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RSA : une réforme à risques

La loi Plein emploi du 18 décembre 2023 dispose que toutes les personnes qui requièrent une aide à l’insertion (demandeurs d’emploi inscrits à France-Travail, bénéficiaires du RSA et leur conjoint, jeunes qui s’adressent aux missions locales, personnes handicapées s’adressant à Cap-emploi) doivent désormais s’inscrire à France-Travail. Jusqu’alors, seuls 42 % des bénéficiaires du RSA l’étaient. Leur « contrat d’engagement » comportera désormais un plan d’action pour l’insertion, avec, en fonction de l’intensité jugée nécessaire, une obligation de 15 heures d’activité au minimum pour tous ceux qui auront besoin d’un accompagnement, (parmi lesquels se trouvent les bénéficiaires du RSA orientés vers une insertion professionnelle), des exceptions étant prévues pour raisons de santé ou pour les parents isolés sans solution de garde. L’orientation et l’accompagnement doivent être revus. Les personnes qui ne respecteront pas leur contrat pourront être privées de leur allocation mais, si elles reviennent sur ce refus, leurs droits pourront être rétablis rétroactivement.

S’agissant des bénéficiaires du RSA, une expérimentation d’application de la réforme a été lancée dès 2023, qui a concerné 18 départements en 2023.

Le bilan officiel de l’expérimentation de ces 18 départements a été publié en novembre 2024. La généralisation de la réforme a lieu dès ce début 2025.

Le bilan publié est favorable, tout en étant très nuancé et, dans certains cas, circonspect. Les principales conclusions sont les suivantes : les expérimentations ont nécessité des recrutements, ce qui a été parfois difficile, mais les acteurs (départements et services publics de l’emploi) ont bien collaboré ; les délais d’orientation des bénéficiaires du RSA ont été raccourcis et l’orientation vers l’emploi est plus fréquente (moins de la moitié des bénéficiaires toutefois, soit 44 %), sachant que trois orientations sont possibles, emploi, remobilisation sociale, orientation intermédiaire dite « socio-professionnelle » ; l’entretien d’orientation avec le bénéficiaire, pourtant chronophage, ne permet pas toujours de percevoir tous les freins qui limitent son insertion ; les exemptions d’activité (les 15 h minimales) ont été diversement mises en œuvre selon les lieux ; les heures d’activité ont été mises en place de manière très inégale et les professionnels réclament sur ce point souplesse et individualisation ; les modalités d’accompagnement ont été très diverses ; l’offre d’insertion a été enrichie mais très inégalement et ce développement ne permet pas de répondre aux besoins des bénéficiaires ; la relation avec les entreprises suscite un intérêt croissant mais reste modeste ; il n’existe pas de parcours types, chaque cas étant différent ; les bénéficiaires récents du RSA sont plus réceptifs à la démarche d’accompagnement rénovée que les anciens ; l’accompagnement a eu des effets bénéfiques mais très différents selon les personnes, certaines étant très autonomes et d’autres plus attentistes ou moins bien armées.

Six mois après le début de leur accompagnement rénové, un peu plus du quart des allocataires sont en emploi (26,1 %), dont environ un sur dix en emploi durable (10,5 %), CDI ou contrat long. Ce taux est plus élevé pour les allocataires accompagnés dans la modalité « emploi » : 36,6 % sont en emploi à 6 mois, dont 15,2% en emploi durable ; il est bien moindre pour les allocataires accompagnés dans la modalité « sociale » : 10,1 % sont en emploi à 6 mois, dont seulement 3,6 % en emploi durable.

Enfin, le coût moyen d’un parcours d’accompagnement rénové oscillerait entre 600 € et 1 200 € par allocataire selon les modalités d’accompagnement, sa durée, l’éventail des solutions envisagées. Ce montant est susceptible de beaucoup augmenter (jusqu’à 4 000 €) en cas d’accompagnement renforcé ciblant des publics rencontrant des difficultés spécifiques.

Les associations et ONG de lutte contre la pauvreté continuent pour autant à souligner les risques de la généralisation de la réforme. Elles se sont regroupées pour publier en octobre 2024 un document alertant sur les risques : risque de glissement vers le travail gratuit, tentation dans certaines collectivités et vraie déviance ; orientation sous algorithme ou « toute faite », qui déresponsabilise l’allocataire, ou entretien d’orientation trop court, qui ne permet pas l’échange ; risque que la mécanique des radiations soit plus sévère et plus systématique qu’annoncé ; risque de valoriser le retour à l’emploi quelles qu’en soient les conditions, quand bien même celui-ci ne conviendrait pas à la personne.

Le véritable risque est celui du passage d’une expérimentation sélective, qui ne portait que sur 35 000 personnes et dont le bilan montre la complexité d’un accompagnement individualisé, à une généralisation massive qui concernera l’ensemble des bénéficiaires du RSA (1,85 millions de personnes, sans compter les conjoints) mais aussi tous les demandeurs d’emploi en grande difficulté. Quand on relit les conclusions du rapport d’évaluation, qui insistent sur la difficulté d’une orientation rapide, sur le travail à faire pour enrichir l’offre d’insertion, sur la relative modestie des résultats obtenus pour tous ceux qui ne peuvent pas être orientés vers   l’emploi, l’on a le sentiment que la généralisation du dispositif aurait dû être beaucoup plus progressive, d’autant que l’on s’oriente vers une augmentation des demandeurs d’emploi en 2025.

Le risque est d’autant plus fort que les conditions financières et matérielles de la généralisation ne sont pas claires, en l’absence de budget 2025 de l’État. Quels moyens accordés à France Travail ? aux départements ? Quelle contractualisation entre les partenaires ? Le décret sur les sanctions en cas de non-respect des obligations n’est même pas paru à ce jour.

Dans ce contexte, le risque est aujourd’hui soit celui d’une application mécanique et bureaucratique de la réforme (on applique les textes sans prendre garde à la personnalisation, on applique les sanctions sans états d’âme, on standardise au maximum), soit celui du retour à l’apathie avec un statu quo d’abandon. La réussite dépendra des moyens accordés et de la capacité des responsables politiques, au niveau national et local, à accepter qu’il y ait des progrès, éventuellement lents, mais pas de miracles.