Plan d’action sur l’eau 2023 : rien n’est clarifié

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Plan d’action sur l’eau 2023 : rien n’est clarifié

Les enjeux de la gestion de l’eau sont connus. Dans l’attente de l’actualisation de l’étude Explore 2070 réalisée, en 2010-2012, par le ministère en charge du développement durable, sur les conséquences du changement climatique sur les milieux aquatiques et la ressource en eau (actualisation dont les conclusions ne seront connues qu’en 2024), un rapport du Sénat de novembre 2022, « 8 questions sur l’avenir de l’eau », rappelle les données du problème :  les experts anticipent un changement dans le régime des pluies, non pas nécessairement une baisse généralisée des précipitations, mais une diminution des pluies en été et une augmentation en hiver, avec des pluies plus intenses et parfois plus dévastatrices. Les étés sont annoncés comme plus chauds et plus secs, avec des périodes de sécheresse plus longues. En conséquence, le débit des cours d’eau devrait diminuer en moyenne de 10 à 40 %, avec des baisses localement plus accentuées : 30 à 50 % dans le bassin Seine-Normandie et 40 à 50 % dans le bassin Adour-Garonne. A l’étiage, la baisse risque d’être supérieure.  Aucune partie du territoire français ne devrait échapper à des tensions sur l’eau mais les conséquences seront différenciées localement : ces tensions seront d’autant plus fortes qu’existera, en été, une concurrence sur les usages.

Les difficultés du partage de l’eau sont apparues récemment, avec les manifestations contre les « bassines », retenues d’eau qui pompent l’eau des nappes phréatiques l’hiver pour la stocker à ciel ouvert et la redistribuer l’été aux agriculteurs irrigants. La question est en réalité ancienne : c’est la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 qui prévoit ces stockages. Ceux-ci sont devenus un des axes de la politique de l’eau, avec de multiples projets en cours. Ils n’en sont toutefois qu’un aspect.

Pour définir une politique de l’eau globale, les pouvoirs publics ont, depuis 5 ans, réuni successivement des Assises de l’eau (2018-2019), puis le « Varenne agricole de l’eau » en 2021. Aujourd’hui, le Président de la République et le gouvernement présentent un nouveau « Plan eau » qui reprend pour une large part les mesures précédemment décidées mais reste ambigu sur les conflits qui secouent le secteur, ce qui ne fait guère avancer les choses.

Assises de l’eau : l’économie et le partage

Les Assises de l’eau ont réuni en 2018-2019 l’ensemble des parties prenantes, agences de l’eau, consommateurs (en particulier les agriculteurs), collectivités territoriales, scientifiques et associations de protection de l’environnement. Elles ont souligné l’urgence de la lutte contre les fuites des canalisations d’alimentation (un litre sur 5 est perdu en moyenne) et défini l’objectif de tripler, d’ici à 2025, l’utilisation après traitement des eaux usées, très faible en France en comparaison d’autres pays proches.

Sur « le grand cycle de l’eau », les Assises portent trois conclusions fortes : en premier, la nécessité de préserver, voire de « revitaliser », les rivières et les milieux humides ; en second, celle d’économiser l’eau et de mieux la partager, avec l’objectif de diminuer de 10 % la consommation sur 5 ans et de 25 % sur 15 ans, de mettre en place une tarification progressive, d’élaborer partout des plans territoriaux de gestion de l’eau (PTGE) pour en définir les règles de partage et pour favoriser les économies d’eau dans les secteurs agricole et industriel ;  troisième conclusion, la mise en place d’un plan de protection des captages d’eau, pour décontaminer les nappes et atteindre (enfin) les objectifs de la directive 2000 sur l’eau.

Les Assises ont souligné combien ces ambitions nécessitaient de moyens (ainsi les collectivités devaient pouvoir avoir les moyens de « protéger » les captages) et de meilleure connaissance des données locales (évolution des nappes, données sur les consommations par usages…).

Varenne agricole de l’eau : priorité aux agriculteurs

Les responsables agricoles n’ont guère apprécié les conclusions des Assises de l’eau. Ils ont obtenu en 2021 la réunion du « Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique », avec des conclusions qui leur étaient promises comme plus favorables. Une part des organisations conviées (la Confédération paysanne, la Fédération nationale de l’agriculture biologique, l’association Que choisir et 2 ONG environnementales) ont de ce fait refusé d’y participer : le ministère organisateur était celui de l’agriculture, et non celui de l’environnement, sur un sujet transversal qui ne concernait pas les seuls agriculteurs.

 

De fait, les conclusions du Varenne, publiées en 2022, marquent un revirement : l’Etat s’engage à adapter la réglementation pour faciliter la disponibilité de l’eau en faveur des agriculteurs. « L’accès à la ressource en eau doit évoluer pour dégager de nouvelles ressources pour les usages agricoles », a déclaré alors le Premier ministre. Il ne s’agit plus vraiment de partage ni de sobriété. Il s’agit de favoriser le stockage de l’eau et l’irrigation des productions agricoles. Les préfets pourront donc pomper l’hiver, dans les nappes phréatiques, au bénéfice d’un nombre restreint d’agriculteurs, de l’eau considérée comme « excédentaire » et la stocker dans des bassines artificielles largement financées par de l’argent public.

Les partisans de telles retenues indiquent qu’elles empêchent l’eau des nappes phréatiques de « se perdre » (sic), c’est-à-dire de partir dans les sols et de couler vers les zones humides et les rivières, ce qui correspond au cycle naturel de l’eau. En réalité, la pratique de pompage risque d’empêcher la nappe phréatique d’atteindre un niveau de remplissage satisfaisant en été. Si les précipitations sont moindres ou sont moins efficaces, la nappe aura tendance à s’épuiser et les sols, les rivières et les lacs souffriront, comme le montre l’assèchement de certains lacs en Californie. Les bassines correspondent de plus à une captation de l’argent public et de l’eau au bénéfice d’une minorité d’exploitants qui ne seront pas incités à adopter des pratiques plus sobres. L’argent pour construire des bassines devrait donc plutôt, comme le soulignent les écologistes, aider les agriculteurs à s’adapter pour économiser l’eau.

De fait, sur les dangers des bassines pour les nappes et le réseau hydrographique, il existe un quasi consensus scientifique : les rapports et tribunes des hydrologues en soulignent les risques (cf. dès 2009, l’avis très réservé de certains chercheurs, Montginoul & Erdlenbruch, 2009 : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02297804/document). Plus récemment, le Conseil scientifique de l’Office français de la biodiversité a rendu un avis défavorable sur le Varenne de l’eau. Le dernier rapport du GIEC, dont on a dit qu’il recommandait les bassines, citées effectivement comme des outils « d’adaptation », en souligne pourtant les inconvénients : “Les réservoirs sont coûteux, ont des impacts environnementaux négatifs et ne seront pas suffisants partout au-delà de certains niveaux de réchauffement climatique”, souligne -t-il dans son chapitre consacré à la gestion de l’eau (page 1 833). Même le rapport de 2020 des Conseils généraux de l’environnement et de l’agriculture Changement climatique, eau, agriculture, favorable aux bassines, en subordonne le recours à un changement des pratiques agricoles et à la vérification que le régime hydrologique local n’est pas altéré.

Enfin, le « Varenne agricole de l’eau » entend accélérer l’élaboration, jugée trop lente, des PTGE (plans territoriaux de gestion de l’eau), en renforçant le rôle des préfets dans leur adoption, quitte à forcer la main aux participants en fixant une date butoir (instruction du 17 janvier 2023). S’agissant d’un outil censé définir les orientations « partagées » de la politique locale de l’eau et être adopté par consensus des parties prenantes, la méthode est, pour le moins, paradoxale : comme le souligne une note des deux Conseils généraux en charge de l’environnement et de l’Agriculture et des espaces ruraux, les blocages dans l’adoption des PTGE sont souvent liés à des carences du pilotage ou à des déficiences d’information : il est difficile d’élaborer un plan de partage lorsque l’on manque de données sur les prélèvements et les usages existants (cf. Le flou sur les volumes de prélèvements d’eau et les stratégies d’irrigation est inadmissible, F. Denier-Pasquier, Fédération nationale de l’environnement, Le Monde, 16 mars 2023).

Au final, les décisions du Varenne risquent fort d’exacerber les conflits d’usage.

Qu’apporte dans ce contexte le « Plan eau » de mars 2023 ?  

Comme les Assises de l’eau, le Plan eau reparle de sobriété « pour tous les usages ». Il fixe toutefois des objectifs en retrait par rapport à ceux de 2018-2019 : – 10 % d’économie d’eau d’ici 2030, là où les Assises prévoyait davantage. Comme les Assises, il parle de réutilisation des eaux usées et d’une tarification différenciée selon la consommation. Comme les Assises (et, à vrai dire, comme la loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010 qui, dans son article 161, fixait déjà l’obligation d’établir un descriptif des réseaux et de limiter les fuites), il évoque la lutte contre les déperditions d’eau dues aux canalisations.

Sur le reste, et notamment sur l’irrigation, le plan reste dans une ambiguïté soigneusement pesée. Dans son discours de présentation, le Président de la République a insisté sur la nécessaire adaptation de l’agriculture, évoquant même « d’autres schémas de culture ». Il a pris la précaution de dire qu’il fallait « maximiser la capacité de stockage en sous-sol » (on laisse l’eau dans les nappes) mais aussi dans des « ouvrages », quand c’est nécessaire. Il soutient que ces ouvrages (les « bassines ») ne correspondent pas à une « privatisation de l’eau » alors que c’est exactement sur ce modèle qu’elles sont construites. Et l’on comprend, au fil du discours, qu’aucun effort supplémentaire de sobriété ne sera demandé aux agriculteurs, sauf une sobriété « à l’hectare », puisque, selon le discours présidentiel, les surfaces irriguées sont appelées à croître. Donc, sobriété pour tous mais pas vraiment.

Alors que reste-t-il de nouveau dans le Plan eau 2023 ? Quelques points : le déplafonnement des dépenses des agences de l’eau et l’augmentation de leurs moyens, qui paraît être une bonne mesure si elles n’emploient pas ce surplus à construire des bassines contestées, ou des semi-gadgets, comme l’écowat de l’eau pour être prévenu des difficultés. Au final quasiment rien. Le Plan est une redite des mesures déjà décidées et plus ou moins à l’œuvre.

Améliorer la qualité de l’eau mais sans bilan préalable.

Le Plan eau 2023 évoque aussi la nécessité d’améliorer la qualité de l’eau, sans rappeler ni la situation actuelle ni les objectifs à atteindre. Il s’agit, pour l’essentiel, de « démarches », d’un souhait « d’adaptation », d’une meilleure « planification des produits phytosanitaires », d’un « soutien aux pratiques agricoles à bas niveaux d’intrants ». Le Président est toujours à la recherche d’une voie qui, miraculeusement, permettrait de dépolluer l’eau sans avancer clairement vers le renoncement aux pesticides…

Rappelons que la Directive cadre sur l’eau de 2000 demandait que soient atteints, en 2015, un bon état écologique (faune et flore) et chimique (défini par des valeurs seuils de polluants) des eaux de surface et un bon état quantitatif et chimique des eaux souterraines, délai qui a été repoussé à 2027. Or, l’état des lieux dressé en 2022 par « Eau France » (service public d’information sur l’eau et les milieux aquatiques) n’est pas bon : en 2019, 70,7 % des eaux souterraines sont en bon état chimique, les autres étant polluées essentiellement par les pesticides et les nitrates liés aux engrais azotés. Moins de la moitié des eaux de surface sont dans un bon état écologique (43,1 %) et chimique (44,7 %). Eau France estime dans sa note que, selon les prévisions des SDAGE (schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux, établis pour chaque grand bassin hydrographique), 67 % des eaux de surface risquent de ne pas atteindre un bon état écologique en 2027 et 10 % un bon état chimique. Quant aux eaux souterraines, 14,1% risquent de ne pas atteindre en 2027 un bon état quantitatif et 40% de ne pas atteindre un bon état chimique. Eau France précise toutefois que ces chiffres ne préjugent pas de ce que sera précisément la situation en 2027.

Le paradoxe est que, au moment même où paraît le Plan eau 2023, le ministre de l’agriculture a demandé à l’ANSES (agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) de renoncer au retrait annoncé d’un herbicide responsable de la pollution des nappes phréatiques et de l’eau distribué aux particuliers. Les pouvoirs publics ont à l’évidence un problème de cohérence.

Au final, en 2023, il ne devrait pas être admis d’élaborer un Plan eau sans établir en préalable le degré d’atteinte des objectifs qui figuraient déjà dans les plans précédents.  Il faudrait, dès lors que le Plan dit adhérer à des objectifs d’économie et de partage, ne pas en exonérer une catégorie particulière. Dès lors aussi qu’il se donne des objectifs d’amélioration de la qualité de l’eau, il faudrait annoncer précisément lesquels. Comme, dès la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA), des mesures ont été définies pour appliquer les prescriptions de la directive de 2000 sur le bon état des eaux, lutter contre les pollutions et restaurer le bon fonctionnement des milieux aquatiques, il faut savoir pourquoi celles-ci n’ont pas été efficaces et en définir de nouvelles.

Tel qu’il est, le Plan eau 2023 n’a qu’une faible crédibilité et l’on a du mal à croire qu’il évitera l’échec des précédents.

Pergama, le 7 avril 2023