En application de la loi du 20 août 2008 de rénovation du dialogue social qui fixe des critères de représentativité des organisations syndicales, le ministère du travail a publié le 31 mars 2017 la liste des syndicats reconnus représentatifs au niveau national, de 2017 à 2021, paragrégation des résultats obtenus aux élections professionnelles de la période 2013-2016.
La presse a pointé le changement intervenu dans le classement des organisations : la CFDT, 2e en 2013 avec 26 % des voix devant une CGT à 26,77%, passe désormais en tête avec un score quasiment équivalent (26,37 % des voix) mais un nombre de suffrages en légère augmentation, devant une CGT en perte de vitesse (à 24,85 %).
Est-ce un « changement historique », voire un séisme, comme cela a été dit ? Pas vraiment.
Un résultat attendu, logique et bienvenu
D’abord, ce résultat n’est pas une surprise : dès 2013, la CGT et la CFDT étaient au coude à coude. Depuis lors, la CGT, dont la ligne s’est radicalisée, a vu ses résultats baisser dans nombre de ses places-fortes, notamment les entreprises publiques (RATP, SNCF, EDF, Air-France…) mais aussi La Poste, Renault ou PSA. Sans doute le mouvement s’explique-t-il par l’évolution tendancielle d’un salariat aujourd’hui moins ouvrier, même dans les entreprisesindustrielles. Mais la CGT paye aussi ses outrances (tels des appels au « blocage social » ou à « l’incendie social » lors du congrès de Marseille de 2016) et ses divisions internes, avec un
positionnement à contrecourant des attentes d’une part des salariés. En 2012, une enquête commandée par l’ancienne direction montrait que 48 % d’entre eux lui demandaient d’être « plus réaliste dans les négociations ». Or, depuis sa dénonciation de l’accord « scélérat » de 2013 sur la sécurisation de l’emploi signé par la CFDT, la CFTC et la CGC, elle a fait le contraire. La CFDT, qui revendique à l’inverse un « syndicalisme utile » aux salariés et « non dogmatique », arguant que la négociation a d’abord pour objectif d’améliorer leur situation et leurs droits, est plus en phase avec les attentes de ces derniers(1).
De plus, depuis longtemps, la CFDT a fait de son implantation dans les entreprises un de sesaxes de travail là où la CGT est davantage tentée d’exploiter sa situation dominante dans certains secteurs. Déjà, en 2013, la CFDT était présente auprès de 61 % des salariés d’entreprises de plus de 10 salariés, légèrement devant la CGT (58 %) et largement devant FO (38 %). De plus, elle était présente de manière égale auprès des ouvriers, techniciens, agents de maîtrise et cadres, alors que les 3⁄4 des salariés auprès desquels la CGT était présente étaient des ouvriers. Cette stratégie d’implantation a sans doute renforcé les votes.
Quoi qu’il en soit, la première place de la CFDT, résultat, sans surprises, est bienvenue : elle peut contribuer à changer l’image dégradée qu’une majorité de Français a du syndicalisme. Surtout, les thèmes auxquels la CFDT s’intéresse, qualité de vie au travail et partage du pouvoir dans l’entreprise, sont des enjeux à la fois neufs et décisifs : la lutte contre toutes les sortes de pénibilité au travail est aujourd’hui balbutiante et la présence d’un ou deux administrateurs salariés au Conseil d’administration des grandes entreprises, imposée par deux lois de 2013 et de 2015, ne suffit pas à rénover la gouvernance. Si la CFDT roule en tête, ses chances de faire progresser ces deux objectifs peuvent s’accroître.
Pour autant, un résultat de faible impact
Le classement de la CFDT ne change guère la donne. D’abord, la première place de la CFDT ne concerne pas le secteur public : avec 23 % des voix contre 19 % à la CFDT, la CGT y est nettement majoritaire. Le secteur public est en outre deux fois plus syndiqué que le privé (20 % contre 9 %), avec une capacité de mobilisation
traditionnellement plus forte, malgré des signes récents d’essoufflement.
En outre, ce qui compte, dans un contexte de grande dispersion syndicale, c’est moins le résultat d’une organisation que la capacité d’un « pôle réformiste » à s’unir pour atteindre le seuil de 30 ou de 50 % nécessaire pour qu’un accord soit valide. Au niveau national, la CFDT ne peut compter à coup sûr que sur la CFTC depuis que la CGC l’a « lâchée » lors du débat sur le projet de loi travail : réduit à deux syndicats (l‘UNSA n’est pas représentative au niveau national), le poids du bloc réformiste dans le secteur privé dépasse à peine 41 % tandis que CGT et FO représentent 46 %. Cela suffit pour valider des accords interprofessionnels au seuil de 30 %. Sinon, comme auparavant, c’est le poids de la CGC qui fera pencher la balance.
Le bon résultat de la CFDT a donc surtout valeur symbolique. Il ne peut cacher la faiblesse syndicale, même quand on la mesure aux voix obtenues. En valeur absolue, la CFDT a recueilli 1,4 million de voix dans le secteur privé (1,9 avec la CFTC) sur 13,2 millions de salariés inscrits. Tout un pan des salariés, ceux des très petites entreprises (TPE), au nombre de 4,5 millions, ne s’est quasiment pas déplacé pour voter et le taux d’abstention des autres est proche de 40%. Comment avec ces chiffres espérer favoriser une profonde transformation sociale, avec des syndicats profondément divisés, même si ceux-ci gardent le monopole de la négociation sociale ?
Enfin, le proche avenir est incertain. Le programme d’en Marche prévoit un encouragement à l’engagement syndical et la généralisation des principes de la loi travail à laquelle la CFDT a été favorable (un droit du travail socle, la possibilité d’y déroger dans les entreprises par accord majoritaire dans le cadre de certaines limites, ce qui incite au dialogue social). Pour autant, la CFDT ferraille avec Emmanuel Macron sur le rôle des organisations syndicales, que le candidat veut renvoyer à la seule gestion des accords d’entreprise en revendiquant pour l’Etat, seul dépositaire selon lui de l’intérêt général, les décisions nationales, dont la définition du régime de chômage. Le secrétaire général de la CFDT en est inquiet, qui rappelle désormais dans toutes les interviews que l’intérêt général se construit à plusieurs voix. De fait, sans doute faudrait-il rappeler à tous les candidats, surtout à ceux qui prônent le renouveau, que la démocratie pour être vivante, doit s’animer et se partager : l’Etat n’est pas le seul à pouvoir y contribuer.
Suzanne Maury, IGAS, enseignante à l’IEP et à l’IRA de Lyon.
(1) TNS-SOFRES, l’image des organisations syndicales, novembre 2015