Le 1er octobre 2024, le Premier ministre abordera, dans sa déclaration de politique générale, les décisions qui figureront dans le PLF 2025, voire dans une loi de finances rectificative pour 2024, pour limiter l’envol du déficit public en 2023 (5,5 points de PIB au lieu des 4,9 attendus) et 2024 (la direction du Trésor évoque désormais, si rien n’est fait, 6,2 points de PIB). Michel Barnier inscrira ces décisions dans un plan pluriannuel : la procédure de déficit excessif décidée en juillet par les autorités européennes le lui impose. La France doit envoyer, avant la fin du mois d’octobre, un plan budgétaire et structurel sur 4 ou 7 ans, mentionnant les réformes auxquelles elle va procéder, les économies qu’elle en attend et la trajectoire des finances publiques qui en découle. Ce plan sera suivi, sans doute d’ici la fin de l’année, de recommandations du Conseil, et son exécution sera suivie annuellement. D’ores et déjà, la Commission a accompagné la décision de placement en déficit excessif de la France de quelques avis : examiner la multiplicité des dépenses fiscales et procéder à des « revues de dépenses » (B. Lemaire en a effectuées) permettant d’inscrire dans les projets de lois de finances des objectifs de réduction de dépenses chiffrés et crédibles.
Plusieurs travaux d’experts, de tonalité très contrastée, ont avancé, cet été, des propositions pour parer à la détérioration des finances publiques en 2023 et 2024.
La fondation Jean Jaurès (Situation budgétaire de la France, quelle trajectoire pour 2025 ? septembre 2024) a travaillé essentiellement sur 2024 et 2025. La note est très politique : selon son analyse, la situation des finances publiques est la conséquence des choix faits depuis 2018, jugés inefficaces et créateurs d’inégalités, baisses d’impôts et amplification des aides aux entreprises, sur lesquelles il faut, tout simplement, revenir.
La fondation rappelle que la Cour des comptes chiffre à 62 Mds en 2023 le coût des baisses d’impôts décidées depuis l’arrivée au pouvoir d’E. Macron. Celles qui ont bénéficié aux entreprises (environ la moitié du total : transformation avantageuse du CICE en cotisations sociales, baisse de l’impôt sur les sociétés, puis des impôts de production) sont jugées inefficaces : la Fondation insiste sur un chômage toujours supérieur à la moyenne européenne et sur la faible attractivité de la France à l’égard des investissements étrangers, contrairement aux déclarations du gouvernement. Par ailleurs, elle revient sur un constat (consensuel parce qu’indiscutable) : les baisses d’impôts des ménages ont bénéficié, pour l’essentiel, aux ménages très aisés, surtout la transformation de l’impôt sur la fortune et l’imposition des revenus financiers à 30 % et non plus au barème de l’IRPP (flat-tax). Enfin, elle juge que certaines aides aux entreprises (crédit impôt recherche, exonération de cotisations sociales sur les bas salaires, aides à l’apprentissage) sont insuffisamment ciblées et que d’autres sont néfastes (exonération du transport aérien de la taxe sur la consommation d’énergie) : elle propose de réformer les premières et de supprimer la dernière.
Selon la fondation, une surtaxe sur l’IS et l’annulation rétrospective de la flat-tax rapporterait 8 Mds en 2024, le rétablissement d’un impôt sur la fortune renforcé et le recentrage des aides de l’État sur des cibles plus retreintes de 44 à 55 Mds en 2025.
La note n’a bien évidemment aucune chance d’être retenue par le gouvernement en place depuis septembre 2024 : celui-ci n’acceptera sans doute que des augmentations d’impôt provisoires, pour ne pas paraître désavouer la politique antérieure du Président. Par certains côtés, c’est dommage : les effets de la flat-tax en faveur des ménages bénéficiant de revenus financiers ont été une des causes du creusement des inégalités et de multiples rapports ont démontré que les aides aux entreprises mentionnées par la fondation sont, de fait, excessivement coûteuses au regard de leur efficacité : un ciblage plus strict serait bienvenu. Il est vrai toutefois que le diagnostic est moins assuré sur les baisses de l’IS et des impôts de production et que l’impôt sur la fortune a été critiqué même par les tenants d’une imposition plus forte des ménages aisés, certains préférant alourdir les impôts sur les successions importantes.
Dans sa note d’août 2024 Réduction de la dette publique française : quelles implications pour les choix budgétaires de l’État ? la démarche du CEPREMAP, est tout à fait différente : elle n’évoque pas avec précision les mesures concrètes à prendre mais recherche le montant de la diminution des dépenses publiques nécessaires pour apporter satisfaction minimale aux exigences de la Commission européenne, c’est-à-dire pour rendre la dette publique « soutenable ». La note n’évoque pas la réduction d’impôts (seulement la réduction des dépenses) et, si la nécessité de ménager la croissance est prise en compte, c’est simplement en plaidant l’allongement à 7 ans de la durée de l’effort budgétaire à réaliser pour qu’il soit moins pénalisant. Sans grandes surprises, elle préconise un « ajustement » de 110 Mds sur 7 ans (le Trésor évoquait 100 Mds en juillet 2024), avec une répartition un peu bizarre qui commence par 20 Mds par an, baisse jusqu’en 2027 puis remonte et baisse à nouveau. Dans des conditions de croissance donnée, le déficit passerait alors à 2,66 points de PIB en 2031 mais l’endettement ne commencerait à baisser qu’en 2029 et, sans efforts supplémentaires, sa baisse serait lente. La démarche est justifiée par la volonté de restaurer la crédibilité de la France, bien affectée aujourd’hui par le creusement inattendu du déficit public.
La note est informative, elle repose sur des calculs mathématiques que l’on n’a pas de raisons de mettre en cause mais elle apporte peu.
La note de juillet 2024 du Conseil d’analyse économique Quelle trajectoire pour les finances publiques françaises ? est la plus riche : elle mêle les deux démarches précédentes, avec quelques conseils supplémentaires de méthode.
Les calculs ne sont pas si éloignés de ceux du CEPREMAP : pour que la France sorte d’affaire, il faudrait viser sur le moyen terme (7 ans, durée éventuellement allongeable à 12 ans) une cible de surplus primaire de 1 point de PIB (ce qui correspond approximativement à 28 Mds en 2023). L’objectif est ambitieux, sachant que le déficit primaire en 2023 (en ne tenant pas compte des charges d’intérêt de la dette) est de 3,2 Points. Il y donc un peu plus de 4 points de PIB à rattraper sur la période, soit de 112 à 117 Mds. La question de la durée est importante : l’effort initial doit être important pour enclencher le processus ; au-delà, l’effort doit être soutenu continûment ; il ne doit être ni trop rapide, pour ne pas altérer la croissance, ni trop lent, ce qui augmenterait la dette et nuirait à la crédibilité de la démarche. La note souligne la difficulté de l’effort, qui se heurte à « des vents contraires » (impact du vieillissement et nécessité de prévoir le financement de la transition énergétique). Elle propose d’agir surtout sur les dépenses publiques, jugeant que leur efficience n’est pas toujours prouvée, mais n’écarte nullement le levier des recettes. Au demeurant, l’exemple des mesures à prendre à court terme pour obtenir des résultats rapides comporte à la fois des mesures fiscales et des réductions de dépenses : meilleur ciblage du crédit d’impôt recherche, suppression des niches des droits de succession, meilleur ciblage des aides à l’apprentissage ou des exonérations de cotisations des bas salaires, mesures qui font largement consensus parmi les économistes. La note évoque aussi des mesures temporaires d’efficacité rapide moins consensuelles : gel du barème de l’IRPP, de la valeur du point Fonction publique ou des prestations sociales en espèces.
Reste que le CAE insiste sur les précautions à prendre sur le long terme : pas de « coup de rabot » qui baisse uniformément les dépenses un peu partout, pas de pilotage uniquement budgétaire des réductions, mais des « revues approfondies » permettant d’asseoir rationnellement les priorités et d’améliorer la qualité des dépenses ; un pilotage politique, le pouvoir assumant et justifiant les réductions ; le choix d’un périmètre large de réduction ; l’ouverture d’une concertation ; enfin, dispositif difficile à mettre en œuvre, une réforme de la gouvernance actuelle des finances publiques : l’articulation entre les lois de programmation des finances publiques et les lois de finances doit évoluer et, surtout, les prévisions doivent faire l’objet d’un véritable contrôle. La note propose ainsi d’élargir le mandat du Haut Conseil des finances publiques : celui-ci doit valider les prévisions macroéconomiques du gouvernement (et non pas seulement donner un avis), vérifier le chiffrage des mesures, analyser la crédibilité de la trajectoire des finances publiques qui lui est soumise.
De la lecture de ces trois études ressort une vérité simple : le rétablissement des finances publiques n’est pas une question de chiffrage. Ce n’est pas seulement une question technique, même s’il faut s’assurer à la fois que les choix sont justifiés, réfléchis et équitables et contrer la tendance gouvernementale à produire des prévisions sans crédibilité. C’est une question politique : or, il n’y a pas aujourd’hui, entre les partis, consensus pour engager cette politique, alors même que celle-ci doit se poursuivre sur des années ; de plus, cette politique présente des risques : la crainte porte sur l’effet récessif des mesures et le pilotage doit être fin et prudent.
Comment avoir confiance aujourd’hui en la capacité du pouvoir à mener à bien la démarche ?