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Sommet des BRICS: quel poids réel?

Lors du sommet de Johannesbourg, en août dernier, les 5 pays qui composent les BRICS, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud, ont décidé d’un élargissement du groupe à 6 autres pays, Arabie saoudite, Argentine, Égypte, Émirats arabes unis, Éthiopie et Iran.

Les BRICS ont été créés en 2004, à la suite de la décision des Etats-Unis d’entrer en guerre en Irak : ce groupe de pays réclame depuis 20 ans une répartition différente des pouvoirs au sein des institutions internationales, FMI, Banque mondiale, Conseil de sécurité, pour donner plus de place aux puissances émergentes. Se revendiquant comme des pays en forte croissance économique avec un poids démographique important, ils considèrent que l’ordre institutionnel établi donne trop de poids aux pays occidentaux et, en particulier, aux Etats-Unis. Au-delà, ils contestent l’utilisation du dollar dans les échanges commerciaux, de même que la conditionnalité des politiques d’aide internationale aux pays en crise, tout comme les sanctions internationales (dont celles envers la Russie) ou les perspectives de taxe carbone aux frontières taxant les importations en provenance de pays ne respectant pas certaines normes écologiques. Ils refusent les « leçons de morale » d’un occident qui n’a pas toujours respecté les principes qu’il affiche.

L’analyse traditionnelle est que, si le discours tenu, en partie fondé, a du poids sur la scène internationale, les BRICS, sans réelle unité ni capacité de construire un système alternatif, ne représentent guère qu’un club protestataire. Certes, ils « pèsent » en 2022 26 % du PIB mondial et 41 % de la population. Pour autant, les pays adhérents, en particulier l’Inde, la Chine et la Russie, n’ont pas la même analyse des rapports de force au niveau mondial. L’Inde est ouvertement opportuniste, choisissant ses alliés au gré de ses propres intérêts : le pays a ainsi participé, en mai 2023, à un sommet du « Dialogue quadrilatéral », Etats-Unis, Inde, Japon, Australie, destiné à contrer l’influence de la Chine en Asie. A l’inverse, les prises de position de la Chine et de la Russie sont de plus en plus systématiquement anti-occidentales. Quant aux objectifs des BRICS, la « dédollarisation » a peu progressé jusqu’ici. La banque de développement qu’ils ont créée en 2014 reste d’ampleur modeste et ses prêts sont, pour une très large part, en dollars. Enfin, la Chine ou la Russie, puissances globales, ne sont peut-être pas les meilleurs représentants des pays réellement émergents qui réclament surtout une évolution des pratiques des institutions financières internationales. Dans ces conditions, l’addition de 5 pourcentages de PIB couramment présentée pour mesurer le poids des BRICS n’a pas grand sens. Pour autant, dans le paysage géopolitique, les BRICS sont parvenus à incarner la demande d’un ordre mondial différent et plus équitable, dans un contexte où le « sud » tend à refuser d’épouser les préoccupations géopolitiques occidentales, comme le montrent les abstentions à l’ONU sur les motions de condamnation de la Russie pour avoir attaqué l’Ukraine.

L’élargissement des BRICS décidé à Johannesbourg en cet été 2023 rend la situation bien plus confuse. Il traduit certes la volonté de mieux représenter le continent africain et le proche orient. Toutefois, le poids économique et démographique des BRICS ne se renforce que peu (ils passent de 26 à 29 % du PIB mondial et de 41 à 46 % de la population) et la gouvernance du groupe risque d’en être plus difficile. Surtout, la logique initiale des BRICS (puissances économiques ayant vocation à s’inscrire parmi les grandes nations) aurait conduit à accueillir plutôt le Nigéria que l’Ethiopie.  De plus, l’entrée de l’Iran et de très riches pays pétroliers brouille le message initial. Certains analystes considèrent que l’élargissement actuel s’est fait sous la pression de la Chine, désireuse d’entrainer un groupe de pays, le plus important possible, dans une opposition au G7, pour démontrer ainsi son propre poids dans la géopolitique mondiale. Le Brésil aurait, semble-t-il, rechigné devant un élargissement qui accentue le caractère hétéroclite du mouvement puis cédé à la Chine, avec laquelle le pays souhaite renforcer son partenariat. La Russie, qui souhaite montrer au camp occidental qu’elle n’est pas isolée, a suivi. Quant aux pays entrés dans le club, certains le font par opportunisme :  des pays alliés des occidentaux (les pays arabes) entendent démontrer à l’Occident qu’il doit tenir compte de leur avis et qu’ils ne sont pas mécaniquement « suivistes ». Ceux-là se soucient assez peu de « défendre le sud ». D’autres, l’Iran, sont venus parce qu’ils en espèrent des échanges économiques.  Au final, les BRICS vont-ils gagner en puissance parce que la Chine les utilisera pour asseoir son leadership ou vont-ils perdre de leur cohérence en acceptant des pays pauvres (l’Ethiopie), des pays parias (l’Iran) et des pays ambigus (les monarchies pétrolières, l’Egypte) qui restent très liés à l’Amérique ?  Peut-être une seconde vague d’adhésions, envisagée dès aujourd’hui, apportera-t-elle la réponse. Quant au message sur la multipolarité du monde, voire sur le renforcement de l’hostilité du sud envers le nord, il est, lui, bien passé, même si, bravaches ou réalistes, les États-Unis ont déclaré ne pas voir dans les BRICS de « futurs rivaux géopolitiques ».