L’analyse d’un programme présidentiel est une entreprise ardue, surtout dans le domaine social. Financièrement, rien ne « boucle » jamais: les cotisations sociales sont allégées au nom de l’emploi ou du pouvoir d’achat tandis que les dépenses sont alourdies ; toute orientation un peu audacieuse appelle un contrepoint mièvre pour « épargner les plus fragiles » ; les orientations pertinentes, jugées trop techniques, soient noyées dans des flopées de
propositions convenues. La cohérence du programme, qui n’est pas décisive pour attirer les électeurs, est souvent faible.
La santé chez Emmanuel Macron, un bric et broc un peu fade
Le projet d’E. Macron n’échappe pas à ces critiques : on ne voit pas comment la sécurité sociale s’équilibrera, surtout sur le court terme, avant la réduction du chômage qui finance le programme de tous les candidats. Sur la santé, hormis la réforme de la tarification hospitalière et l’engagement (flou) de mieux coordonner les professions de santé, le programme présente peu d’intérêt. La prévention et la lutte contre les inégalités de santé sont prioritaires, sans que
l’on voie bien comment ces objectifs jamais atteints le seraient désormais. Parfois le programme dérape : augmenter le numérus clausus des médecins est une naïveté (les médecins sont assez nombreux, c’est leur répartition et leur mode de travail qui posent débat), un bilan du tiers payant ressuscitera une querelle sans intérêt, et la réinscription de l’hypertension artérielle dans la liste des affections longues et durables n’a rien à faire dans un projet stratégique.
L’assurance chômage : une ambition, des inquiétudes
Plus intéressant est le chapitre sur l’assurance chômage, avec moins de pathos consensuel. Certes, le plafonnement des indemnités prud’homales pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, proposition deux fois recalée récemment (1) , fait tache. Que les employeurs de PME redoutent la complexité et le coût des licenciements est certain. Mais imputer le chômage au coût des licenciements est une sottise. En bonne justice, il faut maintenir un lien entre préjudice et indemnité et laisser le juge décider du niveau de celle-ci.
En revanche, l’institution d’un bonus-malus des cotisations chômage des entreprises en fonction de la qualité des emplois offerts ou l’assouplissement de l’ouverture des droits (démissionnaires et non-salariés) sont des choix courageux. Pour autant, resserrer le contrôle des demandeurs d’emploi méritera vigilance et étatiser l’assurance chômage effraie, compte tenu du poids de la dette du régime et du mauvais signe adressé à une démocratie sociale si fragile. La question du rôle de l’Etat dans le domaine de la protection sociale est d’ailleurs trop vite expédiée. Doit-il devenir gestionnaire d’un régime d’assurance ?
Les retraites : un projet inapplicable
Sur les retraites, le projet – unification des régimes et disparition des régimes spéciaux – est fort. Le système actuel est éclaté, peu lisible, injuste, inutilement compliqué. Il est juste de l’unifier. Pour y arriver, le projet copie la réforme de la Suède, qui a créé un système par comptes notionnels : le montant de la retraite, calculé en fonction de l’espérance de vie de la génération concernée, correspond exactement au montant des cotisations de la vie active (avec un coefficient d’actualisation). On reçoit ce que l’on a payé : ce sont alors les assurés qui régulent le système : chacun choisit son âge de départ selon le montant de sa pension, élevée dès 62 ans s’il a beaucoup cotisé, basse, même à 70, si les périodes travaillées sont moindres.
Une telle réforme ne s’appliquera pas : elle impose un bouleversement colossal, avec un basculement de tous les droits acquis dans un système mal connu, cela sans vraie justification. D’abord, contrairement à ce que dit la proposition, le nouveau système ne se régule pas tout seul, avec une réforme « une fois pour toutes ». Certes, dans un système à comptes notionnels, le droit à retraite est calculé en fonction de l’allongement de la vie et c’est donc une cause de déséquilibre du système des retraites qui disparaît.
Restent les autres : les comptes notionnels sont tout aussi sensibles que les régimes traditionnels au poids du vieillissement (quand le ratio cotisants / retraités baisse, n’importe quel système souffre) ou à l’évolution de la masse salariale. Le seul moyen de riposter est alors de tripoter le coefficient d’actualisation (donc de baisser les pensions) pour répercuter ces difficultés. Ce serait honnête de le dire, sans prétendre seulement « restaurer la confiance et garantir la sécurité ».
Le seul intérêt du système par comptes notionnels est de faire disparaître les mécanismes de solidarité (annuités validées gratuitement, majorations de pensions, minimum contributif) qui pèsent très lourd dans le système actuel (20 % des pensions de droits directs (2) ). Si on les garde ou si on ne les révise pas, l’intérêt d’un bouleversement du système s’affaiblit voire disparaît.
Or, unifier les régimes autour d’une philosophie parfaitement contributive (« un euro cotisé donne les mêmes droits »), ce n’est juste qu’en apparence. Il suffit de penser aux mères de famille qui reprennent à 45 ans un travail dans les services d’aides à la personne, aux chômeurs de longue durée, voire aux ouvriers du bâtiment excédés de fatigue à 58 ou 60 ans. Miracle, le programme d’E. Macron les épargne : tout restera pour eux comme avant, la solidarité nationale interviendra. « Personne n’y perdra », a affirmé le directeur de campagne d’Emmanuel Macron sur une radio de service public. Est-il conscient du bouleversement qu’il organise, de l’inquiétude qu’il va soulever, des difficultés de la période de transition pour qu’au final les droits soient les mêmes et que le système soit exposé aux mêmes instabilités qu’avant ? Mieux vaut se contenter de rapprocher les régimes spéciaux du régime général, de revoir certains mécanismes de solidarité, cela évitera les bouleversements traumatisants.
Les pragmatiques diront qu’il ne faut pas lire les programmes, qu’ils donnent de grandes orientations mais sont inapplicables dans le détail. Le projet d’Emmanuel Macron est cousu d’un fil blanc repérable (« innover ET rassurer »), ce qui n’est pas tout à fait pareil que « innover tout en protégeant ». Nous avons tant besoin d’innovation que cela altère peu la séduction du projet. Reste à espérer que, si Emmanuel Macron arrive au pouvoir, il a bien anticipé, un peu mieux que son programme, les difficultés qui l’attendent.
Suzanne Maury, IGAS, enseignante à l’IEP et à l’IRA de Lyon
(1) Voir la décision du Conseil constitutionnel invalidant cette disposition de la loi Macron du 6 août 2015 et la
première version de la loi travail, expurgée de cette disposition sur demande de la CFDT.
(2) Évolutions et perspectives des retraites en France, COR, rapport annuel, juin 2016