Depuis deux mois, la presse exploite un nouveau thème, celui des jeunes députés d’En Marche à la découverte des Institutions (ou plutôt, du règlement de l’Assemblée nationale). Ils sont devenus les symboles du renouvellement, avec ses couacs et sa fraîcheur. Au-delà de l’anecdote, la concomitance entre l’application des textes de 2014 sur le cumul des mandats[1], les projets de moralisation de la vie politique et l’ampleur de la victoire de représentants néophytes de la majorité présidentielle aux élections législatives laisse espérer un renouveau de la vie politique ou, au moins, de l’Assemblée.
Ajoutons-y toutefois le projet de loi constitutionnelle annoncé en juin dernier : le Conseil constitutionnel ne devrait plus comprendre de membres de droit (de fait, la présence d’anciens présidents de la République est choquante, compte tenu de leur coloration politique et parce qu’ils peuvent être appelés à se prononcer sur des questions prioritaires de constitutionnalité relatives aux lois qu’ils ont soutenues) ; les mandats des parlementaires et des exécutifs locaux seraient limités à trois, pour lutter contre la professionnalisation de la vie politique ; la Cour de justice de la République, qui s’est déshonorée à plusieurs reprises, face notamment aux cas de Charles Pasqua et de Christine Lagarde, serait supprimée au profit d’une juridiction de droit commun et les Ministres ne pourraient plus exercer une fonction exécutive locale.
Ajoutons surtout les déclarations du Président de la République devant le Congrès : réforme du Conseil de la magistrature pour rendre le pouvoir judiciaire moins dépendant de l’exécutif ; introduction d’une dose de proportionnelle lors des élections législatives ; réduction d’un tiers des parlementaires et réforme du travail législatif, pour accélérer l’adoption des lois (la possibilité de les adopter en Commission a été évoquée) mais aussi pour réserver plus de temps à leur évaluation et au contrôle de l’action publique. Se dessine alors un vrai changement.
Si les annonces sont suivies d’effet, elles traiteront d’abcès de fixation anciens (une plus grande séparation des pouvoirs, un accès plus libre aux fonctions politiques) et apporteront des réponses à la crise de légitimité des dirigeants. Le risque est toutefois qu’elles améliorent le fonctionnement des institutions sans renouveler la démocratie.
Des projets justifiés mais risqués
Aller au-delà, revenir aux racines de la démocratie
Les réformes n’auront cependant de portée sur l’opinion publique que si elles dépassent l’ambition d’un meilleur fonctionnement des institutions.
Ce qui les légitime, ce qui les rend nécessaires et urgentes, c’est que l’adhésion au système démocratique faiblit. Selon une enquête Ipsos-Storia-Steria commandée par Le Monde en novembre 2016, si 68 % des Français considèrent que la démocratie est irremplaçable, 32 % pensent que d’autres systèmes pourraient être aussi bons. En 2014, les pourcentages étaient respectivement de 76 % (système démocratique considéré comme irremplaçable) et de 24 % (ouverts sur d’autres solutions). Les partis sont à 78 % vus comme un frein à l’amélioration de la situation, avant les syndicats (62 %) ou la presse (57%). Jointes aux traditionnels baromètres de la confiance politique (selon lesquels 76 % des élus seraient corrompus), de telles données sont inquiétantes.
La demande implicite telle que la décodent nombre d’analystes, c’est qu’il importe non seulement de mettre fin aux abus et privilèges d’une caste politique mal considérée mais aussi de faire fonctionner la démocratie autrement. Certes, dans l’article précité, Daniel Gaxie, qui souhaite lui aussi « dépasser » une démocratie représentative fondée sur une « délégation » indifférente, rappelle que ceux qui réclament en parole un rôle plus actif sont bien contents en pratique de se décharger du fardeau sur leurs représentants. Pourtant dit-il, ce sont bien les citoyens qui doivent se préoccuper de s’approprier la démocratie car jamais aucun mouvement politique ne la leur rendra. De fait, le Président actuel, après avoir prôné les mouvements de citoyens et l’élan de la base, travaille parallèlement à une verticalisation du pouvoir peu propice à un renouveau de la démocratie.
Inspirons-nous alors des propositions des philosophes, juristes et sociologues : dans « Le bon gouvernement » [7], Pierre Rosanvallon déclare que la priorité n’est pas de perfectionner le « régime démocratique », même s’il reconnaît qu’il reste des améliorations à lui apporter (parité, mode de suffrage…). Aujourd’hui, dit-il, il faut passer d’une démocratie d’autorisation (l’on permet à un élu de gouverner en lui donnant son suffrage) à une démocratie d’exercice ou d’appropriation (le citoyen est présent aux côtés des élus) où le rapport gouvernants/gouvernés devient un enjeu majeur. Quant à Dominique Rousseau, dans un de ses derniers ouvrages « Radicaliser la démocratie »[8], il souhaite une « démocratie continue », qui permette au citoyen de participer à l’élaboration de la volonté générale. La grande différence avec les populistes est que, selon son analyse, la qualité d’une décision ne repose pas seulement sur son origine (le peuple qui vote, surtout par référendum) mais aussi, voire surtout, sur son mode de production : les groupes de citoyens ne doivent pas seulement voter, ils doivent produire des délibérations et argumenter, comme le font les conférences de consensus, ils doivent, avant de décider, se documenter, réfléchir, échanger. On est loin de la « dose » de proportionnelle aux élections législatives ou de la possibilité d’adopter une loi en Commission. Mais si l’on s’en tient aux réformes annoncées, toutes justifiées qu’elles soient, l’espèce de rancœur qui prévaut aujourd’hui contre le pouvoir politique perdurera et risque fort de l’empêcher de gouverner.
[1] Deux lois organique et ordinaire du 14 février 2014 interdisent le cumul de fonctions exécutives locales, dont celle de maire, avec un mandat de député ou de sénateur (à partir de 2017) ou de parlementaire européen (à partir de 2019).
[2] Enquête sur la professionnalisation de la politique en France, Julien Boelaert, Sébastien Michon, Etienne Ollions, Editions Raisons d’agir, 2017
[3] Le nouveau pouvoir urbain en 2014 : les maires des villes de plus de 30 000 habitants, Cevipof, 2014
[4] Les enjeux citoyens de la professionnalisation politique, Revue Mouvements, 2001
[5] La définition est de Max Weber, dans une conférence de 1919 « La politique comme métier », où il explique la substitution des professionnels aux notables par l’importance prise par les partis et la nécessité d’avoir des permanents pour les animer.
[6] Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, rapport de novembre 2012
[7] Pierre Rosanvallon, Le bon gouvernement, Seuil, 2015
[8] Dominique Rousseau, Radicaliser la démocratie, Seuil, 2015