Plusieurs textes parus en avril 2024 affichent la fin des ambitions écologiques en agriculture : le 3 avril, adoption en Conseil des ministres du projet de loi d’orientation agricole promis aux agriculteurs lors des manifestations de début d’année ; le 24 avril, vote par le Parlement européen du texte sur les mesures de « simplification » de la PAC ; enfin, en France, annonce en ce mois de mai du nouveau plan Ecophyto, censé diminuer le recours aux pesticides, avec un nouvel indicateur d’usage très contesté.
Que traduisent de telles décisions, qui reviennent toutes sur des « avancées » écologiques de naguère et ne respectent pas, de plus, les règles du « bien légiférer » ? Que nous disent-elles, en France, de l’évolution politique du « macronisme » et de son avenir et, en Europe, des partis du même groupe parlementaire ?
Des décisions qui ruinent des objectifs écologiques jusqu’alors encensés.
En France, le projet de loi d’orientation agricole peut paraître, à première lecture, un texte déclaratif sans intentions concrètes majeures. Certes, l’agriculture, la pêche et l’aquaculture sont qualifiées « d’intérêt général majeur » en tant qu’elles garantissent la souveraineté alimentaire de la France, mise au rang de ses intérêts fondamentaux. Pour autant, la définition de celle-ci est fumeuse : elle concerne la capacité du pays « à assurer son approvisionnement alimentaire dans le cadre du marché intérieur de l’union européenne et de ses engagements internationaux », en assurant à tous une alimentation saine, ainsi que la capacité à surmonter les crises qui mettraient en cause la sécurité alimentaire. On ne voit pas bien où mènent ces grandes phrases, sauf éventuellement, dans un débat juridique entre deux normes contraires, à faire prévaloir celle dont on considérera qu’elle favorise la souveraineté alimentaire, risque malgré tout marginal.
La loi entend, pour l’essentiel, favoriser la formation et l’installation des agriculteurs.
Elle répond, pour le reste, à des demandes corporatistes qui n’ont rien à voir avec l’intérêt général : un seul régime de gestion des haies, qui correspond davantage à la mise en place d’un guichet unique de demande dès lors que l’agriculteur veut arracher une haie, protégée ou non protégée, l’autorisation donnée pouvant le lui permettre à condition d’en planter une autre, ce qui, en termes écologiques, n’est absolument pas équivalent ; traitement accéléré des contentieux engagés sur des projets de retenues d’eau ou d’extensions de bâtiments d’élevage ; adaptation de la responsabilité civile des éleveurs qui utilisent un chien de troupeaux si celui-ci mord un promeneur ; allègement prévu par ordonnance des peines encourues en matière d’atteinte à l’environnement par les agriculteurs (atteinte à la conservation d’une espèce ou d’habitats naturels). Ces exemples permettent de mesurer la faible ambition du texte qui, par ailleurs, ne dit rien de l’adaptation de l’agriculture aux changements climatiques ni de l’amélioration du revenu agricole.
Le texte portant simplification de la PAC adopté par le Parlement européen touche davantage aux règles écologiques : il allège les principales « conditionnalités » prévues pour le versement des aides de la PAC (politique agricole commune), intitulées « Bonnes conditions agricoles et environnementales » (BCAE) : la BCAE relative au maintien des prairies permanentes, qui imposait le maintien d’un ratio surface agricole utile / prairies permanentes, dont le but était de protéger des zones de stockage du carbone, de biodiversité et de maintien des sols, est supprimée. La BCAE sur la rotation des cultures, qui imposait que chaque année la mise en culture de 35 % des terres arables soit différente de celle de l’année précédente, dont le but était de protéger le sol physiquement et chimiquement en réduisant, voire en éliminant, le traitement par pesticides, est supprimée et remplacée par une obligation de diversification des cultures peu contraignante, au niveau non plus de la parcelle mais de l’exploitation. Quant aux dispositions sur la couverture des sols l’hiver pour éviter l’érosion des sols, elles dépendront des États. Enfin l’obligation de laisser au moins 4 % des terres arables soit en jachère, soit en haies, soit en surfaces humides « non productives », est supprimée, à charge pour les États d’encourager financièrement cette pratique. Le paysage rural d’immenses champs désolés où sont épandus des masses d’engrais, sans un bocage, sans une mare, sans un oiseau, redevient légitime. Quant aux exploitations de moins de 10 ha, elles seront dispensées de tout contrôle et de toute sanction en cas de non-respect des règles de la PAC. Les agriculteurs désormais toucheront des aides sans obligation : certes cela simplifiera leur vie mais tout est fait pour que l’agriculture ignore la protection de la nature et des sols.
Enfin, en France, le nouveau plan Ecophyto publié en mai remplace, à la demande de la FNSEA, l’indicateur d’usage jusqu’alors utilisé, le NODU, par un autre, le HRI-1 : le NODU mesure l’évolution des surfaces traitées sur le fondement d’une dose de référence de toutes les substances commercialisées, dont aucune n’a une puissance équivalente. Le HRI-1 correspond à la masse des produits vendus en appliquant un coefficient multiplicateur arbitraire selon un classement de « gravité des risques pour la santé ». Le calcul du NODU, reconnu scientifiquement, est complexe, tardif et difficile à régionaliser. L’indicateur HRI-1 est quant à lui est peu fiable : les masses ne sont pas rapportées à des doses d’usage, le classement selon les risques est trop grossier et les coefficients multiplicateurs utilisés sont arbitraires. L’indicateur serait, selon une publication scientifique (Evaluation de deux indicateurs en fonction de la directive sur l’usage soutenable des pesticides, Hal science ouverte, 2024) très peu sensible aux baisses d’utilisation des substances faiblement dosées et très sensible aux évolutions de la réglementation : il est donc difficile à interpréter.
Le nouveau plan Ecophyto change ainsi ses cibles : certes, il maintient formellement l’ objectif de réduction de 50 % des pesticides des plans précédents, désormais pour 2030, sachant que ceux-ci n’ont jamais été atteints ; mais il cible en fait l’élimination des pesticides les plus dangereux, ce que reconnaît le ministre quand il évoque des « produits qui ne sont pas à risques », alors que, en réalité, tous le sont, même inégalement. Par ailleurs, le but affiché du plan est de « rechercher des alternatives », avec un financement prévu. Celles-ci existent déjà, mais elles demandent des changements de pratiques agricoles que nombre d’agriculteurs, il est vrai, jugent compliqués et coûteux. Vers quelles autres alternatives ira-t-on ? Des alternatives chimiques ?
Des textes d’opportunité, qui n’obéissent pas aux règles du « bien légiférer » et présentent des risques d’illégalité
Les textes mentionnés ci-dessus ont été parfois adoptés dans la précipitation. C’est le cas des modifications de la PAC : en quelques semaines, les mesures qui témoignaient des ambitions de « verdissement » de l’agriculture, déjà limitées, ont sauté. Le texte a été adopté sans concertation approfondie avec l’ensemble des partenaires et est dépourvu d’étude d’impact, ce qui ne respecte pas les prescriptions européennes. Une demande de parlementaires d’organiser un débat avant la séance de vote a été refusée.
Quant au projet de loi d’orientation agricole, l’avis du Conseil d’État met l’accent sur l’inanité ou la fragilité juridique de certaines dispositions : le Conseil ne voit pas la nécessité de garder la définition de la souveraineté alimentaire telle qu’elle est proposée ; il ne comprend pas l’assimilation de la souveraineté alimentaire aux « intérêts fondamentaux de la nation » ; il se moque de la dénomination « bachelor » du nouveau diplôme bac + 3 ; il souligne que l’obligation des agriculteurs de faire part de leur intention de cesser leur exploitation 5 ans avant leur départ pour gérer la transmission ne pourra être respectée et juge que cette disposition porte une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre ; il propose de modifier le nouveau régime de gestion des haies qu’il juge obscur et excessivement durci ; il est d’avis que l’accélération des contentieux sur les retenues d’eau ou certains équipements agricoles n’est pas opportune et présente des risques d’inconstitutionnalité.
Surtout, les mesures prises témoignent de plus en plus clairement du divorce entre la politique suivie et les scientifiques. Il est vrai que les différences d’appréciation étaient déjà patentes sur les pesticides et l’appréciation de leur dangerosité. Sur l’abandon de l’indicateur NODU, les experts s’insurgent. Par ailleurs, si le Haut conseil pour le climat a fait paraître, en janvier dernier, un rapport qui s’inquiète de l’évolution des secteurs agricole et alimentaire, ce n’est pas tout à fait un hasard : le Haut conseil souligne l’importance des émissions du secteur (22 % avec l’alimentation), la perspective d’une baisse des rendements agricoles avec le réchauffement, la nécessité d’une stratégie de changement dès lors que le système actuel est un frein à une agriculture « bas carbone ».
Enfin, les manifestations paysannes de l’hiver demandaient certes des simplifications administratives et l’allègement des normes mais surtout des mesures d’amélioration du revenu. La réponse pour l’instant ne porte que sur les normes : elle satisfait pleinement les grosses exploitations que représente la FNSEA. Mais quid des autres ?
L’évolutions du macronisme au Parlement européen
Au parlement européen, la droite (Les Républicains), voire une petite partie de l’extrême droite ont voté la PAC mais n’ont accepté ni la stratégie Farm to Fork (l’adaptation du Green deal au secteur agricole, avec un engagement de réduire l’usage des pesticides) ni la loi sur la restauration de la nature ni les projets de textes sur les pesticides. En revanche, les macronistes de Renew ont voté en faveur de tous ces textes : ce sont eux qui aujourd’hui se déconsidèrent en renonçant aux dispositions de ces textes en faveur du respect de la nature.
Certes, la politique européenne, dans les domaines climatique et agricole, a de lourdes faiblesses. Ainsi, les politiques menées par l’Europe en ces domaines ne sont pas intégrées. La PAC adoptée en 2021 n’était pas cohérente avec le Green deal ni avec la stratégie F to F. Les dispositions de la PAC en faveur du « verdissement » n’ont jamais été suffisamment efficaces. Certaines politiques correspondent à un catalogue d’objectifs ou d’obligations sans mise en place d’une politique d’ensemble permettant d’aider à les atteindre : ainsi, pour atteindre les objectifs du green deal dans le domaine agricole, il faudrait que l’alimentation évolue fortement. Mais au lieu de lutter contre ces contradictions internes et ces faiblesses, c’est l’abandon qui prévaut : l’on peut être légitimement inquiet sur les conséquences de moyen et long terme de ce renoncement. La droite exploite son avantage et crie à « l’écologie punitive » : c’est le vote de la loi sur la restauration de la nature qui a sans doute marqué un tournant en 2023 (la droite a dénaturé le texte, adopté à une faible majorité) ainsi que le projet de texte sur la réduction des pesticides, qui a dû être abandonné.
Depuis lors, le choix du gouvernement Macron, au niveau national comme au niveau européen, est de s’aligner sur les positions de la droite et de la droite extrême, dans l’espoir de reconquérir les voix captées par le Rassemblement national chez les agriculteurs, les petites classes moyennes et les ouvriers.
A agir ainsi, le macronisme se perd : dérivant par démagogie vers la droite de manière caricaturale, il perd ce qui a un temps fait son succès, l’union des modérés qui entendait relativiser le clivage gauche/droite et réconcilier plusieurs électorats face à des partis idéologiquement polarisés et incapables de dialogue et de nuances. L’analyse de la Fondation Jean Jaurès (La spectaculaire rétraction du macronisme, G. Finkelstein, mars 2024), qui souligne en 2024, pour Renew, la très forte proportion d’électeurs très âgés, la relative désaffection des jeunes et l’abandon d’une grande part de ceux qui ont voté Macron au premier tour des présidentielles (20 % partiraient à gauche et 20 % à droite) semble annoncer l’échec de cette stratégie électoraliste, déjà tentée par Sarkozy dans la décennie 2010.
De plus, au moins s’agissant de la transition énergétique (l’on ne dispose pas d’étude sur l’avis des populations sur la transition agricole), le macronisme (et les modérés au Parlement européen) font fausse route en pensant que les préoccupations écologiques ne sont vues par la population que comme une gêne dont il faut se débarrasser : l’étude commandée par Engie et la Fondation Jean Jaurès (Perception de la transition énergétique dans différents pays d’Europe, CSA, avril 2024 ) montre que, en ce domaine, tout en jugeant l’évolution fragile et les objectifs affichés difficiles à atteindre, la population française souhaite à 91 % progresser mais, à 44 %, prudemment. Ce sont les partisans d’une évolution précautionneuse que le macronisme abandonne en se ralliant à des mesures censées avantager une corporation sans être compatibles avec l’intérêt général. En période d’adversité, il faut proclamer ses valeurs et sa différence, reconstruire des politiques publiques cohérentes et progressives, pas copier la meute en espérant que les enragés qui la suivent vont voter pour vous.
Pergama le 7 mai 2024