Revenir au cumul des mandats ou s’inquiéter de la déconnexion des élus?

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Revenir au cumul des mandats ou s’inquiéter de la déconnexion des élus?

Le 16 décembre, depuis son fauteuil de maire, le Premier ministre F. Bayrou a affirmé qu’il faudrait revenir sur l’interdiction du cumul des mandats, imputant à cette mesure la défiance et l’éloignement des citoyens par rapport au politique. Cette question lui apparaît comme suffisamment importante pour qu’il envisage de l’aborder dans sa déclaration de politique générale.

Depuis la loi organique du 5 avril 2000, le mandat de député ou celui de sénateur est devenu incompatible avec l’exercice de plus d’un mandat local. En outre, deux lois du 14 février 2014 qui datent de plus de 10 ans, entrées en vigueur en 2017, tout en permettant le cumul avec un mandat local simple, ont interdit à un parlementaire français et européen d’exercer simultanément une fonction de chef ou d’adjoint au chef d’un exécutif local (maire et maire-adjoint, Président et Vice-président de Conseil départemental…). Ce cumul entre mandat parlementaire et exécutif local était alors très répandu et concernait en 2014 près de 60 % des députés et des sénateurs.

Le débat se pose sous plusieurs angles. D’abord celui du conflit d’intérêt. C’est sans doute moins vrai pour les parlementaires que pour les membres du gouvernement, qui peuvent être tentés d’utiliser indûment l’autorité dont ils disposent. Or, aucune règle n’impose aux ministres de ne pas exercer un mandat local. Le rapport Sauvé de 2011 Pour une nouvelle déontologie de la vie publique proposait que soit proscrit tout cumul entre la fonction de ministre et un mandat exécutif local. Le gouvernement s’est contenté en 2012 d’inscrire dans une Charte de déontologie que les ministres devaient renoncer à leurs mandats locaux, ce qui n’a pas empêché le Ministre de la Défense de F. Hollande d’être, de 2015 à 2017, président de Région.

Le non cumul au demeurant ne serait pas la panacée pour empêcher le favoritisme. S’agissant des parlementaires, « cumulards » ou non, ils sont tous attentifs aux répercussions locales des politiques publiques sur lesquelles ils se prononcent. Une étude (L’interdiction du cumul des mandats est un impératif mais ne surestimons pas ses effets », La Revue parlementaire, n° 944, 2012) indique ainsi qu’il n’existe pas de différences de pratiques entre les parlementaires, qu’ils cumulent leur mandat parlementaire avec un mandat local ou pas. Tous ventilent leur temps de manière identique entre le Parlement et le terrain et tous expliquent, qu’on s’en désole ou qu’on juge cela normal, que leur première préoccupation est l’intérêt de leur circonscription. En tout état de cause, la crainte que les parlementaires ne soient, en cas de non-cumul, déconnectés des réalités locales, peut être récusée.

Les arguments en faveur de l’interdiction du cumul sont forts toutefois et ne sont plus aujourd’hui remis en question : difficulté d’assumer réellement des fonctions prenantes, car décisionnelles et parfois techniques, difficulté à bien gérer le temps et, de ce fait, risque d’absentéisme ou de survol des questions. Quand le premier ministre, qui n’a même pas encore constitué un gouvernement ni tranché sur le projet de loi de finances 2025 qu’il va présenter, consacre une demi-journée à ses fonctions de maire, il apporte la preuve que le cumul des mandats n’est pas admissible, même quand il est permis. La France attend que Pau ait réglé ses petites affaires…

 Au-delà, le cumul favorise la professionnalisation de la vie politique, ce qui emporte des inconvénients majeurs. Certes, l’on peut faire valoir que le mandat électif, local ou national, requiert des compétences, un apprentissage, voire une formation et que les nouveaux venus en provenance de la société civile ne s’y débrouillent pas bien. Mais trop de parcours d’élus se ressemblent, qui n’ont jamais connu le monde du travail ordinaire (l’ascension politique prend du temps) : ils ont gravi les échelons d’un parti en se mettant au service d’un élu avant de tenter eux-mêmes l’élection, ou bien ont commencé par une élection locale avant de devenir député. Certains, passés par les cabinets ministériels, grimpent plus vite. Le monde politique offre ainsi des carrières « réservées » à des personnes qui s’inquiètent avant tout d’avoir l’investiture du parti et de plaire à ses caciques, qui ont réponse à tout mais parfois une culture politique et économique insuffisante.

L’inconvénient majeur de la professionnalisation des politiques, c’est que la « classe politique » s’isole des électeurs, dont elle ne partage pas les préoccupations, même si elle les rencontre dans ses permanences. En période de crise politique, cet éloignement se voit : les partis et leurs leaders privilégient aujourd’hui, sur l’intérêt du pays, des préoccupations de carrière (en particulier on les voit faire leurs calculs pour les présidentielles de 2027), ou des querelles d’ego. Les appartenances purement partisanes l’emportent contre tout bon sens : le RN (déclaration de J. Bardella avant les élections législatives) a refusé d’envisager de gouverner s’il n’avait pas la majorité absolue (c’est certainement plus facile de régner que de gouverner). LFI, dès qu’il a compris l’éclatement de l’Assemblée nationale, a proclamé : « tout mon programme et rien que mon programme », avouant sans fard la hiérarchie de ses préoccupations. Aujourd’hui LR ne sait pas trop s’il acceptera de participer au gouvernement Bayrou, alors qu’ils sont politiquement proches, et les socialistes interdisent à leurs membres de participer à un gouvernement dont le Premier ministre ne serait pas issu du parti auquel ils appartiennent. Surtout, pas de compromis ! Pas de souplesse ! Ne pensons pas à sortir de la crise ! L’on peut gager que, dans les prochaines enquêtes d’opinion, la conviction des Français sur le fait que les élus « agissent principalement pour leur intérêt personnel » et « sont déconnectés de la vie réelle » va encore se renforcer.  F. Bayrou devrait redescendre sur terre et regarder en face sa relation avec les citoyens au lieu de mener des combats d’arrière-garde qui n’intéressent qu’une poignée de vieux élus carriéristes.