Inflation: le prix à payer pour changer d’époque?

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Inflation: le prix à payer pour changer d’époque?

Dans sa note de conjoncture de juin 2023, l’Insee analyse les facteurs qui le conduisent à prévoir une légère baisse de l’inflation en 2023 (+ 5 %) par rapport à 2022 (+ 5,2 %) : poursuite du ralentissement observé dès le second semestre 2022 sur les prix de l’énergie et, plus récemment, sur les prix alimentaires et les produits manufacturés.

Pour autant, la légère baisse de l’inflation signifie que les prix continuent à augmenter, mais un peu moins vite, sachant qu’ils augmentent de manière cumulative, sur une base 2022 déjà gonflée par une forte hausse. Autrement dit, les prix grimpent toujours mais un peu moins vite. Parallèlement, en France, l’accompagnement des pouvoirs publics sur l’augmentation du prix de l’énergie diminue : le bouclier tarifaire sur le gaz est terminé depuis le 1er juin 2023 et la fin de celui sur l’électricité est annoncée pour 2024, sachant qu’une hausse de 10 % a été acceptée pour août par les pouvoirs publics, ce qui limite l’impact de la protection.

De même, l’évolution de l’inflation « sous-jacente », dont le calcul exclut les prix excessivement volatils (énergie et produits alimentaires non transformés), reste dynamique, (5,6 % janvier 2023, 6,3 % en avril) même si elle baisse un peu (5,7 % en juin).
Quand l’inflation va-t-elle baisser de manière décisive ?

Comment l’on passe, insensiblement, du conjoncturel au structurel

A la sortie de la crise sanitaire, l’interprétation qui a prévalu a été celle d’une « tension d’adaptation » : la demande redémarrait nettement alors que la production restait insuffisante, avec un rythme de redémarrage perturbé, de surcroît, par le coût croissant « des intrants importés ». L’inflation traduisait un retard d’ajustement qui ne devait pas durer.
Se sont ajoutés ensuite, dans les premiers mois de 2022, des facteurs géopolitiques et une très forte hausse du prix de l’énergie liée au chantage russe sur l’approvisionnement européen en gaz, dont le prix a considérablement augmenté. De plus, le prix de l’électricité achetée sur les marchés européens est arrimé à celui de l’énergie la plus chère et la France, en 2022, a dû importer davantage d’électricité qu’elle n’en a exportée.

Parallèlement, la hausse importante du coût des intrants importés (biens intermédiaires utilisés pour la production, certains minerais, semi-conducteurs, principes actifs de médicaments) a touché la production de biens, un peu plus que celle des services, de manière très inégale selon les entreprises.

Selon l’Insee (« La transmission directe des coûts des intrants importés et de l’énergie aux coûts de production », Insee Analyses, mai 2023), de janvier 2001 à juin 2022, les entreprises touchées ont répercuté sur les prix de vente la totalité de leurs surcoûts d’énergie et la moitié des surcoûts lié aux importations, sans réajuster les coûts à la baisse à l’identique.

Quant aux produits alimentaires, la hausse s’explique par celle des matières premières agricoles (céréales, huile, sucre, produits frais) et par celle de l’énergie, la première pesant davantage que la seconde. Sur les matières premières, la guerre en Ukraine a joué (elle joue aussi sur les engrais et la nourriture des bêtes) tout comme les conséquences du dérèglement climatique sur la production ainsi que des phénomènes spéculatifs. En France, les répercussions sur l’indice des prix de l’alimentation de la hausse subie par les producteurs sont fonction des dates et de la teneur de leurs négociations avec les distributeurs : la loi Egalim 2 qui réglemente leurs relations tendrait à faciliter la répercussion des coûts de production. En revanche, la question d’une répercussion rapide de la baisse des coûts de production sur les prix paraît aujourd’hui mal résolue : le dispositif des négociations commerciales est rigide.

Pour ce qui est de la boucle prix-salaires, il n’a été question au départ que de l’éviter pour ne pas alimenter une spirale inflationniste expérimentée dans le passé et imputée à l’indexation automatique des salaires. Mais au final, les données publiées par la Dares (Evolution des salaires dans le secteur privé, 16 juin 2023) montrent que les salaires ont largement suivi : certes, fin mars 2023, sur un an, l’évolution du salaire moyen de base de tous les salariés (4,7 %) et celle du salaire horaire moyen de base des ouvriers et employés (5,2 %) restent inférieures à l’évolution des prix (5,7%) mais les salaires ont décollé.

Il est clair que l’inflation, partant de difficultés de la reprise de production dans certains pays et des conséquences des évolutions climatiques sur les prix alimentaires, s’est transmise à l’ensemble de l’économie et a cessé d’être un phénomène ponctuel.
Pour autant, la question est celle du caractère durable d’une telle évolution : les prix de l’énergie devraient se stabiliser d’ici la fin de 2023, résultat complexe d’une baisse des prix pétroliers et d’une hausse mieux maitrisée pour les autres énergies grâce à la combinaison d’une sobriété accrue, du recours à des fournisseurs de substitution, d’une meilleure disponibilité de l’énergie nucléaire et d’un bouclier tarifaire encore en vigueur aujourd’hui sur l’électricité. De même, l’Insee attend le ralentissement du prix des produits alimentaires d’ici à la fin de 2023.

Ainsi, dans ses projections macroéconomiques de juin 2023, la banque de France prévoit un repli de l’inflation dès le 2e semestre 2023 (4 % en moyenne annuelle de l’IPCH, indice normalisé des prix au niveau européen) et une moindre progression en 2024, à 2,4 %. Ces projections se basent sur la baisse des prix de gros de l’énergie constatée depuis fin 2022 et sur l’accalmie des hausses des produits alimentaires. Les projections de la BCE de juin 2023 sont à peine moins optimistes : l’inflation européenne reviendrait à 3 % en 2024 et à 2,2 % en 2025. Seuls les prévisionnistes de l’OFCE prévoient encore une forte inflation au second semestre 2023 mais ils sont d’accord, eux aussi, pour une baisse à 3 % en 2024. Ces projections restent fragiles : un nouveau choc sur les coûts alimentaires n’est pas à exclure.

Un contexte spécifique, une inflation peut-être plus coriace qu’attendu

L’inflation s’explique par un déséquilibre de marché entre offre et demande. L’inflation que nous connaissons a la particularité d’être installée au niveau mondial, tous les pays ayant subi la sortie difficile du COVID des pays essentiels dans la production industrielle (en particulier la Chine), les répercussions des guerres et des crises climatiques sur la production de matières premières ou de produits alimentaires.

Il existe peu de moyens de lutter contre ce phénomène, sauf à espérer que les tensions géopolitiques s’apaisent, que les goulets d’étranglement de la production se résorbent et que les facteurs climatiques s’améliorent. Les Etats peuvent limiter les conséquences pour les ménages ou les entreprises mais au prix d’un effort budgétaire parfois jugé déraisonnable (en France, le coût du bouclier tarifaire, il est vrai insuffisamment ciblé, a été de 24 Mds en 2022 et de 16 Mds en 2023).

Pourtant, en Europe, aux Etats-Unis, en Angleterre, les banques centrales ont toutes augmenté fortement les taux d’intérêt, remède traditionnel qui repose sur l’espoir que la baisse des investissements et de la consommation permettra de limiter l’inflation. Pourtant, en l’occurrence, l’inflation ne vient pas d’une surchauffe d’économies enivrées par l’argent facile. Au demeurant, l’expansion des liquidités conduite par la BCE depuis la crise des années 2010 n’a provoqué aucune inflation. Le remède utilisé est sans doute largement inefficace : si la guerre en Ukraine continue et si l’Ukraine ne parvient pas à écouler sa production de céréales, les prix monteront à nouveau. De même, les tensions sur l’énergie ne sont sans doute pas terminées : l’IDDRI Quels enjeux pour la future loi Energie climat ? juin 2023) note ainsi que, malgré la baisse des marchés de gros de l’électricité et du gaz naturel fin 2022, les prix sont deux fois élevés que les années d’avant crise. En revanche, beaucoup d’économistes s’inquiètent des effets pervers sur l’investissement et la consommation d’une augmentation trop forte des taux d’intérêt.

Aujourd’hui, une analyse bien différente de l’inflation se répand chez les économistes : elle pourrait être la conséquence difficilement évitable d’un effort de réajustement des marchés et des circuits de production, voire d’évolutions structurelles plutôt à encourager qu’à freiner. Les économistes citent en vrac, l’augmentation des quotas carbone, l’électrification de l’économie et les tensions qui s’ensuivront dans un contexte de grand carénage des centrales nucléaires et de faible développement des énergies renouvelables, la relocalisation dans les pays développés de certaines productions stratégiques qui seront inévitablement plus chères, l’évolution du marché du travail et des salaires dans un contexte de vieillissement de la population, de moindre croissance de la population active et de refus d’augmenter l’immigration, à un moment où les salariés, qui ont accepté depuis des décennies une déformation de la répartition de la valeur ajoutée au bénéfice du capital, veulent des changements. La transition énergétique elle-même est porteuse de tensions inflationnistes de longue durée, notamment sur certaines productions (cf. l’étude de France stratégie Les incidences économiques de l’action pour le climat, mai 2023).

Dans ces conditions, rien ne sert d’augmenter les taux d’intérêt. En outre, leur augmentation trop forte priverait les entreprises et les Etats de leur capacité d’investir, à un moment où s’annoncent les coûts de la transition énergétique, décarbonation, adaptation des réseaux, isolation des logements, d’autant que ces investissements seront, dans un premier temps au moins, peu rentables. En France, si cette transition s’opère au bénéfice du développement du nucléaire, les investissements à engager sont énormes et doivent être rapidement décidés. Le prix de l’électricité n’est pas prêt alors de baisser.

Quant aux conséquences des événements climatiques sur la production agricole, comment considérer qu’elles s’atténueront ?

Ces constats conduisent à considérer que l’inflation risque de perdurer sur le long terme, avec des causes moins exogènes qu’au départ (cf. la tribune La question de savoir si le retour de l’inflation est un phénomène transitoire ou durable divise les économistes, F. Benhamou, A. Cartapanis, Le Monde, 16 décembre 2022).

Ils conduisent en tout cas certains économistes (Olivier Blanchard, Patrick Artus) à demander aux banques centrales de cesser leur intervention dès lors que l’inflation atteindrait 3 % au lieu de leur cible actuelle de 2 %, pour limiter les conséquences nocives d’une hausse des taux trop prononcée.

L’économie n’est pas une science, c’est plutôt la recherche d’un équilibre qui répond au contexte…et il faut tâtonner pour le trouver.

Pergama 22 juillet 2023