Expulsion d’un étranger: attention aux droits fondamentaux

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Expulsion d’un étranger: attention aux droits fondamentaux

Le ministre de l’Intérieur G. Darmanin a récemment signé l’arrêté d’expulsion d’un Imam, ressortissant marocain né en France et qui y a toujours vécu, pour avoir tenu des propos de nature antisémite et contraires à l’égalité entre les femmes et les hommes.  Saisi en référé, le Tribunal administratif de Paris a suspendu la mesure, avec des arguments plutôt convaincants. Le ministre a alors fait paraître un communiqué censé traduire son étonnement : la commission d’expulsion consultée au préalable pour avis a donné un avis favorable et la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) « aurait confirmé la légalité de la mesure ». Le ministre indique qu’il fait appel de la décision auprès du Conseil d’Etat.

Le communiqué du ministre est inexact.

La Cour européenne des droits de l’homme, saisie du cas le 3 août dernier, n’a absolument pas « confirmé la légalité de l’arrêté » : elle prend au demeurant des mois, voire des années, à examiner une demande sur le fond. La Cour a effectivement été saisie par les avocats de l’étranger concerné d’une demande de mesure provisoire tendant à suspendre l’exécution de l’arrêté d’expulsion. Or, si la Cour, qui traditionnellement n’intervient que si l’ensemble des voies de droit internes au pays a été épuisé, accède parfois à de telles demandes, c’est seulement dans des cas exceptionnels, lorsque le requérant serait, faute qu’une mesure provisoire soit prise, exposé à des dommages irréparables. C’est le cas lorsque l’exécution d’une expulsion mettrait en danger la vie de la personne ou l’exposerait à de mauvais traitements. La Cour a considéré qu’en l’occurrence ce n’était pas le cas. Elle n’en aucun cas confirmé la légalité de la mesure et, au demeurant, le déclare avec soin dans sa décision de rejet : même une décision favorable à une mesure provisoire n’aurait pas préjugé du contenu de la décision qu’elle aurait prise ultérieurement sur le fond et qui aurait pu rejeter la demande. L’inverse est vrai : même si elle refuse la mesure provisoire, elle peut juger la décision d’expulsion infondée.

C’est ennuyeux qu’un ministre présente faussement la décision de la CEDH comme validant la sienne propre. Le principe des pouvoirs populistes, c’est de tabler sur le fait que la vérité est compliquée, difficile à comprendre et qu’après tout, on a le droit de la simplifier un peu, pour la rendre plus favorable à ses propres thèses. La Cour a bien refusé la demande de l’étranger que l’on voulait expulser ? C’est indéniable.  “Alors on va dire qu’elle a validé l’expulsion ?”  “Oui, je le sens bien, on fait ça, de toute façon, personne comprendra”. Après cela, les ministres se lamenteront périodiquement sur les fake news…des autres.

Sur le fond, à lire du moins les attendus de la décision du Tribunal administratif de Paris, l’arrêté d’expulsion paraît bien être insuffisamment justifié.

L’expulsion a été décidée en vertu de l’article L631-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers en France. Cet article, s’agissant des étrangers qui présentent certaines caractéristiques (résider régulièrement en France depuis au moins 20 ans ou ne pas l’avoir quitté depuis ses treize ans ou être parent d’un enfant français, l’Imam incriminé répondant à ces critères), subordonne leur expulsion à des conditions strictes : avoir des comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes.

Or, si le dossier ne donne pas une bonne image de l’imam, les éléments présentés par le Tribunal ne permettent pas de penser que les conditions posées par l’article L631-3 sont remplies. La justification de l’expulsion tient d’abord à des propos antisémites : l’iman a tenu des propos antisémites en 2003, 2004 et 2014 mais a ensuite condamné l’antisémitisme en 2015 et n’a plus tenu depuis lors des propos de ce type. Le second motif est que l’imam aurait encouragé lors de ses prêches à ne pas respecter les lois de la République : aucune preuve ne serait apportée de cette accusation. Le troisième motif est que l’iman, qui considérerait les musulmans comme des victimes, encouragerait à la haine et à la violence et aurait encouragé Ben Laden. Le dossier établirait que l’imam aurait « victimisé » les musulmans mais rien de plus. Enfin, la quatrième justification porte sur le refus de reconnaître l’égalité entre les hommes et les femmes : en l’occurrence, c’est vrai, l’imam ayant par exemple considéré que les femmes ne devaient pas sortir de leur cuisine. Avec une certaine sagesse, le tribunal considère que ces propos ne suffisent pas à justifier l’expulsion d’une personne née en France, qui y a passé l’essentiel de sa vie, s’y est marié et y a fondé une famille nombreuse, avec des enfants et petits-enfants français. Même les imams rétrogrades et misogynes ont droit, en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme, à une vie privée et familiale.

Face à ce qui devrait l’inciter à mieux peser le droit, la réaction du ministre est inquiétante.

Il a annoncé le vote prochain d’une loi qui « lèverait tous les obstacles aux décisions d’expulser les étrangers délinquants », notamment ceux relatifs au fait d’avoir contracté mariage ou d’avoir résidé une longue durée dans le pays. Le Ministre a-t-il pleinement conscience que les droits des personnes à la vie privée sont garantis par un droit supranational accepté par la France et que ce droit s’impose au droit interne ? Les élus du rassemblement national ne cessent de proclamer leur volonté que la France cesse de s’y plier. Le ministre de l’Intérieur partagerait-il leur avis ?