Qui a dit que les assemblées citoyennes parvenaient, sur des sujets complexes et non consensuels, à dégager des solutions en construisant une analyse de la situation puis en débattant jusqu’à trouver un consensus réfléchi et légitime ? Les États généraux de l’information, réunis depuis octobre 2023 à l’instigation du Président de la République, qui en a garanti l’indépendance, mettent fin à cette illusion. Avec 5 groupes de travail, 22 consultations citoyennes, un Comité de prospective, 174 auditions d’experts, produire, le 12 septembre dernier, un rapport aussi bavard et mollasson est presque une performance. Il est vrai que, pour mener une Conférence citoyenne, il faut avoir des objectifs précis. Or, si C. Deloire, initialement délégué général des États généraux de l’information, avait déclaré avant sa mort : « Notre objectif, c’est d’aboutir à un plan d’action pour la France sur toutes les questions relatives à l’information », ses successeurs du Comité de pilotage y ont renoncé : le rapport contient surtout des orientations générales et refuse, s’agissant de la question la plus sensible (protection de la liberté d’information en cas de décision de l’actionnaire qui ne la respecterait pas), d’aller au-delà de recommandations gentillettes.
Le constat du rapport est pourtant alarmiste : l’inquiétude est profonde devant la dégradation de la qualité de l’information, notamment celle produite par les réseaux sociaux, et devant les actions de désinformation constatées. L’intelligence artificielle accroît ces risques. Le pluralisme est en péril, la liberté de l’information l’est aussi. Or, selon le rapport, le citoyen doit pouvoir s’informer librement à l’abri des manipulations et des algorithmes, le journaliste doit pouvoir échapper aux pressions et l’éditeur de médias doit aussi pouvoir entreprendre sans être dépendant économiquement.
Face à ce tableau, on peut classer les 15 propositions en plusieurs catégories :
- Celles qui ont déjà été avancées 10 fois, il est vrai sans être appliquées de manière déterminée, et qui sont parfaitement consensuelles : faire de l’éducation à l’esprit critique et aux médias à l’école une priorité (proposition 1) ; neutraliser la désinformation par une sensibilisation préventive à grande échelle (proposition 2) ; coordonner la lutte contre la désinformation à l’échelle européenne (proposition 15) ;
- Celles qui font confiance à la vertu : les entreprises d’information auraient la possibilité de devenir des « entreprises à mission » au sens de la loi Pacte, avec une participation des lecteurs et des journalistes à la gouvernance selon des modalités à définir (proposition 3) ; les Comités d’éthique prévus par la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias doivent être généralisés : ces comités, composés de personnalités indépendantes nommées par le Conseil d’administration, sont chargés de veiller « à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information » du média concerné (proposition 4) ; la « labellisation volontaire » des producteurs d’information sur les réseaux relève de la même veine (proposition 6), de même que l’ajout dans les textes, d’une « responsabilité démocratique » des acteurs économiques pour les inciter à flécher leurs investissements sur « les médias d’information » (proposition 7) ; la proposition donnant le choix aux utilisateurs pour paramétrer les algorithmes des réseaux laisse rêveur (proposition 11), de même que l’obligation pour les plates-formes d’afficher le contenu des informations en tant que tel (proposition 13) ;
- Les propositions qui n’imposent qu’une obligation d’information là où il faudrait un accord ou un droit de veto : l’actionnaire devra « informer » la rédaction de son intention de nommer un directeur de rédaction et recueillir son « avis » (proposition 4) ;
- Enfin, celles qui proposent une réforme bienvenue mais sans précision suffisante : si la proposition 4 porte clairement sur le statut de salarié protégé du Président de la société des journalistes, celle sur le renforcement du secret des sources est confuse (il faudrait, chacun en est d’accord, clarifier la loi actuelle qui permet de le lever en invoquant « un impératif prépondérant d’intérêt public », éventuellement en supprimant cette restriction) (proposition 6). Il en est de même de la proposition qui envisage de « préciser les procédures baillons » (celles qui empêchent les journalistes de dire la vérité) (proposition 6 également), le rapport proposant simplement d’en donner une définition précise, de celle sur la contribution obligatoire sur la publicité digitale des plates-formes dont le montant serait consacré à l’aide à l’information de qualité (proposition 8), et de celle sur la définition d’un seuil pour limiter la concentration des médias (proposition 9) qui propose divers modes de choix du seuil sans en préciser le niveau ni les difficultés de la méthode.
Il ne sortira donc rien de tels États généraux, que peut-être, quelques mesures d’affichage. Pourquoi ? Est-ce lié au fait que le Comité de pilotage ne comportait, à l’exception de C. Deloire, décédé avant la remise du rapport, aucun journaliste, mais un Président de chaine publique, un universitaire, un chef d’entreprise et deux inspecteurs des finances ? Peut-être. Un travail citoyen, cela s’encadre…