La Cour des comptes a entrepris, à la demande de la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, d’établir un bilan des politiques publiques en faveur de l’industrie française de 2013 à 2023 (soit les quinquennats de F. Hollande et d’E. Macron), ce qui permet aussi de dresser un état des lieux des forces et des faiblesses de cette activité, dont les pouvoirs publics souhaitent le développement depuis que le rapport Gallois de 2012 en a déploré le déclin.
Quelle est la situation et quelle est la part de l’industrie (biens manufacturiers, extractions, production d’énergie, assainissement et gestion des déchets) dans la valeur ajoutée du pays ?
De 2000 à 2010, la France a connu une forte diminution de cet indicateur, la part de l’industrie passant de 19 à 14 % du PIB. La baisse a démarré dès les années 70. Si tous les pays du monde ont connu une diminution de la contribution de l’industrie à la richesse nationale (gains de productivité, externalisation et éclatement de la chaine de production, place grandissante des pays émergents), le rythme de décroissance en France a été plus prononcé qu’ailleurs. Entre 2011 et 2019, la part de l’industrie dans le PIB s’est stabilisée à 14 %, montant même à 15 % en 2023 en raison du coût de l’énergie et du redémarrage du nucléaire après la baisse de 2022. Dans cet ensemble, la part de l’industrie manufacturière oscille entre 10 et 11 %.
Aujourd’hui, la France est la 3e puissance industrielle en Europe, après l’Allemagne (24,5 % du PIB en 2023) et l’Italie (20,4 % du PIB). Pour autant, elle est en perte de vitesse : la valeur ajoutée industrielle a connu en France une croissance de 20 % de 2000 à 2019, celle de l’Allemagne a été de 61% et celle de l’Italie de 28%. La diminution de la part de la France dans les exportations industrielles européennes comme la dégradation du solde commercial de l’industrie française dans les échanges intra européens témoignent également d’une tendance défavorable.
Toutefois, la baisse de l’emploi industriel a cessé à partir de fin 2017. Après une diminution ponctuelle en 2020, l’emploi salarié dans l’industrie continue d’augmenter et a dépassé fin 2021 le niveau atteint avant la crise sanitaire. La part de l’emploi industriel, qui se stabilise en 2023 autour de 10 % de l’emploi total en France, reste cependant nettement plus faible que celle de l’Italie (17 %) et de l’Allemagne (18 %). L’activité industrielle se concentre dans les grandes entreprises ou dans les entreprises de taille intermédiaire, certains groupes ayant une forte activité à l’étranger (ce qui encourage les délocalisations).
L’industrie française souffre d’un écart grandissant de compétitivité avec celle des autres pays. Il s’agit moins de compétitivité coût, dont l’impact est discuté, que de compétitivité « hors coût » : son positionnement de gamme est inférieur à celui de l’Allemagne (41 % des exportations dans le « haut de gamme » contre 51 % pour l’Allemagne), ce qui ne s’explique pas par un niveau d’investissement qui serait plus faible (la cause est difficile à établir) ; les compétences de la population sont insuffisantes et l’industrie souffre de difficultés de recrutement ; l’investissement dans la recherche est trop bas.
Quelle est la politique suivie par les pouvoirs publics ? La baisse des charges sociales décidée en 2013-2014, avec la mise en place du CICE, crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi a profité à l’industrie, en rapprochant le coût horaire de la main d’œuvre de celui de l’Allemagne. Cependant, comme mentionné ci-dessus, les coûts ne sont sans doute pas le principal problème de l’industrie française. De même, à compter de 2017-2018, la charge fiscale des entreprises a baissé, la France passant d’un taux moyen effectif de prélèvement de 35 % à un taux de 25 %. Reste que la réforme des impôts de production, qui pénalisent tout particulièrement l’industrie, n’est pas achevée et que l’on ne sait si elle le sera.
En définitive, ces politiques, coûteuses pour l’État, ont assez peu bénéficié au secteur industriel. Elles ne l’ont pas privilégié : sur la période 2012-2020, 14 % des dépenses fiscales et 13,6 % des exonérations sociales ont bénéficié au secteur industriel alors même que cette politique de l’État a été plaidée au nom du renouveau industriel du pays.
Cependant, sur la période, l’industrie a bénéficié d’autres aides, qui ont augmenté à partir de 2020. Le montant moyen annuel des aides perçues au titre de différents plans additionnées aux aides sociales et fiscales a été, de 2012 à 2019, de 21,7 Mds / an, somme passée à 34,8 Mds pour la période 2020-2022. Les aides fiscales et sociales en représentent les 2/3 mais le tiers restant (subventions, prêts, prises de participation, soutien au commerce extérieur) a apporté des financements accrus pour la formation et le développement des compétences, la recherche (l’industrie est le secteur qui bénéficie le plus du Crédit impôt recherche), la baisse du coût de l’énergie ou les mesures de soutien à tel ou tel secteur. Les investissements de BPI France en fonds propres ont également augmenté sur la période récente.
Cependant, s’agissant des aides transversales, la Cour juge que l’assiette du crédit impôt recherche devrait être ajustée au nom de l’efficacité des dépenses publiques (nombre de rapports d’évaluation soulignent un gaspillage de cette aide, en particulier celle versée aux grandes entreprises). S’agissant des multiples plans de soutien à l’industrie qui se sont succédés de 2012 à 2022, la Cour juge leur bilan peu concluant. Leur ciblage est insuffisant et les instruments retenus peu efficaces, à l’exception de certains secteurs, où la politique de l’État a été claire et continue. Les programmes d’investissements d’avenir mis en œuvre entre 2010 et 2019 ont eu un impact limité sur l’industrialisation. Le plan France 2030 est critiqué pour son saupoudrage.
Que recommande la Cour ? D’abord de définir une stratégie industrielle avec des priorités stables, en définissant clairement les enjeux poursuivis. Il est illusoire de poursuivre tous les objectifs à la fois : parfois l’innovation ne profite pas à l’emploi, parfois la relocalisation est trop coûteuse et il vaut mieux recourir à des alternatives, parfois la décarbonation conduit à augmenter l’importation de produits carbonés. La Cour demande que les finalités soient clarifiées et assumées. Ainsi, elle juge que l’ambition de porter à 15 % la part de l’industrie dans le PIB en 2030 est déraisonnable. Enfin, la politique industrielle doit prendre toute sa place dans la politique de formation, de rénovation énergétique et de protection de l’environnement, la coordination devant être renforcée sur des problématiques transversales communes.
Sur le fond, la Cour conseille de définir les domaines à encourager et les instruments à mettre en place en s’inscrivant dans le cadre européen, notamment le programme Horizon Europe, afin de bénéficier au maximum du soutien européen. En particulier, le mécanisme des PIIEC (projets industriels d’intérêt communautaire), qui encadre le recours aux subventions nationales pour s’assurer que les investissements productifs subventionnés répondent à des besoins stratégiques, est un cadre à utiliser, notamment pour éviter de se disperser. Les domaines cités dans le rapport Draghi, matières premières critiques, santé, numérique, agroalimentaire et énergie sont à privilégier.
La Cour préconise également de mettre en place un système d’indicateurs permettant de suivre l’efficacité de la mise en œuvre de la stratégie ainsi définie, en soulignant que ces indicateurs peuvent différer selon les secteurs industriels parfois disparates et que les impacts territoriaux sont à prendre en compte dans l’évaluation.
Le rapport de la Cour des comptes, qui dresse un bilan peu flatteur des politiques menées, n’est pas surprenant. Certes, il contredit les affirmations triomphalistes des responsables politiques sur la politique de l’offre menée en ce domaine, qui ne cessent de mettre l’accent sur le caractère décisif de la baisse des charges alors qu’il ne s’agit là que d’un élément parmi d’autres et sans doute pas le plus efficace. Mais la Cour synthétise de nombreux rapports antérieurs qui ont souligné l’insuffisante efficacité des politiques menées, notamment celle des investissements d’avenir, du plan de relance 2020 ou de France 2030, plans fouillis, complexes, insuffisamment évalués. Le rapport insiste surtout sur des problèmes de méthode : l’action tous azimuts qui arrose tout le monde et se fixe des objectifs déraisonnables n’est pas efficace. Il faut identifier avec certitude toutes les causes des écarts de productivité constatés, définir une stratégie stable pour les atténuer, fixer des cibles prioritaires, mettre en place un suivi d’efficacité et une bonne coordination.