Les absents ont-ils toujours tort?

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Les absents ont-ils toujours tort?

Dans un Focus de juin 2022 (Les absents ont toujours tort, une analyse économique de l’abstention et de ses remèdes), trois économistes (J Beuve, E. Fize et V. Pons) étudient l’évolution de l’abstention, ses causes et les solutions envisageables. Comme souvent sur les questions sensibles qui touchent non seulement les choix politiques mais abordent les sentiments, voire les émotions éprouvées à l’égard de la vie politique, la note est intéressante mais aussi un peu décevante.

L’abstention croît en France, depuis longtemps, et le phénomène n’est pas isolé puisqu’il augmente dans tous les pays, y compris les « démocraties stables », depuis les années 60 ou 80. En France, la baisse de la participation, qui a commencé un peu avant les années 80, touche toutes les élections, y compris les municipales, depuis 1980, et même les présidentielles, où la participation reste toutefois plus élevée et où la baisse est moins nette. Mais l’abstention touche très inégalement les citoyens en fonction des caractéristiques socio-économiques et de l’âge : l’exploitation des enquêtes électorales de l’Insee depuis les années 2002 l’illustre de manière constante. Les cadres sont constamment surreprésentés parmi les votants mais, plus la participation est forte, moins ils le sont. Les chômeurs et les jeunes sont constamment sous-représentés, mais le sont bien davantage dans les élections qui suscitent moins d’intérêt. Ainsi, en 2017, aux présidentielles, si l’on classe les votants par quartiles de revenu, ceux-ci s’étagent toujours dans l’ordre (le quatrième en haut et le premier en bas), mais aux législatives, où l’abstention augmente, les écarts se creusent et les deux quartiles supérieurs sont plus nettement surreprésentées tandis que le quartile inférieur est plus fortement sous-représenté.

La note considère cette abstention comme pénalisante pour les intérêts des plus défavorisés : elle cite plusieurs études en ce sens, qui portent le plus souvent sur l’admission aux votes de catégories jusque-là exclues, par exemple les noirs aux États-Unis ou les femmes ailleurs, avec des conséquences favorables pour les intérêts de ces catégories. Est-il certain que dans des élections ordinaires, un vote accru des classes populaires permettrait d’améliorer les conditions de vie de ces catégories ? Il existe trop de biais (Quel profil des élus ? Défendent-ils les seuls intérêts de leur électorat ? Quel est le poids des députés dans les décisions ?) pour en être certain.

Quant aux raisons de l’abstention, l’on retrouve dans l’étude les causes déjà identifiées ailleurs : faible enjeu (dans les législatives, peu de circonscriptions sont réellement disputées), offre considérée comme insatisfaisante (la présence d’un troisième candidat renforce la participation), caractéristiques des candidats (ethniques ou de genre) qui facilitent ou pas le choix, crise de confiance généralisée ou contexte économique déprimé. Ce sont les personnes les plus protégées (par leur insertion professionnelle, leur catégorie sociale ou leur statut, comme les fonctionnaires) qui votent le plus. Les personnes précaires votent moins, les élus n’étant pas considérés comme « se préoccupant des gens ». La note mentionne également la baisse de l’esprit civique avec un renouvellement générationnel qui rend les citoyens moins « déférents » et plus critiques (est-ce une baisse de l’esprit civique ou une approche plus saine des rapports avec l’autorité ?), l’affaiblissement des partis et des syndicats (c’est plus exact), mais aussi le « coût » du vote (les démarches d’inscription), pas si aisées. Selon une consultation citoyenne sur l’abstention organisée en 2021 par l’Assemblée nationale, les raisons avancées sont, dans l’ordre, le mécontentement, l’absence d’offre et le sentiment que le vote ne change rien.

Face à ce diagnostic attendu, les réponses suggérées sont décevantes : pourquoi pas en effet faciliter les inscriptions, encourager les campagnes de terrain et le porte-à-porte et renouveler l’éducation civique ? Pour autant, les bonnes réponses seraient sans doute davantage dans une évolution de la classe politique et de ses pratiques. La note n’en parle pas, ce qui découple le diagnostic (c’est le mécontentement et les carences de l’offre qui créent l’abstention) et les solutions. Il est vrai que le « comment faire » ne se trouve pas alors chez les économistes mais plutôt chez les politistes, qui, parfois, tel P. Rosanvallon dans « Le bon gouvernement », savent établir la liste des qualités que les élus devraient posséder : leur métier n’est plus seulement de « représenter » les citoyens, mais de leur parler et d’échanger avec eux.

4 juillet 2022