Fusionner l’autorité de sûreté nucléaire et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, un problème technique ou un choix politique?

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Fusionner l’autorité de sûreté nucléaire et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, un problème technique ou un choix politique?

Pendant la discussion parlementaire du projet de loi sur l’accélération du nucléaire, qui a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 21 mars 2023, le gouvernement a introduit, par amendement, une disposition confiant à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) les missions d’expertise et de recherche dans le domaine de la sûreté nucléaire et de la radioprotection qui étaient jusque-là confiées à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), lequel devait disparaître.

La disposition peut paraître technique.

L’ASN, autorité administrative indépendante, est une autorité de contrôle des activités nucléaires civiles : elle vérifie le respect des règles et des prescriptions auxquelles sont soumises les installations et activités contrôlées. Elle prend en particulier des décisions juridiquement contraignantes pour autoriser la mise en service d’une installation nucléaire et fixer des prescriptions relatives à sa conception, à sa construction ou à son exploitation.

L’IRSN quant à lui est un EPIC qui relève de l’Etat, dont le métier est l’expertise et la recherche sur les risques nucléaires et radiologiques.

Le gouvernement a justifié la volonté d’intégration de l’IRSN dans l’ASN par la nécessité d’améliorer la « fluidité » (la rapidité) des décisions de l’ASN en accélérant les expertises. Aujourd’hui, pour prendre ses décisions, l’ASN s’appuie sur les expertises réalisées, à sa demande, par l’IRSN. L’adoption de la réforme aurait conduit à ce que l’expertise dont a besoin l’ASN lui soit désormais fournie par un de ses services et non par une structure qui lui est extérieure.

Dans son audition devant la Commission des affaires économiques du Sénat, le Président de l’ASN a expliqué combien, selon lui, la fusion envisagée de l’IRSN et de l’ASN renforcerait l’efficacité, sans pour autant porter atteinte à l’indépendance des décisions rendues par une AAI et sans altérer la transparence. Lors de cette intervention, le Président de l’ASN a souligné que la France est un des rares pays à séparer ainsi le contrôle de l’expertise (ni les Etats-Unis, ni le Canada ne le font, qui disposent d’une autorité intégrant les deux missions),  que cette organisation ne date en France que d’une vingtaine d’années, qu’aucune préconisation de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) ne porte sur une telle séparation et que le nouveau contexte de la construction rapide de nombreux réacteurs d’ici à la décennie 2030 impose une nouvelle organisation qui gagnera du temps.

Pourtant, le projet d’absorption de l’IRSN par l’ASN a donné lieu à de vigoureuses protestations, d’abord exprimées dans une tribune publiée dans le Monde par un groupe de chercheurs en février 2022, puis par les trois anciens Présidents de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, tos trois de bords politiques différents. Au-delà des risques de chamboulement créés par une décision de fusion trop rapide et mal préparée et qui peut provoquer la fuite de certaines compétences rares, au-delà de la décision de faire disparaître un établissement renommé et compétent, la question centrale est bien celle de la séparation de la mission d’expertise (IRSN) et du pouvoir de décision (ASN) dans un domaine sensible, celui de la sûreté nucléaire.  Le paradoxe est que tout le monde reconnaît de facto cette nécessité : le Président de l’ASN, favorable à la fusion, s’engage à mettre en place une organisation interne séparant clairement les équipes et les étapes expertise/décision. A y regarder de plus près, même l’équivalent de l’ASN aux Etats-Unis sépare clairement les deux missions qui sont certes intégrées dans une même entité. mais strictement séparées.

Pourquoi ? Sans doute parce qu’il faut s’assurer que les avis d’expertise sont rendus indépendamment de toute pression, voire publiés en tant que tels, même si le décideur au final prend une décision qui s’en écarte.  Sans doute parce que, dans le domaine de la sécurité, la confrontation de plusieurs points de vue est précieuse et que l’avis d’expertise qui vient d’une structure autre que celle chargée de la décision, dont la mission porte spécifiquement sur l’expertise, a plus de force qu’un avis interne. Sans doute aussi parce qu’il faut éviter que les effectifs de l’expertise ne soit réduits sans que personne ne s’en aperçoive. Un système à deux acteurs est nécessairement plus lourd et moins rapide. Mais il est plus transparent, garantit mieux l’indépendance de l’expertise et il est sans doute plus sûr.

Au final, le Parlement a refusé d’entériner la disparition de l’IRSN, malgré des pressions gouvernementales fortes : il a même été question de demander une deuxième lecture de la loi pour revenir sur ce refus. L’IRSN survivra donc. Du débat, de la loi elle-même sur l’accélération des procédures du nucléaire, l’on retiendra surtout le désir de l’Etat d’aller vite, en faisant primer l’efficacité sur des principes d’organisation existants plus prudentiels. Ce n’est pas très rassurant.