Le ministre en charge de la réussite scolaire (aujourd’hui en charge des affaires courantes), A. Portier, ancien conseiller de L. Wauquiez, n’a pas voulu s’en tenir à cette mission qui aurait dû lui prendre tout son temps. Sortant de sa zone de compétence, il a déclaré, le 27 novembre dernier, avec une ferveur farouche, que, dans sa version actuelle, le futur programme d’éducation à la vie sexuelle et affective destinée aux élèves de la maternelle au lycée n’était pas acceptable parce que « la théorie du genre n’avait pas sa place à l’école ». En fait, une campagne de dénigrement sur ce thème avait été engagée plusieurs jours auparavant, alors même que le programme n’était pas encore public : le ministre a répété ce qu’un organe de presse, le JDD, a « révélé », qui soutenait que, dans ce projet de programme, « les questions d’identité de genre et d’orientation sexuelle tenaient une place importante », indiquant même que les familles étaient en droit « de promouvoir auprès de leurs enfants une autre vision de la sexualité que celle qui est valorisée par l’État ». L’État serait donc une sorte de suppôt de Satan, qui, pour des raisons mystérieuses (où est son intérêt sauf la dépravation des élites ?), orienterait subrepticement les enfants vers des choix sexuels sans doute contre-nature, tandis que les familles réclameraient le droit de pouvoir les orienter vers une sexualité saine, naturelle et de bon aloi. Les articles de presse se sont multipliés pour en débattre : on ne calomnie jamais complètement en vain et il y a toujours un peu de buzz quand on agite ces menaces.
Deux expressions sont utilisées pour faire peur : la théorie du genre (et même « la théorie du genre dès la maternelle » !) et l’identité de genre.
L’expression « théorie du genre » a déjà été utilisée en 2014 lors d’une campagne de rumeurs malveillantes qui avait pour but de déshonorer la ministre alors en charge de l’Éducation (Najat Vallaud-Belkacem) : la ministre aurait imposé aux enfants des écoles un enseignement selon lequel les différences sexuelles entre filles et garçons n’étaient nullement évidentes, voire n’existaient pas (le genre serait une pure construction sociale) et qu’il leur fallait choisir leur sexualité, et pourquoi pas alors l’homosexualité ou la bisexualité. Bien évidemment, il n’y avait dans la réalité vraie aucune trace de cette manipulation supposée, qui a effrayé quelques familles crédules. Aujourd’hui le programme d’éducation proposé est très respectueux des enfants et des adolescents auxquels il s’adresse et la gradation des sujets abordés (en maternelle et en primaire, la découverte des émotions et des sentiments, la relation à autrui, la confiance, le corps, l’intimité, la famille, au collège et au lycée, les transformations du corps, la relation avec autrui puis la sexualité à partir de la 4e) donne un sentiment de prudence et d’attention. La « théorie du genre » est un fantasme de personnes détraquées hantées par le sexe « déviant » ou manipulatrices.
L’identité de genre en revanche est une notion juridique précise, qui est intégrée dans le droit français des discriminations comme elle l’est dans celui d’autres États et dans le droit international. L’identité de genre, comme l’âge, l’origine, la santé ou l’apparence physique est mentionnée comme une des causes de discrimination prohibée (article 225-1 du Code pénal): elle recouvre la dissociation ressentie entre le sexe biologique et le sexe vécu par l’individu. Le programme d’éducation à la vie sexuelle et affective (destiné aux enseignants) mentionne le terme, sauf erreur, deux fois : il l’utilise pour parler des objectifs de l’enseignement délivré en classe de troisième, lorsque sont abordées les discriminations puis, s’agissant de l’enseignement en terminale, dans le thème « la liberté d’être soi » : il n’y a aucun prosélytisme, juste l’apprentissage de l’acceptation des autres, qui ont le droit d’être différents, et l’affirmation de sa propre liberté. Ce serait au demeurant surprenant de ne pas évoquer les discriminations et l’homosexualité devant des élèves de 13, 14, 16 ou 17 ans.
Bien loin des craintes attisées par l’extrême-droite, ce qui frappe dans la lecture du programme, ce sont trois orientations essentielles : la première, c’est la volonté de protéger les enfants et les adolescents et donc le souci de leur parler de situations déplaisantes, voire à risque. Dans ce cadre, aux petits, on apprend notamment le droit à l’intimité, on débat de l’adulte de confiance, celui avec lequel on se sent à l’aise et à qui on peut se confier, et de la possibilité d’exprimer ses émotions ; avec les enfants plus grands, on évoque le harcèlement, le droit d’exprimer ce qui est désagréable et intrusif ; aux adolescents, on parle connaissance de soi-même, consentement, analyse et caractérisation des situations problématiques.
Deuxième axe évident, l’acceptation des différences, y compris en ce qui concerne la notion de « famille » : l’on devine que c’est ce point que les traditionnalistes n’acceptent pas : mais c’est pourtant la réalité que voient les jeunes.
Enfin, et c’est là sans doute ce que le JDD et le ministre ne supportent vraiment pas, on parle du genre, on parle des différences entre filles et garçons, on parle d’égalité et on parle des stéréotypes : pourquoi des jouets différents ? Quelle place des filles dans la société ? Plus tard, quel rôle ? Ce sont ces orientations qui font du programme un peu plus qu’un programme d’éducation à la vie sexuelle et qui ont font le prix.
Bien évidemment, ce que veulent les « catho-tradi », c’est que l’école n’aborde aucun de ces sujets et les laisse à la famille. L’école, ce n’est pas une réflexion sur la société ou sur les relations à autrui, l’école c’est lire, écrire et compter et les parents devraient avoir le monopole du reste. Mais ce qui les choque surtout, c’est l’affirmation de l’égalité entre hommes et femmes. Dès que l’on parle de lutte contre les stéréotypes, ils traduisent « théorie du genre » et orientation forcée vers des déviances. Mais comment parler consentement, droit de dire non, liberté personnelle et lutte contre les discriminations si l’on n’a pas auparavant réfléchi à l’image toute faite de la femme ? Le genre n’est sans doute pas seulement une construction sociale mais un peu quand même…
Au secours, le programme parle du genre !! Mais justement, c’est le sujet…