La mission d’évaluation sur « l’effectivité du droit au logement opposable » demandée par la ministre du logement a remis en ce mois de décembre 2016 un volumineux rapport.
Rappelons que la loi du 5 mars 2007 qui institue ce droit, dite loi DALO, a été demandée à l’époque par les associations de défense des mal-logés parce qu’elles ne parvenaient pas à imposer la prise en compte des besoins des personnes les plus défavorisées. L’objectif de la loi est de permettre, aux personnes reconnues prioritaires par une commission de médiation pour l’attribution d’un logement social, de faire un recours contre l’Etat si aucune proposition de logement ne leur est faite dans un certain délai. La loi définit les conditions pour accéder à ce droit : impossibilité d’accéder à un logement décent (1) et indépendant par ses propres moyens ; séjour régulier ; appartenance à certaines catégories (personnes menacées d’expulsion, en logement insalubre, sans domicile…) ou attente« anormalement longue » après une demande de logement social, enfin avis favorable de la commission départementale de médiation.
Le rapport d’évaluation constate tout d’abord que, alors que l’Insee avait évalué en 2006 le nombre de bénéficiaires potentiels de la loi à 520 000, seulement 185 085 personnes ont été reconnus prioritaires de 2008 à 2015. Sachant que, parmi elles, 102 300 seulement ont été effectivement relogées, il est loisible de s’interroger sur l’accélération du traitement de la situation des personnes défavorisées que visait la loi…Il s’agit plutôt d’une course de lenteur et la France a d’ailleurs été condamnée en 2015 par la Cour européenne des droits de l’homme pour ne pas avoir relogé un demandeur en situation d’urgence.
La mission impute un tel résultat aux constats suivants :
Cette analyse conduit la mission d’évaluation à proposer une foultitude de mesures (meilleure formation des membres des commissions de médiation, obligation de répertorier le contingent de logements dont l’Etat dispose, interdiction aux préfets de déléguer le contingent de l’Etat aux communes) censées améliorer le dispositif.
Le tableau dressé est réaliste : mais le rapport est myope et il tape à côté de la plaque.
Comme le soulignait le Défenseur des droits récemment, le vrai problème de la loi, c’est tout simplement le manque de logements sociaux adaptés, ce que le rapport d’ailleurs ne nie pas. La loi était censée, on ne sait trop par quel miracle, stimuler l’offre : or, aujourd’hui comme hier, les 3⁄4 des logements sociaux construits sont destinés aux classes moyennes et un quart seulement (ceux financés par des prêts locatifs aidés d’intégration, les PLAI) peut accueillir les
demandeurs très modestes ou défavorisés avec des loyers très modérés. Tant que cette offre ne se développera pas, la situation de blocage perdurera. C’est à l’Etat de prendre la décision, il lui est difficile de pleurer sur cette carence.
La loi Dalo est également le symbole de ce qu’une société bureaucratique peut produire de pire, même quand elle est animée des meilleures intentions. Le logement social est un logement conventionné qui bénéficie d’aides publiques pour accueillir des bénéficiaires choisis en fonction de leurs ressources. Ce sont des commissions d’attribution, composées des financeurs (Etat, bailleurs, collectivités locales) qui décident de l’attribution des logements vacants. Tout le monde sait que c’est à ce niveau que le bât blesse : les commissions ne veulent pas reloger certains demandeurs en grande difficulté, sauf le représentant de l’Etat, qui
malgré tout ne veut pas se mettre mal avec les élus. Si les pouvoirs publics veulent des changements, ils n’ont qu’à réglementer le fonctionnement de ces commissions : définir à quel niveau elles interviennent (le niveau intercommunal est le seul pertinent parce qu’il élargit le champ des attributions), leur demander d’utiliser un barème publié et de coter en toute transparence les demandes, respecter des priorités établies au niveau national, quitte
à tenir compte aussi d’objectifs plus complexes de mixité sociale (mais de manière transparente, pour que ce ne soit pas un prétexte pour refuser les personnes pauvres). Au lieu de cela, la loi DALO de 2007 a monté une usine à gaz : le demandeur en grande difficulté (qui a déjà postulé pour un logement) doit déposer un autre dossier devant une commission qui examine à nouveau son cas et lui accorde (ou non) l’estampille « prioritaire » qu’il était sans doute aisé de repérer dès l’origine. Il va ensuite retourner devant des commissions d’attribution qui ont souvent ignoré sa demande et qui vont tout faire pour l’ignorer à
nouveau. La mission diligentée par la ministre du logement aurait dû renverser la table : ce n’est pas la peine de chercher à faire bien fonctionner un circuit parallèle qui tente maladroitement de faire des tris dans les tris pour au moins reloger les urgences absolues. Il faut simplement faire fonctionner le circuit principal, construire des logements à loyers bas, et abroger la loi Dalo.
Suzanne Maury, IGAS, enseignante à l’IEP et à l’IRA de Lyon
(1) Cette notion de logement « décent » est précisée par le décret d’application du 30 janvier 2002 de la loi de
solidarité urbaine dite loi SRU du 13 décembre 2000.