La Cour des comptes est tenace et n’hésite pas à reprendre des constats déjà effectués pour vérifier si la situation a évolué ou reste aussi insatisfaisante qu’elle l’avait précédemment indiqué. Dans un rapport récent (La gestion des ressources humaines au cœur des difficultés de la police nationale, novembre 2021), elle avait déjà dénoncé une « gestion clientéliste » de la police par le ministre de l’intérieur et un dialogue social complaisant consacrant l’essentiel des moyens financiers disponibles à des améliorations de la rémunération, rendant plus difficiles toutes les réformes nécessaires, missions, temps de travail, carrière. Compte tenu d’un taux de syndicalisation des personnels de police très élevé, elle notait que le dialogue social était proche de la cogestion, avec une surenchère permanente. Politiquement, le ministre était présenté non pas comme le chef et le responsable de la police mais comme le premier représentant des intérêts des policiers.
Dans un rapport de mars 2025, la Cour revient plus longuement sur le bilan du dialogue social dans la police, toujours caractérisé par une forte syndicalisation (entre 70 et 80 % des personnels contre 24 % dans l’ensemble de la fonction publique d’État) et par une participation massive aux élections professionnelles (83 % contre 45 % en moyenne dans la fonction publique). La Cour note que le syndicat est l’interlocuteur privilégié des policiers, qui voient en la syndicalisation une protection personnelle, voire une sorte de contrat d’assurance
La Cour note d’abord que les objectifs de la loi de transformation de la Fonction publique du 6 août 2019 n’ont pas été respectés pour la police nationale. Pour substituer, à un dialogue social axé sur les questions individuelles et corporatistes, des débats sur des questions plus collectives et plus stratégiques pour l’action publique, la loi diminuait le nombre des instances de dialogue social et réduisait les compétences des Commissions administratives paritaires, qui se prononçaient jusqu’alors sur toutes les mesures individuelles, avancements, promotions et mutations. Or, pour la police, le nombre et la cartographie des instances n’ont pas changé et la réduction des compétences des CAP a été compensée par des consultations bilatérales « informelles » entre l’administration et les syndicats qui permettent toujours à ceux-ci d’influer sur les carrières des agents, pratiques au demeurant créatrice de désorganisation et d’allongement des délais.
La Cour examine ensuite les accords signés sur la période, celui du 19 décembre 2018 et du 2 mars 2022. Les deux accords ont été signés dans l’urgence, sous la pression syndicale, sans bilan préalable, réflexion, prise de recul : le premier a été arraché pendant la période des manifestations des Gilets jaunes et sous menace d’une« quasi-grève » (pratique où les policiers, qui n’ont pas le droit de grève, se mettent d’eux-mêmes en service minimum et ne traitent que les urgences) ; le second accord a été exigé en 2022 par les syndicats à la suite du Beauvau de la sécurité qui avait pourtant traité d’autres thèmes que les carrières et les rémunérations : les syndicats demandaient au moins des engagements sur ces sujets avant les élections présidentielles. De fait, les deux accords ne traitent que d’améliorations de carrière et d’augmentations financières, pour un coût important (ainsi pour le protocole de 2022, le coût est de 773 millions pour la période 2022-2027), comme si le seul dialogue social qui importe était celui des avantages statutaires. Or, pour la police, les enjeux de rémunération ne sont, selon la Cour, ni les plus graves ni les plus urgents. La Cour recommande ainsi d’établir un calendrier de négociations portant sur des questions plus stratégiques, la gestion des ressources humaines, la gestion immobilière, l’action sociale (déficiente malgré des enjeux de logement et de garde d’enfants) ou le développement du numérique.
La réorganisation de la police nationale en cours pourrait être l’occasion d’une amélioration et de l’institution d’un dialogue social plus stratégique, avec une plus grande déconcentration et meilleur souci de l’accompagnement individuel des agents, largement délégué jusqu’ici aux organisations syndicales. Le pilotage de la GRH et du dialogue social devrait être renforcé, mieux outillé et les cadres locaux formés au dialogue.
Cette réforme devrait être également l’occasion de s’intéresser au coût du dialogue social, plus élevé dans la police qu’ailleurs. Les crédits-temps sont accordés aux organisations syndicales de la police de manière peu rigoureuse, ce qui amène la Cour à demander que leur attribution soit mieux contrôlée et que les mesures contraires à la législation actuelle soient supprimées. De même, s’agissant des subventions accordées aux organisations syndicales, leur attribution ne respecte pas les règles actuellement en vigueur (il est vrai que d’autres ministères sont dans ce cas) et le contrôle doit être accéléré.
La Cour chiffre à 54 millions le coût total du dialogue social dans la police. Cela représente 367 euros par agent alors que ce coût est de 154 euros par agent dans l’ensemble de la fonction publique. Cet écart est, bien évidemment, source d’interrogation : il faudrait pouvoir l’expliquer.