Quand il était ministre de l’Éducation nationale, G. Attal a annoncé, le 5 décembre 2023, lors d’une conférence de presse, un « choc des savoirs », « pour élever le niveau de notre école », au moment même où étaient publiés les résultats de l’enquête PISA 2022 : l’opinion publique a disposé le même jour, à la même heure, du constat de forte baisse de la performances des élèves français et des solutions imaginées par un jeune ministre en poste depuis 4 mois.
S’agissant du collège, traditionnellement considéré comme le maillon faible du système, les mesures essentielles portent sur l’organisation des cours de mathématiques et de français en groupes de niveaux. A l’origine, ces groupes étaient qualifiés de « flexibles » ce qui laissait aux établissements le droit de ne pas les mettre en place de manière permanente et les faire évoluer dans l’année. L’arrêté paru au JO du 17 mars 2024 n’évoque plus ce terme : certes l’affectation des élèves peut évoluer mais la répartition en trois groupes (dont un au moins est un groupe de niveau puisqu’il regroupe, avec de faibles effectifs, « les élèves les plus en difficulté ») porte en principe sur la totalité de l’horaire. Ce n’est que par dérogation que les enseignements être dispensés en classe entière, au plus 10 semaines dans l’année. Par ailleurs, l’obtention du brevet devient une condition pour accéder à la seconde, alors que, jusqu’alors, les enseignants décidaient de l’orientation, le contrôle continu pour l’obtenir étant recentré sur les notes et non pas plus sur les « compétences acquises ».
Enfin, de manière plus générale, le redoublement, qui était devenu rare depuis que le constat avait été fait qu’il était inutile voire nocif, et cela pour un coût élevé, est réhabilité, dans le primaire (il est mis fin à la doctrine du « passage systématique en classe supérieure) et au collège, où la décision, qui appartenait aux familles, est rendue aux enseignants.
Les mesures prises n’appellent guère que des critiques, tant sur la méthode que sur le fond : les experts sont d’ailleurs unanimes à les dénoncer. Mais le but n’est probablement pas de réformer : il est de créer l’image politique d’un homme, fondée sur l’analyse que la France vire à droite et qu’il faut la séduire sur des valeurs d’autorité, d’exigence, de rationalité et de sélection, ou, du moins, sur leur apparence.
La réforme : les failles de la méthode
Si le but était de répondre à la crise du collège, les résultats PISA 2022 auraient mérité une véritable analyse. Les résultats placent la France au niveau de la moyenne des pays de l’OCDE dans les trois domaines évalués, mathématiques, compréhension de l’écrit et sciences. Cependant, dans un ensemble où les performances de tous les pays baissent, surtout en mathématiques et compréhension de l’écrit, la chute de la France est bien plus prononcée (- 21 points en mathématiques contre – 15 en moyenne, – 19 points contre -10). Comme lors des tests précédents, les écarts de performance en France sont beaucoup plus liés au statut social de l’élève que dans les autres pays. Comme, de plus, une proportion d’élèves immigrés (plus importante que dans d’autres pays) appartient aux catégories défavorisées, ces élèves atteignent de moindres performances que les autres. De plus, les élèves français sont nettement plus nombreux à penser que l’on ne peut pas développer son intelligence, plus nombreux à souffrir de l’indiscipline dans les classes, plus nombreux aussi à subir des violences at à ne pas se sentir soutenus par leurs enseignants. Les établissements français se plaignent davantage que les autres d’une pénurie de personnel enseignant. Enfin, les établissements français sont bien moins autonomes qu’ailleurs, et l’évaluation des enseignants n’est pas effectuée par le directeur de l’établissement mais externalisée.
Des résultats Pisa, le ministre ne semble avoir retenu que la mention des écarts entre les performances des différents élèves, à laquelle il apporte une réponse contestée. D’autres questions restent sans réponses : pourquoi le niveau des élèves français chute-t-il bien davantage qu’ailleurs ? Pourquoi les élèves ont-ils du mal à « formuler » des situations de manière mathématique ? Quid du problème des moyens ? De celui, récurrent, de la qualité pédagogique et du sentiment d’absence de soutien des élèves ? De la discipline et du maintien du calme dans la classe ? De la centralisation de l’autorité au ministère ? Le ministre exploite les résultats Pisa mais sans analyse d’ensemble.
S’agissant de la réforme prévue, la question des moyens n’est pas clarifiée. Si les « groupes » forts et moyens sont suffisamment nombreux, il n’y aurait pas besoin de moyens nouveaux, au prix toutefois d’une dégradation des conditions d’enseignement. Sinon, des dotations supplémentaires sont attribuées aux établissements : mais elles ne paraissent pas suffisantes et certains collèges devront sans doute renoncer à des demi-groupes créés dans d’autres matières (langues) ou à l’aide personnalisée. Et comment recruter les enseignants supplémentaires nécessaires, sachant que, pour le second degré général, plus de 1000 postes n’ont pas été pourvus au CAPES en 2023, pour une bonne part en mathématiques ?
Enfin, la réforme s’ajoute aux précédentes, sans concertation, comme l’expression d’un syndrome récurrent : l’État, à chaque changement de ministre, prend l’habitude de réformer, avec une ou deux mesures présentées comme décisives, un système complexe et en malaise profond. Ces mesures sont imposées uniformément, sans laisser aux enseignants leur part d’initiative et d’ajustement. Leur évaluation, quand elle est réalisée, est systématiquement décevante. L’impression est déplorable, aggravant l’image d’un système qui se dégrade et n’écoute pas son personnel.
Refuser le redoublement : les experts n’ont pas d’hésitation
Le retour à la pratique du redoublement, exceptionnel depuis un décret de 2014, possible en 2018 sur demande des parents, est une mauvaise décision. En 2015, une conférence de consensus du CNESCO sur ce sujet (l’ancien conseil national d’évaluation du système scolaire) notait que, dans quelques études, lorsque le redoublement était accompagné d’autres dispositifs de remédiation, notamment d’aide personnalisée, il pouvait avoir un effet positif. Pour autant, la majorité des études ne montrait pas d’effet sur les performances de long terme. En revanche, le redoublement avait toujours un effet négatif sur la trajectoire scolaire et était le meilleur déterminant du décrochage scolaire. Faire redoubler un élève est un signe, très négativement perçu, que l’année scolaire n’a rien apporté, que le bilan est zéro et qu’il faut tout recommencer, ce qui est la négation d’un vécu individuel où il existe nécessairement des acquis, même inégaux ou partiels. La conviction des chercheurs est que, face à l’échec scolaire, d’autres types de remédiation sont à utiliser, dont l’aide personnalisée ou même (on s’y retrouve) les « groupes de besoin ».
Sur les groupes de niveau, les avis des chercheurs sont clairs mais nuancés
Le rapport Pisa 2022 étudie l’efficacité, pour remédier aux inégalités, des « classes de niveaux » et des « groupes de niveaux ». Il constate que les classes de niveaux, qui regroupent des élèves de niveau homogène, aggravent les inégalités scolaires, parce que les enseignants adaptent leurs exigences et se contentent de moins. En revanche les regroupements par niveaux, quand ils ne concernent que certaines matières, sont jugés positifs, notamment pour les mathématiques. Cependant, quand il est interrogé sur ce constat, l’expert en éducation de l’OCDE, Éric Charbonnier, rajoute des précisions primordiales : les groupes doivent être « flexibles », éviter la stigmatisation, les enseignants doivent témoigner d’exigences identiques et adapter leur pédagogie. De fait, si ces conditions ne sont pas remplies, le groupe de niveau « enferme » l’élève exactement comme il le serait dans une classe de niveau faible où le niveau baisse. C’est bien ce que craignent les opposants à la mesure d’aujourd’hui : faute de différenciation pédagogique, faute d’implication particulière des enseignants, les groupes de niveau se traduiront par l’existence d’une « classe de niveau » permanente dans les matières principales et une ségrégation sociale accrue. L’école française, déjà très inégalitaire (Pisa le montre bien), le serait encore davantage. Et que dire de certaines classes ZEP, qui sont déjà, de par l’homogénéité sociale, des classes de niveaux à elles seules ?
La bonne solution serait, comme le soulignent certains pédagogues, de mettre en place, ponctuellement, sur telle ou telle compétence précise, des « groupes de besoin », où s’inscriraient les élèves qui n’ont pas compris une notion ou un type d’exercice spécifique. Ainsi, en Finlande, des groupes se mettent en place « au fil de l’eau », des enseignants réunissant, en dehors de leur classe, des élèves sur tel ou tel point du programme. De même, l’expérience anglaise des groupes de niveaux (cf. un article du Café Pédagogique sur la recherche internationale, 30 janvier 2024) montre que les groupes de niveau ne sont efficaces au Royaume-Unique que si les interactions changent entre l’élève et l’enseignant, lorsqu’il existe un effort de coopération entre les deux et non un face-à-face, lorsque les enseignements changent de méthode.
En France, les décideurs (voire des enseignants) sont indifférents à l’aspect qualitatif du métier de professeur, ce qui ôte aux réformes une grande part de leur efficacité : ils vont l’être encore plus si le message dominant porte sur l’effort, le respect de l’autorité, la barrière du diplôme et la nécessité de la sélection. La complexité, c’est moins vendable. Même si le terme n’est pas prononcé dans l’arrêté du 17 mars 2024, les groupes de niveaux français seront des groupes de niveaux, c’est tout, ni des groupes de besoin, ni des groupes d’expérimentation pédagogique.
Démagogie, démagogie…
Gabriel Attal est sans nul doute très content de son coup : il n’est probablement pas perturbé par le refus unanime du Conseil scientifique de l’Éducation nationale sur son plan ni par l’opposition de l’ensemble des syndicats (y compris le SNALC). Il travaille sur des signes : avec le retour de l’uniforme, il impose ainsi une marche arrière qui, pour une part des Français, signifie un accroissement bienvenu des exigences scolaires et la fin d’une école jugée sottement égalitariste, en mettant, par souci d’efficacité, les faibles avec les faibles, les forts avec les forts. Bien évidemment, sa réforme est vouée à l’échec : il n’en a cure. Elle sera populaire. Qui défend aujourd’hui les bienfaits de la mixité sociale ?
La majorité des enseignants n’y sera probablement pas hostile : lassés de tout, et surtout du manque de moyens et de la dépréciation de leurs métiers, ils ne sont nullement défavorables au redoublement ni même aux classes de niveaux, comme le montre un blog d’enseignant (Laurent Frajermann, Les enseignants et la réforme Attal). Ils voient dans la mixité des classes la source de la fuite des familles vers l’enseignement privé. Ils considèrent enfin que les chercheurs en éducation blablatent largement sur les questions pédagogiques et que les praticiens sont insuffisamment entendus. Ce qui les gêne ici, c’est la pénurie de moyens et de nouvelles contraintes, guère le fond.
Le propre du populisme, c’est de nier l’expertise, de mettre l’idéologie au-dessus de la vérité et de paraître s’appuyer sur le bon sens: la réforme de Gabriel Attal pourrait être mise à son crédit. Elle donnera peut-être un avenir à ce jeune opportuniste. Mais à ne pas traiter les problèmes, ils reviennent et empoisonnent la vie…
Pergama, le 19 mars 2024