Marché du travail en 2022 : les interrogations

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Marché du travail en 2022 : les interrogations

Le numéro d’INSEE Première de mars 2023 décrit la situation du marché du travail en 2022. Les grands indicateurs s’améliorent : le taux d’emploi (68,1 %) augmente de 0,9 point par rapport à 2021, le taux de chômage diminue pour la 7e année consécutive et s’établit à 7,3 % en moyenne annuelle. L’emploi des jeunes 15-24 ans atteint 34,9 %, en augmentation de 2,6 points sur l’année, le plus haut point depuis 1990. Le taux d’emploi des seniors (ici les 50-64 ans) augmente aussi de + 0,7 point et atteint 66 %, taux jamais atteint depuis la crise pétrolière des années 70. Même le sous-emploi baisse (du fait de la diminution de l’emploi à temps partiel), tout comme le halo du chômage (personnes qui souhaiteraient travailler sans répondre aux conditions posées pour être décomptées comme demandeurs d’emploi), qui diminue de 0,2 point et atteint 4,4 %.

Il est logique que les soutiens du gouvernement se félicitent de ces données, qu’ils imputent à une politique favorable aux entreprises depuis 2017, baisse des impôts et évolution du droit créant un environnement favorable à la croissance.

S’il est certain que le pays bénéficie depuis 2016 d’une conjoncture favorable à l’emploi, la situation paraît, à partir de 2020, compliquée à interpréter. Que s’est-il passé depuis le trou d’air de cette année-là qui a vu, malgré les mesures de soutien à l’économie, la destruction de 217 000 emplois salariés ? En 2021, il y a eu 855 000 créations d’emplois salariés, ce qui a permis non seulement d’effacer les pertes de 2020 mais, avec 638 000 emplois supplémentaires par rapport au niveau de fin 2019, de dépasser largement le rythme des créations d’emploi des années précédentes. Toutefois, comme l’explique une note de l’OFCE (Le marché du travail au cours du dernier quinquennat, Policy Brief, Observatoire français des conjonctures économiques, mars 2022) l’augmentation des emplois constatée en 2021 est due, pour une part, à une forte augmentation des emplois aidés, notamment les emplois d’apprentis liés au plan de relance : en 2021, 1,6 million de personnes ont débuté un emploi aidé salarié, dont 500 000 en contrat aidé traditionnels (PEC et CUI) et 855 0000 en alternance, apprentissage et contrat de professionnalisation, sans mentionner la dynamique des emplois non-salariés, liée notamment à la réforme de l’aide aux créateurs d’entreprises de 2018 et à celle des règles régissant les auto-entrepreneurs, qui ont produit un fort effet de rebond.  L’apprentissage a en particulier été encouragé par l’institution, en 2020, d’une prime exceptionnelle élevée qui couvre l’intégralité du salaire versé aux apprentis de moins de 26 ans.

De plus, l’OFCE note que le nombre d’heures de travail effectuées est supérieur en 2020 et 2021 aux prévisions assises sur le niveau d’activité : le phénomène pourrait s’expliquer par une « rétention de main d’œuvre » dans les entreprises due aux aides publiques, acceptée dans l’espoir d’une forte reprise mais appelée à se résorber si la croissance faiblit.

Qu’en est-il en 2022 ? L’INSEE note à nouveau la création de 335 000 emplois salariés sur l’année : selon l’OFCE le Blog (La politique de l’emploi prise à revers dans l’étau budgétaire, mars 2023), les effectifs d’emplois aidés salariés se sont maintenus à un haut niveau (la prime exceptionnelle à l’apprentissage a été maintenue jusqu’à fin 2022) mais auraient baissé : les créations nouvelles d’emploi cessent donc de s’expliquer par un effort supplémentaire de la politique de l’emploi, même si l’on peut soutenir (c’est ce que dit l’OFCE) que le maintien de subventions à l’emploi au-delà de ce que nécessitait la lutte contre les effets de la crise sanitaire a eu un effet sur la baisse du chômage.

Reste que ces données favorables rendent les économistes perplexes (cf. l’interview d’E. Heyer dans La dépêche, 27 janvier 2023) : comment expliquer les créations d’emploi élevées et la diminution du chômage alors que les perspectives de croissance sont médiocres ? Rétention de main d’œuvre dans des entreprises qui auraient dû faire faillite, augmentation du turn-over et baisse de productivité…Pour l’instant, les interrogations dominent.

Il est en tout cas probable que la situation ne va pas durer au-delà de 2022. Déjà l’Insee note (Emploi salarié, 4e trimestre 2022) que les créations d’emplois salariés ont ralenti tout au long de 2022 : 109 000 les deux premiers trimestres, 84 000 au troisième, 44 000 au quatrième. L’Insee table pour l’instant, pour mi 2023, sur une stabilisation du taux de chômage par rapport à celui de décembre 2022 (7,2 %) et la Banque de France sur une remontée temporaire du taux de chômage en 2023-2024, jusqu’à 8 %. Dans un contexte aussi incertain, les perspectives gouvernementales de plein emploi à 5 % en 2027 ne sont pas, aujourd’hui, totalement crédibles.