La police peut-elle interpeller des manifestants simplement parce qu’ils manifestent?

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La police peut-elle interpeller des manifestants simplement parce qu’ils manifestent?

Le droit de manifester est un droit constitutionnel : sur le fondement de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen selon lequel « nul ne doit être inquiété pour ses opinions » … « pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi », le Conseil constitutionnel (décisions 94-352 du 18 janvier 1995 et 2019-780 du 4 janvier 2019) a en effet reconnu que le droit à manifester (« droit d’expression collective des idées et des opinions ») était constitutionnellement garanti.

Or, dans un communiqué du 21 mars 2023, la Défenseure des droits s’inquiète des « interpellations préventives aux abords des manifestations ». De fait, après les récentes manifestations contre la réforme des retraites, de très nombreux témoignages évoquent des interpellations qui se sont traduites par un long délai de garde à vue sans suites judiciaires puisque rien n’a été reproché aux personnes interpellées.

Juridiquement, la situation est claire : une interpellation ne peut avoir lieu que s’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis ou tenté de commettre une infraction (article 62-2 du Code de procédure pénale : « La garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs »).

Toute interpellation et garde à vue d’une personne à l’égard de laquelle il n’existe aucun soupçon de crime ou de délit est donc illégale. Mais l’on est ici dans le domaine de la bonne foi. La masse des personnes arrêtées et relâchées ensuite, après 24 heures de garde à vue, sans poursuites judiciaires est sans nul doute le signe que les textes n’ont pas été respectés.  Mais personne ne s’en émeut, alors que les gardes à vue sont censées être placées sous le contrôle des procureurs. Cette pratique semble être systématique depuis plusieurs années : de très nombreuses décisions du Défenseur des droits mettent en cause, ces dernières années, de telles interpellations sans motif.

Par ailleurs, si la participation à une manifestation interdite est sanctionnable par une amende (c’est une contravention de 4e classe), qu’en est-il de la participation à une manifestation non autorisée ? La question s’est posée quand le ministre de l’Intérieur, le 21 mars dernier, a justifié des interpellations de manifestants en affirmant que « la participation à une manifestation non déclarée constituait un délit ». Or, aucun texte n’interdit la participation à une manifestation non déclarée, comme l’a déjà rappelé la Cour de cassation (décision du 14 juin 2022). Saisi par un élu qui demandait que le ministre publie une rectification, le juge des référés du Conseil d’Etat a rejeté la requête au motif qu’il s’agissait là d’une simple déclaration du ministre et non d’une consigne aux policiers. Mais il a parallèlement regretté « le caractère erroné » de cette déclaration…et aurait pu aussi regretter les interpellations subies sans fondement.

Il faut dire qu’il existe, dans le Code pénal, un autre texte qui, sans évoquer une manifestation, punit la participation à un « attroupement », défini, aux termes de l’article 431-3, comme « un rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public ». Là aussi, c’est la bonne foi des policiers qui compte : il leur est loisible de qualifier d’attroupement un ensemble de manifestants pacifique et il a peu de chances d’être, sur le moment, contredit, même si, 24 heures plus tard, aucune poursuite n’est décidée.

Ces pratiques, qui détournent des dispositions protectrices des droits fondamentaux, sont dangereuses pour l’état de droit et la cohésion sociale. Le ministre, en réalité, lorsqu’il est interpellé, justifie ces atteintes aux droits par la violence de certains manifestants. Cependant, comme le dit la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, « les actes de violence sporadiques de certains manifestants ou d’autres actes répréhensibles commis par d’autres personnes au cours d’une manifestation ne sauraient justifier l’usage excessif de la force par les agents de l’Etat. Ces actes ne suffisent pas non plus à priver les manifestants pacifiques de la jouissance du droit à la liberté de réunion ».