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Glyphosate : la tragi-comédie continue

Le glyphosate, substance herbicide, a été autorisé par l’Union européenne, en 2017, après de vives controverses. L’autorisation, qui expirait en décembre 2022, a été prolongée d’un an et l’Union doit prendre une décision à l’automne 2023. Le 13 septembre dernier, l’agence européenne de sécurité des aliments, l’EFSA, a publié un rapport plaidant pour le renouvellement de l’autorisation pour 10 ans, après avoir demandé leurs propres conclusions aux agences en charge de la protection de l’alimentation de quatre pays, dont celle de la France. L’évaluation finale de l’EFSA, tout en signalant de petites lacunes dans les données fournies, ne relève pas « de domaine de préoccupation critique » quant à l’impact de l’utilisation du glyphosate sur la santé humaine, la santé animale et l’environnement.

La collectivité scientifique a aussitôt rappelé ses mises en garde : contrairement à ce qu’affirment l’agence européenne, nombre d’études scientifiques ne parviennent pas du tout aux mêmes conclusions que l’EFSA.

Dans une étude de 2021 (Pesticides et effets sur la santé, nouveaux éléments), l’INSERM, concernant le glyphosate, présente une appréciation modérée, ce qui la rend d’autant plus crédible : il relève l’existence d’un risque accru de lymphomes non hodgkinien, avec une présomption moyenne. D’autres sur-risques sont évoqués pour le myélome multiple et les leucémies, mais avec une moindre solidité des résultats. Les tests de génotoxicité sont quant à eux plutôt positifs. Si les études de cancérogenèse ne sont pas convergentes, sauf à des doses très élevées, il existe d’autres mécanismes de toxicité, notamment les perturbations du microbiote. Au final, les effets du glyphosate ne sont pas anodins et les risques sont réels, même s’ils sont modérés. Le procès fait en 2019 aux Etats-Unis par un agriculteur à l’herbicide Round-up à base de glyphosate est là pour en témoigner.

L’on a longtemps pensé que la divergence d’appréciation entre l’EFSA et les scientifiques provenait du fait que la première fondait exclusivement son avis sur les tests fournis par les entreprises phytosanitaires qui demandaient l’autorisation de leurs produits alors que les seconds travaillaient sur des études épidémiologiques plus larges ou sur leurs propres tests de toxicité. Or, cela ne semble pas être la source de la divergence. Des parlementaires européens ont en effet obtenu l’autorisation, en 2017, de transmettre à un éminent toxicologue américain les tests fournis par les industriels à l’EFSA dans le cadre de la demande d’autorisation du glyphosate. L’analyse du toxicologue C. Portier, rendue publique en 2019, note que, d’après les tests fournis, le glyphosate déclenche des cancers chez les animaux. Elle reste prudente sur la transposition à l’homme : elle relève néanmoins une augmentation de certains lymphomes chez l’homme dans les études épidémiologiques.

Une telle conclusion conduirait à accuser l’EFSA de complaisance ou d’incapacité à interpréter correctement les données fournies par les entreprises. Le député européen Pascal Canfin l’accuse plutôt d’incompétence ou, peut-être d’habile dissimulation : selon lui, l’agence n’analyserait pas la toxicité du glyphosate quand il est associé à d’autres molécules qui dopent son effet, ce qui est le cas dans les produits vendus.

Deux conséquences à ce débat : il n’est pas impossible que le glyphosate soit à nouveau autorisé, même si plusieurs pays, dont l’Allemagne, sont aujourd’hui très réticents. Au-delà, ce nouveau conflit entre la science et les institutions politiques est porteur d’effets pervers : il affaiblit une fois de plus la crédibilité de la parole publique, au bénéfice des complotistes qui cherchent à démontrer son caractère trompeur.