Les partenaires sociaux (ou du moins les trois organisations patronales d’un côté, la CFDT, FO et la CFTC de l’autre) viennent de ratifier trois ANI (accords nationaux interprofessionnels) sur lesquels ils s’étaient entendus le 14 novembre dernier : il en résultera une nouvelle convention d’assurance chômage applicable au 1er janvier 2025, et peut-être, si le gouvernement l’accepte (et s’il y a un gouvernement en 2025 pour s’en saisir !), de nouvelles règles sur l’emploi des seniors ainsi qu’une modification des ordonnances travail de 2017, qui mettrait fin à la limitation à 3 du nombre de mandats des représentants du personnel.
L’accord est important pour les choix de fond qu’il comporte mais, à vrai dire, il l’est surtout pour le changement d’attitude de l’État à l’égard des partenaires sociaux et le revirement dont il témoigne sur la gestion de l’assurance chômage.
Sur le contenu, la nouvelle convention d’assurance chômage 2025 (elle vient d’être agréée par le gouvernement démissionnaire en charge de la gestion des affaires courantes) ne comporte pas de mesures révolutionnaires. Elle génère des économies : le montant de celles-ci a été chiffré à 1,7 Mds en régime de croisière. Toutefois, les mesures comportaient à l’origine une baisse de l’indemnisation des frontaliers à laquelle le texte final a dû renoncer parce qu’elle était sans doute inconstitutionnelle : de ce fait, les économies réalisées seront sans doute moins importantes que prévu.
Le texte prévoit l’abaissement de 6 à 5 mois, pour les saisonniers et les primo-accédants, de la durée de travail effectuée dans les 24 mois précédents nécessaire pour être indemnisé ; l’abaissement à 55 ans au lieu de 57 de la dispense de la dégressivité appliquée aux indemnisations pour les hauts revenus ; il s’adapte à la réforme des retraites : il prévoit un recul de 2 ans, à 55 et 57 ans, de l’âge qui permet l’allongement de la durée d’indemnisation et, corrélativement, le recul progressif à 64 ans de la possibilité de voit se poursuivre l’indemnisation pour les demandeurs d’emploi âgés jusqu’à ce qu’ils puissent prétendre à une retraite au taux plein ; il prévoit la baisse du plafond de cumul entre l’allocation chômage et les revenus tirés d’une création d’entreprise et la mensualisation à 30 jours du versement de l’allocation (c’est une diminution sur l’année) ; enfin une cotisation exceptionnelle décidée en 2017 de 0,05 % des employeurs et qui devait à l’origine être abrogée en 2020 est supprimée.
Sur l’emploi des seniors, l’ANI crée, pour les demandeurs de 60 ans et plus, un contrat de valorisation de l’expérience, avec possibilité de cumul de l’allocation chômage et du salaire, contrat de travail que l’employeur pourrait rompre lorsque le salarié atteint l’âge légal de retraite. De plus la retraite progressive sera accessible dès 60 ans au lieu de 62 ans. Ces dispositions sont très modestes, en tout cas ne créent pas de droit nouveau. Une loi sera nécessaire pour les mettre en œuvre, de même que la loi existante devra être modifiée pour abandonner la limitation du nombre de mandats des représentants du personnel.
Ces textes témoignent donc plutôt d’une adaptation au contexte que d’un progrès social. Cependant, chacun a salué une sorte de retour au dialogue social et c’est sans doute en cela que la validation du texte présente une réelle importance.
L’assurance chômage, traditionnellement définie par convention négociée par les partenaires sociaux et agréée par l’État sur des critères formels de conformité à la loi, a en effet été une cible sous la présidence Macron. Ce dernier considérait que la fixation des règles en ce domaine devait relever de l’État : il voulait faire de l’assurance chômage un outil de la politique de l’emploi, notamment en limitant les droits des demandeurs d’emploi pour les inciter à reprendre un emploi le plus rapidement possible.
L’outil utilisé a été la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018, qui donne à l’État le droit, avant toute négociation conventionnelle sur le régime d’assurance chômage, d’établir un « document de cadrage » portant sur la trajectoire financière souhaitée du régime et sur l’évolution de ses règles. La compatibilité de la convention avec la lettre de cadrage est alors devenue une condition de l’agrément de l’État. La négociation organisée en 2019 entre les partenaires sociaux ayant échoué à respecter ce cadrage, l’État a repris la main et défini de lui-même les règles applicables : celles-ci correspondaient un durcissement sévère des conditions d’obtention des droits, du calcul de l’allocation, parfois de la durée de versement, enfin des sanctions applicables en cas de manquement des demandeurs d’emploi à leurs obligations.
Fin 2023, les partenaires sociaux ont négocié et signé un nouveau texte conventionnel d’assurance chômage pour une entrée en vigueur début 2024. Le gouvernement a différé l’application de ce texte puis lui a refusé son agrément en mai 2024, au motif qu’il ne respectait pas le cadrage financier fixé par l’État. Le Premier ministre G. Attal a alors annoncé une nouvelle réforme de l’assurance chômage décidée unilatéralement par l’État, durcissant encore les règles d’indemnisation. L’application de la réforme a été suspendue par la dissolution de juin 2024 de l’Assemblée nationale.
C’est en octobre 2024, dès sa nomination, que le Premier ministre M. Barnier a demandé aux partenaires sociaux de négocier à nouveau, en leur imposant toutefois un cadre financier d’économies au moins égales à 400 millions par an. Pour des raisons juridiques et symboliques, le texte se présente comme un avenant à la convention signée de 2023. En ce domaine, M. Barnier a désavoué son prédécesseur (le décret définissant l’assurance chômage, suspendu par la dissolution, a été abandonné) et quelque peu bravé le Président, acceptant de respecter le cadre traditionnel des négociations nationales interprofessionnelles paritaires. Les partenaires sociaux quant à eux ont considéré, pour reprendre l’expression de la CFTC, qu’ils avaient « une obligation sociale et morale de parvenir à un accord », pour éviter des projets étatiques plus restrictifs. Les partenaires sociaux semblent ainsi avoir reconquis leurs droits, même si le cadrage de l’État perdure, qu’un gouvernement moins bienveillant pourrait à nouveau durcir.