L’Insee fait paraître en novembre 2023 (Insee Première, n°1973) les chiffres de l’évolution des inégalités et de la pauvreté 2021. La parution tardive de données statistiques essentielles est notable : il faut donc 22 mois pour faire le bilan d’une année donnée sur ce point, encore est-ce de manière provisoire. De plus, force est de remarquer que la note de novembre 2023 est construite, pour 2020, sur des données étonnantes, que l’Insee contestait il y a encore quelques mois et qu’elle reproduit pourtant ici avec une explication tarabiscotée : en 2021, les enquêtes sur les revenus ont évolué, ce qui a nécessité de revoir les années antérieures. Selon l’Insee, cependant, les séries historiques présentées sont « cohérentes », même si celles de 2020 sont « fragiles ».
Que dit l’Insee sur l’évolution de la pauvreté en 2021 ? Pour l’essentiel, que la pauvreté a augmenté de manière très nette en 2021 par rapport à 2020 : le taux de la pauvreté mesurée à 60 % du revenu médian (soit un revenu de 1158€ pour un adulte) est de 14,6 %, à comparer aux 13,6 % de 2020, soit 0,9 point de plus. L’intensité de la pauvreté, liée à l’écart qui sépare le revenu médian des personnes pauvres du seuil du pauvreté, a également augmenté de 1,5 point, passant de 18,7 à 20,2. Fichtre ! C’est un vrai creusement, que l’on attendait plutôt en 2020, année où la crise sanitaire était au plus fort mais où, il est vrai, tout un système de maintien des revenus a été mis en œuvre. La note impute précisément le ressaut de la pauvreté en 2021 à la suppression des aides exceptionnelles de solidarité COVID (par exemple la majoration exceptionnelle de l’allocation de rentrée scolaire), par la mise en œuvre de la réforme de l’allocation logement et par l’indexation des prestations sociales sur l’inflation de l’année précédente.
Ce qui néanmoins est chiffonnant est l’évolution du taux de pauvreté sur le moyen terme : 14,5 % en 2018, 14,3% en 2019, 13,6 % en 2020 (année de difficulté particulière du recueil de l’information) puis à nouveau 14,5% en 2021. Certes, cette année-là, certaines allocations ont fléchi mais le chômage a baissé et l’emploi a augmenté non seulement par rapport à 2020 (année atypique) mais surtout par rapport à 2019 (plus d’un million d’emplois supplémentaires en 2021).
Surtout que s’est-il passé en 2020 pour que la pauvreté baisse aussi nettement, de 0,7 point ? Pendant très longtemps, l’Insee a soutenu que, en 2020, la pauvreté n’avait pas augmenté mais était resté au niveau de 2019, ce qui, à l’époque, soulevait les interrogations de ceux qui s’attendaient, à vrai dire, à une augmentation de la pauvreté. En novembre 2021, l’Insee (Insee Analyses, n° 70) plaidait la stabilité de la pauvreté en 2020 par rapport à 2019 et encore en octobre 2022, dans son blog où, commentant les enquêtes sur la pauvreté 2020, il écartait résolument celle sur les revenus fiscaux et sociaux qui, déjà, évoquait une pauvreté en baisse à 13,9 % : la baisse des effectifs interrogés et l’existence d’un confinement pendant la période d’enquête ne permettaient pas de considérer les chiffres comme fiables. Ces critiques ne sont pas reprises dans la note de novembre 2023 et l’enquête sur les revenus fiscaux et sociaux 2020 paraît être redevenue fiable.
Une baisse forte de la pauvreté est-elle vraisemblable en 2020, quand bien même des aides sociales ont été améliorées et d’autres maintenues (allocation chômage) ? C’est difficile à croire. Sans doute certaines poches de pauvreté révélées par l’épidémie sont-elles trop spécifiques pour influer sur un taux de pauvreté global : ainsi de la population étrangère en situation irrégulière qui n’avait plus de travail et n’a survécu, comme en Seine Saint Denis, que grâce à une solidarité de voisinage, ou des étudiants privés de petits jobs, que l’enquête revenus ne prend pas en compte. Mais l’on sait que les dispositifs de maintien des ressources ont joué inégalement selon les profils : en mai 2020 (Confinement : des conséquences économiques inégales selon les ménages, Insee première, octobre 2020), un quart des personnes interrogées (surtout artisans, commerçants et ouvriers) déclaraient que leur situation financière s’était dégradée, avec une proportion d’autant plus élevée que les ressources au départ étaient basses. Les jeunes travailleurs ont été particulièrement touchés par la chute de l’activité économique parce qu’ils étaient les plus nombreux à être en CDD ou en intérim, avec peu de droits au chômage. L’emploi n’a bien sûr pas progressé. Au demeurant, l’Insee n’a pas publié de note sur l’évolution de la pauvreté en 2020 qui expliquerait la baisse de pauvreté mentionnée et la publication Portrait social (édition 2023) ne mesure la pauvreté que jusqu’en 2019. Alors, la forte augmentation de la pauvreté en 2021, fiable ou pas ?