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Islam de France : apprendre la modestie?

La tentation de l’Etat d’organiser l’Islam de France à la place des musulmans eux-mêmes, qui s’accommodent sans souci d’un Islam divers sans représentation nationale ni clergé hiérarchiquement organisé, est ancienne. Elle daterait de Pierre Joxe qui, à la fin des années 80, a créé un « Conseil de réflexion sur l’Islam de France », relayé ensuite par Jean-Pierre Chevènement, qui procédera à une « consultation » pour orienter l’action de l’Etat. C’est finalement Nicolas Sarkozy qui, en 2003, se targuera d’avoir enfin réussi à structurer une représentation nationale, le Conseil français du culte musulman (CFCM), ensemble hétéroclite de fédérations de mosquées qui ne s’entendront jamais. L’Etat ira jusqu’à inciter à la création, en 2016, d’une Fondation pour l’Islam de France en charge de financer des projets cultuels, en particulier la construction de mosquées, en nommant J-P Chevènement président, ce qui est sidérant.

En 2018, le Président Macron a repris le projet d’origine d’esprit « concordataire », loin de la laïcité-neutralité promue par ailleurs : il entend donner à l’Islam un cadre et des règles afin de garantir que cette religion (dont il existe, disait le Président, une « lecture agressive qui entend mettre en cause nos lois et notre liberté ») s’exerce partout de manière conforme aux lois de la République. Des assises de l’Islam ont été organisées en 2018 par les préfets, qui devaient apporter une réponse aux trois questions continûment posées, la gouvernance des lieux de culte, l’organisation d’un financement mutualisé du culte et la formation des imams. Les pouvoirs publics ont ensuite fait pression pour que le CFCM adopte une « Charte des principes pour l’Islam de France » qui proclame la compatibilité de l’Islam avec la république, dénonce l’instrumentalisation de l’Islam et proscrit l’intervention d’États étrangers. La signature engage à faire prévaloir des principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de « raison » comme « cadre de l’Islam de France ».

La Charte occasionnera l’implosion et la disparition du CFCM, certaines Fédérations refusant de la signer parce qu’attentatoire à l’honneur des musulmans et introduisant une suspicion systématique à leur égard, ce qui, au final, n’est pas inexact, tant les rédacteurs y sont allés de leurs gros sabots. Des personnalités dénoncent alors l’ingérence des politiques dans le religieux. Le CFCM n’était en tout état de cause pas suffisamment représentatif des mosquées de base, dont une part a affirmé ne même pas avoir été consultées sur le document.

Aujourd’hui, avec la création du Forum de l’Islam de France, les pouvoirs publics reprennent leur ambition de régler des questions difficiles, formation des imams et financement du culte. Mais ils tentent d’effacer l’échec et de revenir à la concertation : le forum réunit des personnalités musulmanes repérées lors des assises locales de 2018 et choisies par les représentants de l’Etat pour leur capacité de dialogue : elles ont mission d’élaborer des propositions. Ce forum débouchera-t-il sur une nouvelle instance nationale et sur des dispositifs acceptés par un monde musulman très divers ? Retenons que l’Islam de France n’a pas voulu en 2021 d’un concordat qui efface sa nature religieuse et l’oblige à faire allégeance et à promouvoir comme siens des principes qui sont ceux de l’Etat, là où rien n’est demandé aux autres religions. Le domaine restera inflammable, surtout après cet accès de rébellion. Reste que les musulmans ne refusent pas de parler avec l’Etat : si celui-ci est un peu plus habile qu’il ne l’a été depuis 20 ans, certains accords ne sont pas impossibles.