Programmation pluriannuelle de l’énergie : s’intéresser aux leviers autant qu’aux objectifs

Elections européennes : quel projet pour l’Europe?
17 mars 2019
GAFA et régulateurs: Gulliver et Lilliput? Ou Thésée et le Minotaure?
31 mars 2019

Programmation pluriannuelle de l’énergie : s’intéresser aux leviers autant qu’aux objectifs

Le gouvernement a fait connaître, en novembre 2018, ses orientations pour la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qu’il doit, en application de la loi de transition énergétique du 17 août 2015, publier tous les 5 ans, pour fixer les priorités de gestion des différentes sources d’énergie pour les deux périodes de 5 ans à venir. Il a publié, en janvier dernier un projet de PPE qui détaille tous les choix proposés.

Rappelons que la loi (article L 141-2 du Code de l’énergie) donne à la PPE des objectifs généraux : sécurité d’approvisionnement, amélioration de l’efficacité énergétique et baisse de la consommation d’énergie, en particulier d’énergie fossile, développement des énergies renouvelables mais aussi (la politique du « En même temps » ne date pas de l’ère actuelle) préservation du pouvoir d’achat des consommateurs et réduction du coût de l’énergie.

La PPE est un document soumis à évaluation (notamment de l’autorité environnementale) puis à consultation du public. Ces procédures sont en cours.

La PPE doit tout naturellement s’inscrire dans des objectifs quantifiés fixés, par ailleurs, par la loi (article L100-4 du Code). Ceux-ci sont, pour l’instant, dans l’attente de leur révision, les suivants :

1° Au titre des objectifs généraux : réduction des gaz à effet de serre (- 40 % à horizon 2030 et -75 % en 2050 par rapport à 1990), baisse de la consommation d’énergie finale de 50 % par rapport à 2012, avec une étape de -20 % en 2030, réduction des énergies fossiles dans la consommation énergétique primaire de – 30 % en 2030). Ces engagements se sont enrichis, lors de la présentation du plan climat de juillet 2017, d’un objectif de neutralité carbone en 2050 : la France vise désormais à cet horizon l’équilibre entre les émissions causées par les activités humaines et celles qui pourront être absorbées par les milieux naturels.

Parallèlement, des objectifs ont été définis dans le domaine de l’énergie : la loi indiquait que la part du nucléaire dans la production totale d’électricité devait passer à 50 % à horizon 2025 et que la part des énergies renouvelables devait atteindre en 2030 32 % de la consommation énergétique finale et 40 % de celle d’électricité.

Que contient le projet de PPE, qui porte sur les années 2019-2023 et 2024-2028 ? Il confirme, pour l’essentiel les orientations annoncées en novembre. Quels sont ses points de fragilité, ou, du moins, de débat ? S’agissant des évolutions du mix énergétique, le projet est ambitieux, peut-être irréaliste. Surtout, l’interrogation porte sur la capacité du pays à réduire sa consommation d’énergie et, partant, les gaz à effet de serre à hauteur des ambitions annoncées. La troisième inquiétude porte sur l’indécision fondamentale dont témoignent les choix sur le nucléaire. L’impression d’ensemble est que le document avance des paris, risqués mais après tout envisageables, sur l’évolution du mix électrique mais qu’il est fumeux sur l’essentiel, la réalisation effective de la stratégie bas carbone et les choix d’avenir de la filière nucléaire.

 Le contenu du projet de PPE : les objectifs

 Le PPE fixe, à horizon 2028, un objectif plafond de 227 millions de tonnes de tonnes de C02 issu de l’utilisation d’énergies fossiles : il devrait ainsi parvenir, à cette échéance à une réduction de 35 % de ces énergies (supérieure à l’objectif fixé, qui est de 30 % en 2030) et à une réduction d’ensemble de la consommation finale d’énergie de 7 % en 2023 et de 14 % en 2028, ce qui, en revanche, ne permettra pas d’atteindre l’objectif de la loi.

 Le bouquet énergétique évoluera par la fermeture des 4 dernières centrales à charbon en 2022, par le doublement de la production électrique due aux énergies renouvelables à horizon 2028 et par l’arrêt de 6 réacteurs nucléaires à ce même horizon, les deux réacteurs de Fessenheim dès 2020. Le gouvernement prévoit, comme annoncé, de reporter à 2035 l’objectif jusqu’ici fixé à 2025 de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans le mix électrique.

…et en complément un projet de loi.

 Le gouvernement a publié un avant-projet de loi sur l’énergie, nécessaire pour harmoniser le PPE et la loi. L’objectif de division par quatre des émissions de GES en 2050 est remplacé par l’objectif de neutralité carbone à cette date. L’objectif de réduction de la consommation d’énergie en 2030 est limité à 17 %. En revanche, le projet de loi augmenterait de 30 à 40 % la baisse prévue à cette échéance de la consommation d’énergies fossiles. Enfin, la loi entérinera le recul à 2035 de la baisse de la part du nucléaire dans le mix électrique.

 Une ambition excessive pour les EnR ?

L’ambition est très forte, sinon irréaliste, en ce qui concerne le développement des énergies renouvelables. Le document prévoit un doublement de leur capacité de production, qui passerait de 48 GW fin 2017 (hydraulique, éolien, solaire, méthanisation confondus) à 74 GW en 2023 et 102 à 113 GW en 2028. Il reconnaît qu’il va falloir accélérer fortement les projets et prendre des mesures de « simplification administrative » pour (singulièrement) réduire les délais de réalisation. Pour limiter les réticences de la population, il envisage de privilégier le photovoltaïque au sol sur des sites dégradés (friches industrielles, anciennes décharges) ou dans certaines régions moins peuplées (est, Jura…) et d’augmenter la puissance des éoliennes pour pouvoir réduire leur nombre. Reste que le nombre d’éoliennes devra passer de 8000 à 14 500, même en tenant compte d’une puissance accrue. Reste aussi que, pour réaliser le programme, les appels d’offre devraient se succéder au rythme de 7 par an entre 2019 et 2025. Le dossier de presse de la PPE trace un tableau très parlant des courbes de croissance passées et à venir des différentes énergies renouvelables : elles se cabrent en 2020. Le goulot d’étranglement de la PPE risque de se situer dans la contradiction entre des projets extrêmement volontaristes, une ingénierie publique en difficulté pour monter des projets et une population réticente.

2° D’autres inquiétudes s’expriment, notamment celle portant sur la totalité de la production d’énergie électrique à horizon 2028, compte tenu du maintien concomitant d’une grande partie du parc nucléaire et du développement des énergies renouvelables, et cela dans un contexte où les pouvoirs publics s’engagent à diminuer la consommation finale. Sauf erreur, à aucun moment le document PPE ne donne d’information sur la production d’énergie électrique qui ressortira de l’augmentation des capacités de production. Il n’évoque que la consommation. La France est déjà exportatrice de 60 TWH en 2018. Il n’est pas impossible qu’elle accroisse ses exportations. Dans un contexte où ce sont les finances publiques qui contribuent à développer la production d’énergie, il est loisible de s’interroger sur la cohérence d’un dispositif qui prévoirait une surproduction.

Quels moyens pour réduire la consommation et les émissions de GES ?

 Le document sur la PPE compte, pour réduire les GES et réduire la consommation finale d’énergie, sur la rénovation de 2,5 millions de logements, sur le changement de 1 million de chaudières fioul, sur l’amélioration des performances de chauffage des 9,5 millions de personnes chauffées au bois, sur la mise en circulation de 1,2 million de voitures électriques et la mise en place de 100 000 points de recharge publics. Pour être honnête, nul ne sait si ces chiffres, à supposer qu’ils soient atteints, « boucleraient » avec les objectifs annoncés de réduction des GES et de la consommation finale. En tout cas, les moyens pour atteindre ces objectifs sont succinctement décrits : il est question « d’améliorer drastiquement l’efficacité des moyens de chauffage », de « rénover de manière efficace 500 000 logements par an », d’améliorer la performance énergétique des véhicules. Le projet compte sur le dispositif des « certificats d’économie d’énergie » qui fait obligation aux fournisseurs d’énergie d’inciter leurs clients à des économies d’énergie. Il précise que « début 2020 » le dispositif, qui sera prolongé, sera redéfini, aucune précision n’étant donnée sur l’outil à mettre en place. « Des mesures seront instituées » pour remplacer les chauffages au charbon et au fioul et remplacer les anciennes chaudières au gaz. Après une phase d’incitation, une phase contraignante est prévue à partir de 2023. On ne saura rien de plus.

Or, s’il est important de s’intéresser au développement des énergies renouvelables électriques, le pétrole a une place décisive dans la consommation finale, 44 % en masse et 50% en coût en 2017, (source : les chiffres clefs de l’énergie, Commissariat général au développement durable, 2018). En 2018, le PPE prévoit une réduction de 35 % de sa consommation par rapport à 2012. Comment ? Rappelons que les transports comptent pour 29 % dans les émissions de GES et le bâtiment pour 19 % et que ces émissions ont augmenté de manière importante, pour les transports, de 15,6 % de 1990 à 2017, et pour les bâtiments, de 6,7 % depuis 2014[1]. Comment inverser ces tendances ? Comment aussi tenir compte, comme chacun l’indique, non pas seulement des émissions mais de l’empreinte carbone d’ensemble de la consommation des Français en tenant compte également des importations ?

Le PPE annonce de même des investissements importants (les chiffres varient selon les documents mais au final ils atteignent environ 360 Mds jusqu’en 2028) dont il attend manifestement une relance économique, une augmentation du PIB et des créations d’emploi (420 000 en tout en 2028), sans que l’on sache bien ce qui les provoque, qui les paye et qui en profite.  Les financements publics indiqués restent modestes : le surplus atteindrait 20 à 30 Mds supplémentaires sur la période mais les dépenses publiques augmentent moins, passant de 5 à 8 Mds annuellement jusqu’en 2025 et plafonnant ensuite, apparemment parce que d’anciens contrats couteux seraient terminés. Au final, pour le dire simplement, le document comporte des flots de chiffres sur l’évolution des mix énergétiques mais il est obscur sur les politiques à mener et les sources financières à mobiliser, tout étant fait pour suggérer que les dépenses publiques n’augmenteront pas et que l’économie profitera d’une transition finalement rentable, affirmations qui paraissent suspectes.

Enfin, le document prévoit explicitement de promouvoir un prix plancher du carbone dans tous les secteurs situés en dehors du marché européen des quotas et de mettre en place la taxe carbone, mais sans définir aucune trajectoire précise, ce qui dans un document de programmation, n’a pas de sens, même si l’on en comprend bien la raison.

Dans cette obscurité, la tentation est grande alors de regarder en arrière vers les bilans établis des politiques menées jusqu’ici. Saisi par le gouvernement d’une demande d’avis sur l’article 1 de l’avant-projet de loi sur l’énergie, le CESE (Conseil économique, social et environnemental) n’y résiste pas (voir son avis de février 2019) : il rappelle avec une certaine agressivité les retards pris sur les objectifs de réduction des GES et d’amélioration de la sobriété et l’efficacité énergétique prévus dans la loi de 2015. Il l’impute ce dernier retard à la faiblesse des financements publics et privés : une étude du think-tank I4CE[2],  réalisée dans le cadre du suivi de la loi, chiffre à 12 Mds par an les financements annuels manquants et à 45 Mds l’effort à faire aujourd’hui pour rattraper le retard. Ces données ne sont pas cohérentes avec celles du PPE.

Enfin, quelle politique du nucléaire ?

La rédaction du document est embarrassée : au-delà des réacteurs de Fessenheim, 2 réacteurs seront fermés en 2027 et 2028 « sauf… » (si la sécurité d’approvisionnement n’est pas suffisante, si d’autres réacteurs sont fermés pour raisons de sécurité) et 2 autres en 2025-2026 « à condition que … » (la sécurité d’approvisionnement soit assurée et les prix de l’électricité suffisamment bas). Un rapport sera donc remis sur ce sujet en 2022 et la décision sera prise en 2023.

Surtout, pour l’avenir plus lointain, le document affirme qu’il n’est pas possible, au-delà de 2035, de savoir ce qui sera le mix le plus performant, 100 % de renouvelables ou la relance de l’équipement nucléaire.  Un programme de travail va donc s’engager avec la filière d’ici mi 2021 pour construire (éventuellement ? Vraiment ?) un nouveau parc. C’est reconnaître que les pouvoirs publics ne savent pas très bien pourquoi ils souhaitent réduire la part du nucléaire d’ici là. Les questions de coût leur échapperaient (vraiment ?) et quant au risque présenté par le nucléaire, il n’en est pas question une seconde.

Dans un Policy Brief de février 2019 mentionné ci-dessus, Eloi Laurent, traitant le thème (plus large) de la transition écologique en France, indique que celle-ci ne manque pas d’ambition mais plutôt de leviers. Il dénonce la « logique déclarative » irréaliste des pouvoirs publics et demande que les objectifs soient désormais « encastrés dans la réalité », insistant sur le respect d’un triptyque « objectifs/problèmes/ instruments ». Le respect du public voudrait de plus que la PPE arbitre sur les décisions importantes et ne se contente pas de les annoncer.

Pergama, 24 mars 2019

 

Pergama propose une nouvelle note de lecture : elle porte sur l’ouvrage de Dominique Cardon, A quoi rêvent les algorithmes ? La République des idées, Seuil, 2015.

Cette note de lecture a été rédigée par Brieuc Levené.

 

[1] Voir les profils d’émission de GES de l’Observatoire climat énergie repris dans le Policy brief de l’OFCE du 21 février 2019, La transition écologique française, de l’enlisement à l’encastrement, Eloi Laurent.

[2] Panorama des financements climat, I4CE, 2018