Parmi les conséquences dramatiques de la dissolution du 9 juin 2024 figure l’enlisement de la situation en Nouvelle-Calédonie.
De cette crise, on connaît les origines : les émeutes ont commencé lors du vote, en mai 2024, à l’Assemblée nationale, d’un projet de loi constitutionnelle portant sur la modification du corps électoral de la Nouvelle Calédonie, gelé par les accords de Nouméa, en y intégrant les personnes présentes depuis au moins 10 ans ou nées sur place, cela sans l’aval des représentants kanaks, qui redoutent la modification des équilibres démographiques et politiques existants. Par ce vote, l’État a choisi la stratégie du coup de force, voire de l’ultimatum, pour forcer la main aux indépendantistes sur un accord global sur la suite du processus d’application des accords de Nouméa, dans un contexte où un troisième référendum organisé en 2021 sur l’indépendance, boycotté par les indépendantistes qui n’en acceptait pas la date, a donné 95 % de « non » mais avec 56 % d’abstentions.
A juste titre, en mai 2024, quand la loi constitutionnelle a été votée avec comme rapporteur à l’Assemble nationale un député très hostile aux perspectives d’indépendance, l’État a été accusé par les émeutiers d’avoir perdu son impartialité entre les diverses parties prenantes et de se tenir aux côtés des partis anti-indépendantistes, alors que les accords de Nouméa . Cela apparaissait d’autant plus clair que la leader des « loyalistes » partisans du rattachement à la France, Sonia Backès, était depuis juillet 2022 secrétaire d’État chargée de la citoyenneté auprès du ministre de l’Intérieur en charge du dossier calédonien.
On connaît également l’esquisse de solution apportée lors de la rapide visite du Président de la république dans l’archipel fin mai 2024 : réforme retardée (elle sera finalement « suspendue » après l’annonce de la résolution), appel à des négociations et à un accord global entre les parties prenantes sur les institutions, le partage des rôles, la citoyenneté, l’avenir économique et social…et éventuellement sur une autre modalité de dégel du corps électoral.
Depuis lors plusieurs événements majeurs ont scandé l’actualité : arrestations de 7 leaders indépendantistes, accusés de complicité de tentative de meurtre par instigation et d’association de malfaiteurs, transférés en détention préventive métropole, ce qui a créé un choc dans la population kanak, qui y a vu une méthode de type colonial ; élection législatives où l’un des deux députés élus est le fils de J-M Tjibaou, mais sans que la situation permette une clarification des programmes ou des propositions pour gérer la crise ; déclaration, le 14 juillet 2024, de Sonia Backès, l’ancienne secrétaire d’État à la citoyenneté du gouvernement Borne, proposant « un développement séparé » aux occidentaux et aux kanaks, en tournant le dos aux accords de Nouméa de 1998 qui prévoyait précisément une nation commune dont il reste à défini, il est vrai, le cadre d’ensemble ; accalmie relative mais maintien de tensions sur le terrain ; enfin, constat d’une forte dégradation de l’activité économique suite aux émeutes, la CCI comptabilisant 700 à 800 entreprises détruites, une chute de plus de 20 % du PIB, une montée du chômage, sur fond d’une forte baisse de rentrées fiscales qui va pénaliser le gouvernement local.
Les fractures se révèlent également au grand jour : elles sont politiques (les prises de position sont très éloignées) mais aussi économiques et sociales. Le taux de chômage des populations kanaks est presque double de celui des autres communautés, les écarts de niveaux d’éducation et de diplômes sont forts, le taux de pauvreté est important de même que les écarts de niveaux de vie, le modèle économique dont la viabilité est discutée parce qu’il repose sur des exonérations fiscales excessives est à revoir.
Aujourd’hui le pays s’enfonce, sans perspectives. Les indépendantistes sont divisés entre radicaux et modérés et les non-indépendantistes aussi. Comme s’il avait toujours les pleins pouvoirs, E. Macron s’est engagé à réunir mi-septembre toutes les forces politiques de l’archipel, pour discuter de l’avenir. Tout un pays est à construire, avec des communautés qui s’éloignent, les dernières décisions du pouvoir macroniste ayant enflammé les esprits au lieu de les apaiser. Qu’en sortira-t-il ?