaine mais celle-ci n’a été acquise qu’avec un effort durable des entreprises visant à unir amélioration générale des conditions de travail et de la formation pour tous les âges et accordant une attention particulière aux conditions permettant effectivement le maintien dans l’emploi des seniors.   De ce rapport, le gouvernement n’a pour l’instant rien fait. La loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail n’est pas centrée sur la prévention de l’usure du corps et de la pénibilité, même si certaines dispositions peuvent y inciter. En tout état de cause, tous les textes du monde ne pourront rien en l’absence de prise de conscience des employeurs et l’on peut craindre que ce ne soit le cas. Mais un débat sur les retraites qui ne poserait pas ces questions serait malhonnête et tronqué, de même qu’un débat qui ne traiterait pas de l’équité.

Pergama, le 21 février 2022