Un Focus de mars 2025 du Conseil d’analyse économique (Objectif « plein emploi » : pourquoi et comment) établit un constat sur l’emploi en France pour définir les grandes orientations de ce que devraient être des politiques de plein emploi.
L’étude reconnaît qu’il existe en France un déficit d’heures travaillées par habitant, qui est de l’ordre de 100 heures par rapport aux voisins européens et de 300 heures par rapport aux États-Unis. Il ne s’agit pas, contrairement à ce qui est dit parfois, d’un nombre plus faible d’heures en emploi mais d’un taux d’emploi plus faible, qui se concentre entièrement sur les jeunes et les seniors, insertion sur le marché du travail bien plus lente qu’ailleurs et sortie du marché de l’emploi plus précoce.
Deux autres catégories retiennent l’attention, les femmes, dont la dynamique d’emploi, naguère vive, s’essouffle, et la population peu ou pas qualifiée, qui peine à s’insérer professionnellement. Compte tenu des recettes publiques que l’on peut attendre d’une personne en emploi, du levier de redressement que constitue l’emploi pour la croissance, compte tenu également du fait que certaines situations ne sont pas choisies mais subies, il importe de définir des politiques publiques qui répondent aux problématiques des catégories concernées pour les ramener à l’activité et à l’emploi. La note se situe très ostensiblement au rebours de la méthode « macroniste » pour atteindre le plein emploi, qui consiste à durcir le droit social pour contraindre des personnes sans emploi à en reprendre un. Le CAE considère qu’il faut choisir des catégories particulières en faveur desquelles une politique publique incitant à l’emploi devrait être menée.
En France, le taux d’emploi des 16-74 ans est de 60 %, alors qu’au Royaume-Uni, en Allemagne et aux États-Unis, il est compris entre 65 et 68 %. Dès lors qu’ils sont en emploi, les ressortissants allemands, anglais et français travaillent à peu près le même nombre d’heures, 1600 h par an, les États-Unis se distinguant avec plus de 1900 heures.
L’écart des taux d’emploi entre pays est lié certes au taux de chômage, plus important en France que dans les autres pays, mais surtout au taux d’activité, donc à la moindre participation de certaines catégories au marché du travail.
Le taux d’emploi des 30-54 ans est très proche en France de celui des autres pays étudiés. Les écarts concernent les jeunes (16-24 ans) et les seniors (55-74 ans), même s’il y a eu historiquement des progrès dans l’emploi de ces deux catégories.
S’agissant des jeunes, l’écart est important entre pays, même hors apprentissage, dont on sait qu’il est élevé notamment en Allemagne. La France se différencie sur 2 points : l’importance des jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en formation (l’écart est fort avec l’Allemagne, moins avec le Royaume Uni) et la durée d’insertion des jeunes sur le marché du travail, plus longue qu’ailleurs, surtout pour les jeunes sortant du système scolaire sans qualification mais aussi pour les jeunes diplômés.
S’agissant des seniors, le taux d’emploi des 55-59 ans n’est plus désormais considéré comme faible. En revanche, celui des 60-64 ans est encore nettement en dessous-des autres pays, même si les effets de la récente réforme des retraites devraient contribuer à l’augmenter.
La note cherche à expliquer les évolutions passées : dans tous les pays, le vieillissement de la population a eu un effet structurel négatif sur le nombre d’heures travaillées / habitant, ce qui est logique. Pour autant, en 20 ans, de 2003 à 2023, en Allemagne et en France, on constate un changement de comportement à l’égard de l’emploi de certaines catégories et, en définitive une augmentation du nombre des heures travaillées malgré le vieillissement : en France, l’augmentation est liée au changement de comportement des femmes de tous âges, surtout les 30-54 ans, ainsi que des hommes de 55 à 74 ans (les seniors), beaucoup moins des plus jeunes. Aux États-Unis, l’amélioration du taux d’emploi des femmes a été moins forte qu’en France, celle des hommes est également limitée et, compte tenu du vieillissement, le nombre d’heures travaillées par habitant a, dans la période, légèrement baissé.
La note cherche également à lier ces changements de comportement, en France notamment, à l’amélioration du niveau d’éducation : s’agissant du taux d’emploi des seniors, l’amélioration vaut pour tous les niveaux d’éducation ; en revanche, la hausse prononcée du taux d’emploi des femmes s’explique par la nette amélioration de leur niveau d’éducation, sachant toutefois que, dans les années récentes, cette hausse s’essouffle. Dernier constat, propre à la France, l’effondrement des heures travaillées des personnes peu ou pas qualifiées, notamment s’agissant des hommes de 30 à 54 ans (le nombre total des heures effectuées par des hommes peu qualifiés a diminué de 40 % en 30 ans) mais aussi des femmes. Cet effondrement tient plus à la baisse des taux d’activité qu’au chômage : certaines catégories s’éloignent du monde du travail.
Ces constats doivent conduire à définir des orientations de la politique de l’emploi : le réservoir des femmes en termes d’emploi total est très important, le cœur du problème étant l’impact négatif des enfants sur les trajectoires professionnelles. La question du taux d’emploi des jeunes est cruciale : faut-il réexaminer les parcours éducatifs ? prioriser la question des NEET ? En tout cas, il faut s’intéresser aux difficultés d’insertion des jeunes sur le marché du travail et à leur cause. Pour les seniors, le rattrapage est en route mais il reste sans doute des mesures à prendre (modification dans la réforme des retraites) pour faciliter le choix de ceux qui seraient susceptibles de continuer à travailler après 60 ans. C’est sur l’effondrement de l’emploi des moins qualifiés, spécificité française, qu’il faut également travailler, sachant que ce n’est pas une question de coût (le coût du travail peu qualifié a fortement baissé) ni de trop grande générosité du régime de chômage (ces catégories sont peu actives).
En définitive, le message de la note est que l’éloignement de l’emploi a des causes et qu’il faut y apporter des remèdes adaptés, plutôt que de s’attaquer aux droits sociaux des personnes éloignées de l’emploi.