Rapport 2023 du COR sur les retraites : des prévisions difficiles à comprendre et à croire

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Rapport 2023 du COR sur les retraites : des prévisions difficiles à comprendre et à croire

La récente réforme des retraites a soulevé la question de la fiabilité des projections financières du système de retraites. Le gouvernement soulignait dans l’exposé des motifs de la loi du 14 avril 2023 que le système de retraites était « structurellement déficitaire » : il se référait au rapport 2022 du COR, qui indiquait que le solde serait négatif, à horizon 2030, de 13,5 Mds et, à horizon 2046 (dans 25 ans) de 35 Mds. Les hypothèses prises étaient pourtant plutôt favorables, taux de chômage sur la période de 5 % et progression annuelle de la productivité de 0,9 % et, en ce qui concerne le financement des régimes publics aidés par l’Etat (fonctionnaires d’Etat et régimes spéciaux), maintien de la convention de financement dite EPR (« équilibre permanent des régimes équilibrés »), en vertu de laquelle la subvention de l’Etat les équilibre automatiquement. Or, parallèlement, le Président du Conseil d’orientation des retraites, s’appuyant essentiellement sur le pourcentage des retraites dans le PIB, soutenait que les dépenses de retraite « ne dérapaient pas », voire diminuaient. Il reconnaissait pourtant que le solde se creusait, car les recettes diminuaient encore davantage, ce qui semblait difficilement compréhensible.

Que dit le rapport 2023 ? Les mêmes difficultés de compréhension se répètent.

Tout d’abord, les conclusions : l’ensemble des régimes devient déficitaire à partir de 2023, le resterait à horizon 2030 malgré la récente réforme des retraites et ce n’est que dans l’hypothèse d’une très forte augmentation de la productivité (+ 1,6 % annuellement, hypothèse hautement improbable) que le système sortirait du déficit en 2045, sinon il y reste jusqu’au terme de la projection en 2070 : ce déficit est plus ou moins prononcé alors selon les hypothèses de productivité, de -0,2 point de PIB à -1,6 point de PIB.

Pourtant les hypothèses économiques choisies paraissent excessivement favorables. Les calculs du COR ne reposent pas sur des hypothèses économiques qu’il choisirait lui-même mais sur un système plutôt bancal : de 2022 à 2027, le COR suit les prévisions du Pacte de stabilité en cours et donc les hypothèses de trajectoire des comptes publics transmises au printemps à la Commission européenne par le gouvernement. Ensuite, il choisit lui-même les hypothèses de chômage et de productivité. Pour le chômage, il a des problèmes de « raccord » : il ne peut en réalité basculer dans des chiffres trop éloignés des choix gouvernementaux précédents. Pour la productivité, il a choisi un jeu de 4 hypothèses contrastées de 1,6%, 1,3%, 1% et 0,7 % d’augmentation annuelle, qu’il décline en 4 scénarios.

L’ensemble de ces hypothèses semble peu vraisemblable.

Sur la reprise des hypothèses figurant dans le programme de stabilité d’avril 2023, le Haut conseil des finances publiques notait, à propos de ce document, que les prévisions de croissance effective (+ 1,7 % en moyenne sur la période) étaient « élevées », reposant sur une hausse de la productivité « sensiblement plus élevée que ne laissent attendre les tendances récentes ». Les prévisions de recul de l’inflation lui semblaient, de même, optimistes et celles de l’emploi « surestimées » (le programme de stabilité repose sur une hypothèse de plein emploi soit un chômage de 5 %, en 2027). Le rapport du COR note lui-même, sans aucun commentaire, que ces prévisions ne correspondent pas à celles qui sont avancées par les organismes dont c’est le métier. De même la direction du Trésor élabore des projections de la population active supérieures à celle de l’INSEE.

Sur le plus long terme, où le COR n’a plus à suivre le programme de stabilité et peut élaborer ses propres hypothèses, son choix était en 2022, de se fonder, pour le chômage, sur un taux de 7 % dans les années 2030. Jugeant que cela n’était pas « raccord » avec les prévisions gouvernementales de 2007, le COR choisit, en 2023, de fonder ses calculs sur un taux de 4,5 % à partir de 2032, en conservant le taux de 7 % (et de 10 %) comme « variantes ».

De même, si l’on se fondait sur la prolongation des tendances actuelles, c’est l’hypothèse de croissance de la productivité la plus basse (+ 0,7 %) qu’il faudrait choisir : c’est elle qui correspond (le COR le reconnaît) à la moyenne constatée de 2009 à 2020. Pourtant, le COR continue à aligner 4 hypothèses de productivité dont 3 sont bien plus favorables (1,6 %, 1,3 %, 1 %) et donc 4 scénarios d’évolution des dépenses, des recettes et du solde, dont 3 marqueraient une rupture de tendance avec la réalité actuelle qui resterait à expliquer.

La crédibilité des projections souffre de ces choix, à l’évidence trop favorables.

En sens inverse, le COR suit d’autres hypothèses fournies, à court terme au moins, par le ministère du budget, qui sont bien moins favorables à l’équilibre d’ensemble, qui portent sur les effectifs et les rémunérations des fonctionnaires :  stabilité des effectifs de la fonction publique jusqu’en 2040 puis diminution ensuite ; de 2024 à 2027, quasi gel de la rémunération indiciaire puis évolution du salaire indiciaire sur les prix avant qu’il ne rejoigne progressivement l’évolution des autres rémunérations. Or, c’est l’évolution du traitement indiciaire qui emporte celle des cotisations. Du fait des hypothèses prises, la part de la masse des traitements indiciaires des fonctionnaires dans la masse des rémunérations d’ensemble s’effondre dans les années 2020, de même que la participation de l’Etat aux dépenses de retraite.

Au final, le taux de prélèvement sur les revenus des actifs baisse, du fait pour l’essentiel de la baisse de la contribution de l’Etat sur la rémunération des fonctionnaires.

Au final également, avec les hypothèses retenues, malgré le vieillissement de la population, la masse des pensions dans le PIB baisse, de 13,7 % en 2022 à 13,5 % en 2030 ; au-delà la baisse est plus forte dans les hypothèses de forte productivité et le pourcentage pensions/PIB ne remonte un peu (13,9 %) que dans l’hypothèse de faible évolution de la productivité. Cette baisse est liée au recul de l’âge de départ mais aussi à la baisse de la pension moyenne (revalorisée comme les prix) par rapport au revenu moyen des actifs (qui augmente avec la productivité), avec un décrochage du niveau de vie des retraités.

La lecture du rapport du COR laisse donc une impression de malaise.

Le COR sur son site, se présente comme une instance indépendante et pluraliste d’expertise et de concertation, chargée d’analyser et de suivre les perspectives à moyen et long terme du système de retraites en France. Il indique que, sur l’ensemble des questions de retraite (équilibre financier, montant des pensions, âge et durée d’assurance, redistribution, etc.), il élabore les éléments d’un diagnostic partagé et formule, le cas échéant, des propositions de nature à éclairer les choix en matière de politique des retraites.

Or, les hypothèses démographiques et économiques qui fondent les calculs sont dictées, au moins jusqu’en 2027, par le gouvernement, en vertu de l’article D114-4-0-5 du Code de la sécurité sociale. Elles sont ensuite librement choisies mais avec une nécessité de « raccordement » aux précédentes (on finit par prolonger sur des décennies le « plein emploi » que le gouvernement se targue d’atteindre dès 2027) et l’obéissance à des traditions formelles discutables : ainsi, les choix d’évolution de la productivité sur le long terme (qui paraissent irréalistes) ne conduiraient pas à des « prévisions à proprement parler » (pourtant c’est bien à cela qu’elles servent) mais tendraient à démontrer que ce facteur est déterminant. Certes, et c’est pour cela qu’il faut prendre le risque d’un choix vraisemblable : il est difficile d’ignorer la baisse qui s’est installée depuis 10 ans.

De plus, le COR se refuse à commenter et la baisse de la contribution de l’Etat au régime des fonctionnaires (liée à la stagnation prévue des rémunérations indiciaires) et la baisse de la part des dépenses de retraite dans le PIB sur le long terme et le décrochage de niveau de vie des retraités. Le rapport donne pourtant l’image d’un paradoxe complet :  France vieillit et en même temps le pays fait des économies sur les retraites et y contribue moins.

Il faudrait donc reconstruire les prévisions avec des hypothèses économiques réalistes : il est probable que le déficit serait alors bien pire. Il serait utile de le savoir…et c’est bien à cela que le COR devait servir.