La fonction publique d’Etat a vécu ces dix dernières années une période chahutée et ambivalente : certaines réformes (mise en place de l’entretien d’évaluation, définition des critères de progression de carrière) et certains débats (modes de recrutement, politique de mobilité, transparence et équité des primes) l’ont fait progresser de manière décisive, même si beaucoup reste à faire. D’autres mesures – réduction arbitraire des emplois, redécoupage brutal et mal préparé des services publics, discours humiliants sur la charge que représentent les emplois publics, ont à l’inverse provoqué, de 2008 à 2012, découragement et amertume. Le pouvoir socialiste a, pendant la période 2012-2016, pansé les plaies mais avec maladresse. Choix naïf, il a considéré que donner des avantages financiers aux fonctionnaires, c’était ipso facto améliorer le service public : il a donc défini une grande réforme des rémunérations, fort coûteuse pour le pays (la Cour des comptes en a estimé le coût total entre 4,5 et 5 milliards d’euros pour l’ensemble des fonctions publiques, dont 2,5 à 3 milliards pour la FPE[1]) qui revalorisait toutes les carrières de manière quasi-uniforme, sur les années 2016 à 2020. Les fonctionnaires n’ont pas pour autant retrouvé confiance dans l’avenir et cela n’a pas conduit non plus les Français à mieux apprécier les services publics : le baromètre Delouvrier 2016[2] note que 37 % seulement des Français en ont une image positive (le niveau se situait plutôt au-dessus de 45 % entre 2005 et 2011), les moins bien notés étant les services de l’emploi, l’Education nationale et la Justice De même, selon un sondage SOFRES d’octobre 2017 commandé par le ministre de l’action et des comptes publics, 66 % des Français jugent urgent de réformer la fonction publique, dans ses modes de fonctionnement (elle est trop lente) mais aussi parce qu’elle bénéficie de privilèges excessifs, même si, par ailleurs, ils ont plutôt bonne opinion des fonctionnaires[3]. La situation n’est donc pas brillante et les fonctionnaires, qui jugent très sévèrement la GRH qui leur est appliquée[4], n’ont pas vraiment le moral.
Que va-t-il se passer dans le quinquennat qui s’ouvre ? Entre le programme du Président, le budget 2018 et le projet « Action publique 2022 », les choix se dessinent : les préoccupations sont prioritairement gestionnaires, pas toujours infondées, mais gestionnaires (I). Or, les agents publics ont besoin aujourd’hui de retrouver du sens à leur action. Certains des projets envisagés sont à l’évidence nécessaires mais si les fonctionnaires y cherchent une vision de l’avenir et un ressort de motivation, ils seront déçus (II).
Une optique gestionnaire
Le programme du candidat Macron insistait d’abord sur un appel plus important aux contractuels dans la fonction publique : il prévoyait notamment de recruter au moins un quart des directeurs d’administration centrale en dehors de la fonction publique. Ce choix peut se justifier : il accentue le brassage et la diversité au sein d’une fonction publique à la culture trop uniforme et les fonctionnaires sont doute trop attachés à des méthodes traditionnelles et trop peu sensibles aux préoccupations des entreprises. Mais, pour E. Macron, c’est clairement un choix de défiance : les dirigeants du secteur public doivent être issus du privé parce que seuls ils auront alors le sens des résultats et de l’efficacité. C’est comme cela que tous les fonctionnaires lisent ce projet et c’est comme cela qu’il faut le lire.
Autre choix de principe, l’emploi et la rémunération des fonctionnaires, évoquée par le ministre de l’Action et des comptes publics lors de son audition du 2 novembre 2017 à l’Assemblée nationale : les futures coupes dans l’emploi public serviront à faire reculer de 3 point des dépenses publiques qui atteignent 57 % du PIB. Sur la rémunération, le Président s’est prononcé pour que le point d’indice ne connaisse plus d’augmentation généralisée. En revanche, le gouvernement ferait le choix de hausses ciblées pour des « métiers » qui présenteraient des retards ou seraient les plus utiles à l’action publique. Le but est de parvenir à une rémunération plus segmentée, qui tiennent compte davantage des responsabilités exercées ou corrige certains défauts d’attractivité, ce qui est intéressant. Pour autant, les contours de la politique de rémunération ne sont pas bien clairs et de telles déclarations ne sont pas suffisamment réfléchies : même les employeurs du privé procèdent à des revalorisations générales pour préserver le pouvoir d’achat. De plus, l’on ne sait comment s’insère dans le débat le discours récurrent sur la nécessaire individualisation des rémunérations des fonctionnaires : le gouvernement devra expliquer comment il s’y prend pour moduler toutes les rémunérations au seul mérite, comme il semble l’envisager, choix contestable et, à vrai dire, irrationnel puisque toutes les études sur la motivation montrent que la rémunération n’en est quasiment jamais le facteur principal.
Ce sont également des préoccupations gestionnaires qui inspirent la mise en place d’une journée de carence en 2018 dans la fonction publique, où le premier jour de maladie ne sera plus payé. Là aussi, le débat est possible. Certains employeurs de la fonction publique hospitalière et territoriale plaident ouvertement pour la mesure, de nature à réduire un absentéisme qui leur paraît très élevé, même elle est susceptible d’avoir des effets secondaires non désirés[5]. Pour autant, même un DRH débutant sait que l’absentéisme court ne se combat bien qu’avec un plan alliant répression et amélioration des conditions et du climat de travail : il faudrait s’en préoccuper.
Enfin, la vision du service public donnée dans le programme de l’actuel président est pauvre : il est essentiellement question de problèmes pratiques et d’accessibilité (heures d’ouverture, possibilité de faire la totalité des démarches administratives sur Internet) et quand il s’agit de qualité, ce n’est guère mieux : chaque service accueillant du public (hôpital, école, tribunal, caisse d’allocations familiales…) devra afficher, trimestriellement au moins, ses résultats en termes de qualité de service sur la base d’indicateurs concrets (délai de traitement d’un dossier, qualité de l’accueil au guichet, taux de remplacement des enseignants à l’école…). La faiblesse de la pensée est évidente : il serait autrement plus nécessaire de mesurer la qualité de l’enseignement, la qualité des soins, la qualité du travail administratif ou de la justice. il est vrai qu’il ne s’agissait là que d’un programme électoral. Cependant, le projet, mieux pensé et plus ambitieux, « Action publique 2022 », présenté par le premier ministre ces jours derniers[6], met lui aussi au centre de son projet une préoccupation à vrai dire secondaire, ou du moins logistique, la numérisation des services : il faudra un jour rappeler au gouvernement que les métiers de la fonction publique d’Etat ne consistent pas seulement à délivrer des autorisations ou des cartes d’identité, même s’il ne faut pas négliger l’administration : 40 % des fonctionnaires d’Etat sont enseignants et les autres sont, pour une bonne part, policiers, magistrats, responsables de sécurité ou de ressources humaines, en charge de politiques sociales et d’environnement, et ne travaillent pas dans des administrations de guichet. La numérisation n’est pour eux qu’un moyen, pas une fin.
Action 2022 : un projet ambitieux, nécessaire, mais insuffisant
Le gouvernement tente cependant d’inscrire son action dans un cadre plus large, en demandant à un Comité de pilotage, composé de personnalités choisies pour leur qualification, réelle ou supposée, de proposer, pour mars 2018, des réformes sur l’action publique et la fonction publique : le processus « Action 2022 » devra ainsi travailler sur les missions publiques, en fait sur le périmètre des administration publiques.
La démarche est intéressante : elle lie les suppressions d’emplois prévues dans la fonction publique et la redéfinition claire des missions. De fait, l’on sait bien que, entre l’Etat et les collectivités ou l’Etat et des organismes qui participent au service public (telle la sécurité sociale), il existe des enchevêtrements de compétences qui causent des gaspillages et des sureffectifs. Il suffit de penser aux compétences sociales, de formation professionnelle ou d’emploi pour mesurer que l’ambition d’une meilleure répartition est légitime. Entre collectivités territoriales également, il existe des redondances et de ce fait, des pistes d’économies. Le gouvernement a raison de vouloir s’y attaquer. Il a raison aussi de souligner que la qualité de service en souffre, surtout s’agissant de prestations (handicap, chômage de longue durée, accompagnement vers l’emploi) qui s’adressent à des usagers fragiles, écartelés parfois entre plusieurs administrations. Le travail entrepris, colossal et plein de pièges, est nécessaire.
Il n’est cependant pas certain qu’il donne au gouvernement toutes les réponses qu’il en attend, notamment quant aux suppressions d’emplois publics. Pour supprimer 120 000 emplois publics, il faut aller bien au-delà d’une bonne répartition des compétences : il faut engager un travail sur les besoins et les attentes à l’égard des métiers publics et sur la qualité du service rendu souhaité. Ainsi, il est loisible de considérer que l’accompagnement vers l’emploi doit être l’apanage d’un seul service et non de plusieurs et il est probable que cette rationalisation libérera des emplois. Mais en revanche, pour mesurer les besoins en emplois et calibrer correctement le nombre des fonctionnaires , il faut se demander ce que l’on attend des agents. L’interrogation vaut pour la police, le travail social, l’enseignement…
Action 2022 comporte également un volet qui met mal à l’aise : ce sont les chantiers interministériels nommés « boites à outils » qui doivent accompagner cette transformation de l’action publique : l’on a déjà évoqué le numérique, première « boite à outils ». La seconde est la rénovation du cadre des ressources humaines : pour accélérer les transformations de l’action publique, le travail complémentaire confié à Action 2022 est de modifier le cadre statutaire (apparemment il n’est pas complétement exclu de s’en passer ou de l’assouplir fortement), le recrutement des fonctionnaires, leur rémunération, le dialogue social, la formation, les parcours professionnels et la mobilité tout en déconcentrant la gestion.
Sans doute cette présentation, qui instrumentalise la fonction publique, est-elle une simple maladresse. De plus, nombre de chantiers évoqués ci-dessus sont très attendus (l’on pense au développement de la mobilité et de la déconcentration). Mais la présentation du plan Action 2022 montre que le gouvernement ne comprend pas du tout l’état d’esprit des fonctionnaires ni leur malaise. Même si de telles mesures sont très souhaitables, ce n’est pas en assouplissant les contours des corps et en incitant à la mobilité qu’il transformera les fonctionnaires en « outils » utiles et impliqués : c’est quand les métiers retrouveront du sens, quand les juges auront le sentiment d’avoir les moyens de travailler, quand les enseignants verront que l’école obtient des résultats et retrouve une crédibilité aux yeux des Français que la fonction publique retrouvera sa motivation et son allant. Pour l’instant, le discours tenu est, de ce point de vue, creux. Pour motiver la fonction publique, les réformes statutaires ne sont pas complètement inutiles. Mais il faut surtout tenir un discours motivant (pas un discours de simple gestion) sur ses missions.
[1] Il s’agit du Protocole dit PPCR, Protocole sur les parcours, les carrières et les rémunérations
[2] Baromètre de l’Institut Paul Delouvrier, Les services publics vus par les Français et les usagers, novembre 2016
[3] Le Baromètre met en lumière une distorsion des opinions entre les Français et les usagers, beaucoup plus favorables (69 % de satisfaction). De même l’enquête SOFRES qui insiste sur la nécessité d’apporter des changements à la fonction publique révèle parallèlement que 77 % des Français ont bonne opinion des fonctionnaires.
[4] Baromètre des ressources humaines du secteur public, Etude BCG (Boston consulting group), pour Acteurs public, octobre 2017
[5] Voir Insee analyses, Le jour de carence dans la FPE : moins d’absences courtes, plus d’absences longues, novembre 2017
[6] Circulaire du 29 septembre 2017 et dossier de presse du 13 octobre 2017