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Investissements étrangers en France : une autosatisfaction sans fondement

Pour la 5e année consécutive, le baromètre EY (Ernst & Young) sur l’attractivité classe la France au premier rang des pays européens pour ce qui est des investissements étrangers : le cabinet d’audit a recensé 1194 projets en France, dont 530 industriels, davantage qu’au Royaume-Uni (985) et qu’en Allemagne (733).

Le classement a fait l’objet de communiqués d’autosatisfaction des décideurs publics, qui imputent ce succès à leurs réformes économiques et sociales : l’Élysée note que « cette nouvelle extrêmement importante vient valider tous les efforts et toutes les réformes qui ont été conduites depuis 2017 ». Le pouvoir se targue en effet d’avoir conduit une politique « business-friendly » : réforme du code du travail dès 2017 pour amoindrir la place des organisations syndicales dans l’entreprise, réduction des prélèvements sur les entreprises et sur le capital, loi Pacte en 2019 et Plan France 2030 depuis la crise COVID. Et le ministre de l’Économie et des finances d’expliquer, citant EY, que « la réindustrialisation est en marche ».

A regarder les choses de plus près, il n’y a pourtant guère de quoi pavoiser, d’autant que les chiffres produits correspondent à des projets menés à bien mais ne mesurent pas le solde : les emplois éventuellement détruits ne sont pas comptabilisés.

Le rapport de EY souligne lui-même les points forts et les points faibles de la France.

Sur les points forts, EY note que le nombre de projets pris en compte a baissé en un an (1259 l’année précédente) mais que, en revanche, le nombre d’emplois créés par les investissements étrangers (près de 40 000 en 2023) augmente un peu. 530 (44 %) concernent des projets industriels et, là aussi, la France est en tête en Europe sur cet indicateur. Les investissements concernent enfin tous les pans de l’économie, 11 secteurs sur 15, notamment l’automobile, les équipements industriels, la logistique, la pharmaceutique et l’électronique. Les points forts reconnus par les dirigeants sont la compétence de la main d’œuvre, les infrastructures, l’appui public, le marché intérieur.

Toutefois, les dynamiques à l’œuvre apportent un premier petit bémol : alors que le nombre des implantations en France baisse de 5 %, celui des implantations en grande Bretagne augmente de 6 %, de + 7 % aux Pays-Bas, de + 54 % en Hongrie.   Par ailleurs, le Royaume-Uni reste « le QG de l’Europe » : en 2023, la France souffre toujours de la comparaison avec le Royaume-Uni sur les sièges sociaux (71 projets dans l’Hexagone contre 88 outre-Manche), les services financiers (39 contre 108) et la tech (135 contre 255).

De plus, dans la R&D, moteur de l’attractivité de la France ces dernières années, les projets marquent le pas (-15 % par rapport à 2022).

Surtout, en nombre d’emplois créés (et c’est bien l’indicateur principal), la France n’est pas première mais 3e. 52 211 emplois ont été créés au Royaume-Uni (avec moins de projets) et 42 950 en Espagne contre 39 773 en France. Il faudrait au demeurant rapporter ces chiffres à la population active (soit 0,13 % en France).

Dans son analyse tirée d’une enquête auprès des dirigeants, EY en souligne les causes : persistance du déficit de compétitivité et impact du climat social et de la crise énergétique des derniers mois. EY note également qu’il existe des interrogations des dirigeants sur l’ambition ou la capacité de la France en matière de transition écologique et numérique ainsi que sur la capacité d’innovation.

Enfin, les projets portent sur trop peu de nouvelles implantations : seulement 36 % des projets correspondent à de nouvelles implantations, contre 77 % en Allemagne et 75 % au Royaume-Uni, le reste n’étant que des extensions. Cela explique d’ailleurs le faible nombre d’emplois par projet (35) contre 49 en Allemagne, 61 au Royaume-Uni, 150 en Pologne ou 299 en Espagne.

Quant à voir dans ces résultats le signe d’une réussite de la réindustrialisation, renvoyons aux différentes études existantes qui montrent toutes que le processus est très lent.

Au niveau mondial, le rapport Trendeo montre qu’entre mi 2022 et mi 2023, l’Europe n’a drainé que 6,7 % des investissements mondiaux industriels, pourcentage en baisse, l’Asie en captant 45 %. Les entreprises européennes elles-mêmes ne réalisent qu’un tiers de leurs investissements en Europe.

Sur la réindustrialisation proprement dite, en France, les politiques alignent des chiffres enthousiastes de créations de site, les statisticiens notent que la part de l’industrie manufacturière dans la valeur ajoutée est toujours aux alentours de 10 % et les experts (cf. le rapport Lluansi) avertissent que la « Remontada » (un secteur industriel à 15 % de la valeur ajoutée) sera lente et prendra 20 ans.