« La vérité permet d’agir » pouvait-on lire sur le mur devant lequel le Premier ministre est intervenu en ouverture de la Conférence sur les finances publiques du 15 avril 2025. Elle permet en tout cas de bavarder. La Conférence, qui avait pour but de « présenter aux Français la mesure de la situation du pays dans un contexte international complexe et imprévisible », a fait deux constats : la France ne travaille pas et ne produit pas suffisamment et elle dépense trop pour ses recettes. C’est bien vu ! Elle a ensuite défini quatre orientations : la France doit devenir plus productive et plus compétitive, il faut reprendre en main les finances publiques, réformer notre modèle social pour le préserver, travailler plus davantage et mieux.
L’épisode est consternant.
En 2023, le gouvernement d’alors avait déjà eu recours à ce type de présentation de la situation des finances publiques destiné à « éclairer l’opinion », sous le nom, à l’époque, d’Assises des Finances publiques. Les quatre orientations définies alors n’étaient pas si différentes de celles d’aujourd’hui : il fallait « renforcer le potentiel de croissance », « augmenter le taux d’emploi et stimuler l’activité », « lutter contre l’érosion des assiettes et la fraude », « rendre les politiques publiques efficaces et maîtriser les dépenses ». Il n’est bien sûr rien sorti de ces généralités toutes faites qui laissent tout le monde indifférent : oui, il faut augmenter le taux d’emploi, y compris pour les personnes les seniors, les jeunes, les personnes les moins qualifiées, mais comment ? Quelle politique mener ? Oui, les politiques publiques peuvent devenir plus efficaces mais quelle est la bonne méthode ? Ces présentations à la population témoignent d’une condescendance insupportable envers les citoyens tout en étant des aveux d’impuissance (le gouvernement sait-il quoi faire ?), surtout dans le contexte actuel où s’impose plutôt un bilan des erreurs commises : la Cour des comptes vient de publier, le 16 avril, son rapport sur l’exécution du budget 2024, parlant de pilotage à vue, d’absence de mesures structurelles et d’économies pérennes, de gestion erratique, de manque de transparence et de succession de « reports, gels, surgels et coups de rabot ».
De plus, la réunion n’a pas seulement servi à enfoncer solennellement des portes ouvertes : elle a défini une politique de droite, défendue comme s’il s’agissait d’évidences indiscutables. Le Premier ministre a accompagné son exposé d’un power-point caricatural : « Le nombre d’heures travaillées par actif est beaucoup plus élevé aux États-Unis qu’en Europe » (oui, mais il est identique à celui de l’Allemagne et du Royaume-Uni, le vrai problème étant en France l’ampleur des personnes inactives qui ne parviennent pas à s’insérer dans l’emploi ou y ont renoncé, seniors, jeunes et femmes) ; la durée des arrêts maladie a augmenté depuis le COVID : pourtant, les arrêts maladie sont aussi un signal de malaise au travail et peut-être faudrait-il s’interroger enfin sur le travail et sur le management des entreprises, trop souvent vertical et déshumanisant ; « la réglementation de l’emploi est plus protectrice en France qu’ailleurs en Europe, ce qui peut freiner les embauches » : les enquêtes réalisées auprès des employeurs montrent que c’est faux ; même si les entreprises se plaignent, elles embauchent quand elles ont des commandes ; « il faut réformer le modèle social pour le préserver » : la politique de plein emploi du gouvernement repose sur l’idée qu’en réduisant l’assurance chômage et en attribuant le RSA de manière plus restrictive, les demandeurs d’emploi s’inséreront enfin dans le monde du travail, vision moralisatrice étonnamment simpliste, comme si la paresse était la raison de l’éloignement du monde du travail ; « La gratuité déresponsabilise » : toutes les études montrent que l’augmentation du coût des soins ne pèse que sur les populations très modestes, les catégories aisées ne modifiant pas alors leur consommation de soins, qui est au demeurant supérieure en valeur absolue à celle des personnes moins favorisées, pourtant en moins bonne santé.
Enfin, affirmer « Nous pouvons le faire (i.e. rétablir les finances publiques) puisque Le Portugal et l’Espagne l’ont fait » est imprudent : autre contexte économique et politique, autres données structurelles, chaque pays doit trouver sa voie.
L’engagement du Ministre des finances de ne pas augmenter les impôts en 2026 (sauf, il est vrai, à pérenniser la contribution sur les hauts revenus) couronne le tout : le message est que le gouvernement ne veut pas de partage du fardeau, alors que c’est le sentiment d’équité dans la répartition de la charge qui pourrait mobiliser le pays. Il faut avoir en tête que la politique suivie depuis 2017 n’a pas été interprétée seulement comme une politique d’amélioration de la compétitivité des entreprises mais comme une baisse des impôts des plus favorisés, ce qu’elle a, de fait, été pour une part, avec la « flat tax » qui minorait l’impôt sur le revenu des plus riches.
Que faudrait-il faire pour porter un rétablissement des finances publiques durable ?
1°Adopter (et convaincre le pays d’adopter) des objectifs de moyen voire de long terme (5 ou 6 ans), nets mais prudents et réalistes, sans s’interdire des mesures fiscales (elles sont plus rapides à produire leurs effets que les baisses de dépenses) : il est possible de ne pas trop alourdir le taux des prélèvements en visant à une meilleure équité et à un meilleur rendement ; il faut de plus annoncer garder des marges de manœuvre pour des politiques publiques indispensables (emploi, compétences, transition climatique) ; dans ce cadre, les responsabilités des différentes composantes du déficit public doivent être clarifiées auprès de l’opinion (le principal responsable, au moins aujourd’hui, est l’État, pas vraiment les collectivités) ;
2° Établir des prévisions de moyen terme enfin honnêtes, quitte à utiliser des méthodes de correction glissante si l’environnement économique se modifie : aujourd’hui, les prévisions économiques et financières sur lesquelles reposent la construction des lois de finances sont excessivement optimistes, voire irréalistes, non contrôlées par les organismes indépendants qui sont consultés et jamais écoutés ; les lois de programmation des finances publiques n’ont aucune crédibilité, les programmes de stabilité envoyés à la Commission ne sont jamais respectés ; il faut prendre l’objectif de prévision au sérieux et articuler entre eux les divers documents budgétaires ;
3°Abandonner la technique du rabot utilisé depuis des décennies, qui fixe des pourcentages d’augmentation-plafond de toutes les dépenses, rognant sur tout, au profit de de la sélection de dépenses à réduire et de réformes structurelles (autonomie des établissements publics, lutte contre la dépendance des collectivités territoriales aux transferts de l’État et simplification de relations financières complexes, fin de la redondance de compétences entre l’État et les collectivités…) ; les revues de dépenses sont alors une bonne technique, à condition de ne pas être confiées aux seuls responsables budgétaires (il faut tenir compte des attentes de la population et de la qualité des politiques menées) et de couvrir un périmètre large : les décisions à prendre sont politiques, elles doivent être assumées par le gouvernement tout entier et présentées avec un argumentaire convaincant dont l’ambition va au-delà de la rentabilité de l’économie à réaliser (équité et volonté de ciblage, dépense inefficace ou ayant des effets nocifs…) : il ne s’agit pas de calculs d’ajustement budgétaire ;
4°Définir une véritable politique de l’emploi : formation professionnelle, appui aux jeunes et aux seniors, modes de garde, réflexion aussi sur la gouvernance des entreprises et la répartition de la valeur ajoutée ;
5° S’intéresser enfin au domaine de la protection sociale : le débat sur l’âge de la retraite pourrait s’atténuer si la pénibilité était mieux prise en charge, en maladie, le débat sur les arrêts maladie est moins important que d’autres questions, certes bien plus difficiles à affronter, comme la répartition de l’offre de soins, la qualité des prescriptions médicales, la collaboration hôpitaux et médecine de ville ;
Le CAE, la Cour des comptes, l’OFCE Sciences Po et les divers think-tank ont produit des analyses et des propositions sur les choix à opérer pour assainir les dépenses publiques : pourquoi ne pas s’en saisir pour construire une politique solide ?
Par ailleurs, associer la population, ce n’est pas lui annoncer ce que l’on va faire pour la préparer à accepter des orientations déjà choisies. Ce n’est pas non plus lui demander si « L’intérêt général doit l’emporter sur les intérêts particuliers » (c’est une des conclusions de la journée !) ou s’il faut « améliorer l’efficacité des politiques publiques ». Cela ne veut pas dire qu’il faut renoncer aux débats de principe : mais il faut les éclairer par l’évocation de questions concrètes, pour dégager les inévitables compromis. La transparence devient alors essentielle, de même que le suivi de l’efficacité des décisions, jamais réalisé. Bref, la politique doit changer.