Le mercredi 31 mars, le gouvernement a fait savoir, lors du débat sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République, que l’Observatoire de la laïcité, créé par Nicolas Sarkozy et mis en place par François Hollande, allait disparaître, remplacé par une administration de la laïcité, qui devra notamment former les fonctionnaires à la laïcité, et par un Haut conseil, en charge de conseiller le gouvernement.
La disparition de l’Observatoire est liée à la coexistence, de plus en plus conflictuelle, de deux conceptions de la laïcité : celle de l’Observatoire correspond à une laïcité « ouverte », qui, reprenant les termes et l’esprit de la loi de 1905, met l’accent sur la liberté de conscience et de pratique religieuse et sur la neutralité de l’Etat à l’égard des convictions religieuses. Une autre conception, qui semble bien désormais être celle du Président de la République et du gouvernement, considère que la laïcité est un outil de lutte contre le « communautarisme » (défini comme des pratiques spécifiques de groupes qui refuseraient l’appartenance à la communauté nationale). Elle permettrait de défendre l’universalisme et les principes de la République (notamment l’égalité entre les hommes et les femmes), que l’Islam – ou l’islamisme, on ne sait trop – mettrait en cause.
La laïcité s’est donc imposée dans le débat public récent parce qu’elle apparaît, de manière plutôt surprenante et par des raccourcis intellectuellement discutables, comme un moyen de lutte contre le supposé refus de s’intégrer des musulmans ou, du moins, d’une part d’entre eux (l’adoucissement évite d’être accusé de mettre en cause toute une catégorie de population) et, depuis les attentats de 2015, contre l’intégrisme islamique violent. La majorité de la population, qui adhère à de tels objectifs, est très favorable aux tenants de cette conception offensive. La loi confortant le respect des principes de la République s’en inspire.
Le choix gouvernemental de cette laïcité offensive n’est pas sans danger : outre qu’il ne s’agit plus là de laïcité proprement dite (on est vraiment en dehors des termes de la loi d’origine) ce choix divise, et les intellectuels au premier chef. Ceux qui défendent l’Observatoire et une laïcité d’apaisement et de neutralité de l’Etat sont accusés d’être les « idiots utiles » des Frères musulmans (c’est ce dont Caroline Forest, essayiste laïciste, accuse le Président de l’Observatoire de la laïcité). Parfois ils sont même présentés comme des complices des terroristes. Horresco referans, ils refuseraient « le droit au blasphème » (certains « laïcistes » parlent même de « devoir de blasphème »). Ceux qui revendiquent une laïcité de combat sont soupçonnés de frôler parfois de très près le rejet de l’Islam (ce qui n’est pas vraiment l’objet de la laïcité) et la xénophobie. Le débat est de plus instrumentalisé politiquement, avec l’espoir de récupérer les votes de droite, voire du RN, aux prochaines présidentielles : le ministre de l’Education nationale peut ainsi dénoncer la pente « fasciste » de l’UNEF ou une gauche qui « victimise » à tort les immigrés et leurs enfants et leur enseigne un « ressentiment » nocif. Le ministre de l’Intérieur, pour qui le communautarisme commence au rayon Halal des supermarchés, accuse une part de la gauche de détruire la République par son islamo-gauchisme et veut « soigner une France malade » (de quoi ?) avec le remède de la laïcité.
Dans une admirable prise de position (Le Monde, 9 avril 2021), le démographe François Héran rappelle avec simplicité que « respecter autrui, c’est aussi respecter ses convictions religieuses » ; que les discriminations sont répandues en France et qu’il n’est pas digne de traiter de « victimisation » la plainte de ceux qui en sont victimes ; que mieux vaudrait créer un Observatoire des discriminations que de démonter celui de la laïcité ; que dénoncer l’islamophobie, ce n’est pas nier les principes républicains mais demander à ce qu’ils soient effectivement appliqués ; que les ministres devraient avoir autre chose à faire que de s’occuper des querelles entre universitaires ; enfin qu’il n’y a pas plus de mal à se réunir entre femmes qu’entre personnes qui se sentent discriminées à cause de leur couleur de peau. L’intervention de F. Héran ne calmera pas le débat, puisque celui-ci fait partie d’une stratégie politique. Mais (humour) elle remet l’église au milieu du village…